Réunion du 16 janvier 2014 avec des producteurs
Compte-rendu de la table-ronde entre techniciens et producteurs Autour de l’application de la Convention Collective Etendue des métiers du Cinéma.
La table ronde organisée le 16 janvier 2014 au CNC, en présence de Mesdames Maylis Roques, Secrétaire Générale du CNC, et Lucie Saint-Genez, de la Direction Générale du Travail, avait pour objectif de réunir techniciens et producteurs autour des constats dressés le 4 décembre 2013 sur l’application de la Convention Collective Etendue des métiers du Cinéma, afin d’évaluer les répercussions de ces nouvelles dispositions sur la production de films en France. La discussion a donc consisté à évoquer à bâtons rompus des questions que vous trouverez ici rassemblées de façon thématique.
NB : Ce compte-rendu n’a donc pas vocation à remplacer celui du 4 décembre, qui contient des explications plus concrètes et précises sur le texte de la Convention, ni à le mettre jour, mais à le compléter par un éclairage nouveau. Avant toute chose, quelques précisions sont apportées par la Direction Générale du Travail : Le décret d’équivalence pris en décembre 2013 comportait une erreur quant au régime des auxiliaires de régie, un décret rectificatif est en cours de validation. Par ailleurs, le Code du Travail limite la durée maximale du travail (hors dérogations) à 48h par semaine pour des dépassements ponctuels, et 44h sur douze semaines consécutives pour des dépassements réguliers. C’est dans ce cadre qu’interviennent les heures d’équivalence, puisque c’est pour cette évaluation qu’elles ne sont pas prises en compte (cela permet, selon les postes, de travailler une, deux ou trois heures supplémentaires par semaine sans dérogation). Dans la Convention, il était prévu que la durée maximale hebdomadaire puisse être portée à 46h sur douze semaines consécutives « dans l’attente du décret sur les heures d’équivalence ». Ce décret ayant depuis été publié, les 46h ne sont plus applicables sans dérogation tant qu’un autre décret n’aura pas été publié en ce sens, ou la Convention modifiée par les partenaires sociaux lors d’une commission d’interprétation. Enfin, l’intérêt de la présence de la Direction du Travail à cette table est de s’assurer de sa bonne connaissance des réalités du terrain et de l’impact des dispositions conventionnelles. Les films vont-ils coûter plus cher avec la nouvelle convention ?
Peu de films ont encore été produits donc nous manquons de recul pour pouvoir le dire concrètement. Il faut de toute façon distinguer les films selon qu’ils relèvent de l’annexe 3 ou non. La première crainte à exprimer concerne les films les plus atypiques, que des singularités d’écriture, des scénarii particuliers et parfois des durées de tournage très prolongées situent en dehors du cadre « normal » de production. Les contraintes sur ces films sont désormais peut-être plus fortes. Dans l’ensemble, les films qui seront plus chers sont ceux qui ne respectaient pas la précédente convention collective (puisqu’elle n’était pas étendue). Pour les autres, le décompte des heures supplémentaires à la semaine plutôt qu’au jour-le-jour, avec les heures d’équivalence, représente un facteur d’économies. Mais, à l’inverse, la limitation de la durée du travail et l’augmentation potentielle des effectifs de tournage constituent un surcoût, si bien qu’on ne sait pas encore de quel côté va pencher la balance. Toutefois, dans la fameuse nuit de la signature (le 8 octobre 2013), l’élément qui a emporté l’adhésion des Producteurs Indépendants a été la proposition du Gouvernement d’augmenter le crédit d’impôt à 30% pour les films de moins de quatre millions d’euros de budget - en dépit de l’avis défavorable de la Commission des Finances. Sous cette hypothèse, le surcoût engendré pour les petits films devait se voir en grande partie compensé par l’augmentation du crédit d’impôt. Le décret n’est pas encore publié mais la proposition a été validée par l’Assemblée Nationale et il sera rétroactif au premier janvier 2014. Dès lors, les films qui risquent de devoir absorber une augmentation de coûts sans bénéficier de réelle compensation sont les films du milieu, aux budgets compris entre quatre et sept millions d’euros, et dont certains sont particulièrement ambitieux au plan artistique. Les questions soulevées par la mise en application de la nouvelle Convention Collective ne sont pas indissociables du contexte actuel du cinéma, ce qui est source de fortes remises en question pour certains réalisateurs aujourd’hui. Il est nécessaire de souligner et d’entretenir la variété de la production de cinéma en France, qui est l’une de ses richesses et, à ce titre, il est fait mention du travail de la commission 6/6/6 du CNC, disponible en annexe du rapport Bonnell. Le souhait est émis que ce texte soit diffusé et soutenu le plus largement possible. L’annexe 3, le cas des films à petits budgets, la commission de dérogation
Le principe de l’annexe 3 est de consentir des abattements sur les salaires des techniciens, à condition qu’ils soient unanimes et homogènes. La dérogation ne dispense pas de prendre en compte l’ensemble des heures de travail. L’objectif de ce texte est que le total des films bénéficiant de la dérogation soit inférieur à 20% des films produits en France sur une période de cinq ans. Les films à moins d’un million d’euros font pour l’instant l’objet d’un moratoire de six mois et ne sont pas concernés par l’annexe 3. Les techniciens employés sur ces films sont rémunérés au minimum au SMIC. La négociation avec les syndicats a commencé à ce sujet.
N.B. : Cependant, le titre III (interprètes), qui selon son arrêté d’extension n’est pas concerné, s’applique également aux films de moins de 1 M€ de financement extérieur (donc hors imprévus, frais généraux et salaire producteur).
Lors des séances qui se sont tenues jusqu’ici, la commission de dérogation n’a vu que quatre films demander une dérogation au titre de l’annexe 3 ; on sait par ailleurs que certains films qui auraient pu être éligibles à une dérogation ne l’ont pas demandée. Les dossiers examinés présentaient d’ailleurs généralement des budgets assez nettement en dessous du plafond des 3 millions d’euros (+22%, constitués par les imprévus, les frais généraux et le salaire producteur). La commission de dérogation juge les dossiers qui lui sont soumis sur des critères automatiques, et n’a pas le droit de pondérer ces critères. La dernière condition à avoir été ajoutée à la liste de ces critères est le fait que le tournage doit avoir lieu majoritairement en France sauf pour raisons artistiques. Pour se prononcer sur une demande de dérogation, la commission dispose du récapitulatif du budget et d’un document qui mentionne les proportions entre les salaires brut de l’équipe avec d’une part le budget du film, et d’autre part l’ensemble des auteurs, producteurs et interprètes principaux. Le film terminé, et en préalable à l’agrément de production, chaque dossier doit être réexaminé pour comparer les coûts réels certifiés avec ce qui avait été déclaré. En cas de non- cohérence, le producteur devrait régler à l’équipe la part des salaires mise en participation, sous peine de se voir refuser l’agrément. Une telle situation pour certaines sociétés de production est quasiment synonyme de dépôt de bilan, car elle interdit le bénéfice du soutien, du crédit d’impôt, et peut conduire à l’annulation de contrats de coproduction. Le salaire des comédiens
Pour les films qui obtiennent la dérogation prévue par l’annexe 3, le salaire des comédiens est plafonné à cinq fois le cachet de base, soit actuellement 2 000 euros par jour. Un accord peut être conclu pour un salaire plus élevé à condition que la différence soit payable en intéressement, et que celui-ci soit versé après l’intéressement des techniciens. Il est important de noter que cette clause ne fait cependant pas encore partie des critères pris en compte par la commission de dérogation, ce qui est problématique car elle n’est supposément pas contournable pour autant. Il est aussi à craindre que certains comédiens refusent de participer aux films de l’annexe 3 au vu des conditions financières proposées. Cela risque de représenter un manque de visibilité pour ces films déjà reconnus comme difficiles à produire. Certains craignent aussi que, pour contourner le plafonnement du cachet des comédiens, l’on assiste à des versements d’avances sur intéressement par un tiers (par exemple, une chaîne de télévision, distributeur pour qui la présence de tels comédiens représente un impact fort en termes d’audience). Quant aux garanties de versement des salaires négociés en intéressement aux acteurs mais aussi aux techniciens des films concernés par l’annexe 3, il est fait mention du peu de visibilité dont disposent à ce jour tous les ayants-droits sur la remontée des recettes depuis l’exploitation. Le travail des réalisateurs et le rôle des producteurs
L’un des constats dressés en décembre lors de la première table ronde, était que l’organisation du temps de travail de tout un chacun allait devenir à la fois plus nécessaire et plus technique qu’avant. Or l’effort d’anticipation de l’équipe est en relation directe avec les décisions prises par le réalisateur. Comment faire, dès lors, lorsque celui-ci ne prend pas ces décisions en temps voulu, dès le moment des repérages et jusqu’aux remaniements du plan de travail ? En particulier, cela va-t-il modifier le rapport et les méthodes de travail entre producteurs et réalisateurs ? Cette question n’est pas complètement nouvelle : déjà avant la nouvelle Convention, les dépassements étaient payés (une partie tout au moins). Par ailleurs, dans le cas des films qui jusqu’ici respectaient l’ancienne Convention, cela n’excluait pas une part d’arrangements de gré à gré, si bien qu’un cadre conventionnel n’est pas forcément antinomique avec la préservation d’une marge d’interprétation. Notons cependant que le cadre général reste bien évidemment le texte de la convention, que tous les partenaires d’un film sont tenus de respecter. L’organisation de la fabrication d’un film relève de toute façon du dialogue entre le producteur, le réalisateur et les chefs de postes. Tous les réalisateurs ne travaillent ni de la même manière, ni aux mêmes rythmes, et ce serait un piège que d’essayer de les formater. D’ailleurs, il est important de remarquer que la nouvelle Convention permet aussi d’adapter avec plus de flexibilité le plan de travail aux souhaits du metteur en scène (une petite journée pouvant désormais durer moins de huit heures tout en étant compensée par une plus grosse journée à un autre moment de la semaine). Néanmoins, il sera important de sensibiliser et de responsabiliser les réalisateurs, au regard des nouvelles dispositions conventionnelles. C’est pour nous tous une occasion de progresser dans l’exercice de nos métiers.
Les nouveaux postes, les économies à réaliser
Lors de la table-ronde de décembre, il s’est dit que l’administration en particulier, allait nécessiter l’emploi d’une personne supplémentaire pour traiter la prise en compte du travail individuel de chaque employé. De même, la restriction de l’amplitude maximale de travail quotidien à 13 heures risque de nécessiter le recours à des personnes différentes au début et à la fin des plus grosses journées, dans certaines équipes. Comment appréhender ces changements ? Les paramètres qui permettent la réduction des devis de film sont simples : nombre de jours de tournage, taille de l’équipe, conditions d’embauche des salariés, et, in fine, coupes dans le scénario. A cet égard, le principe des heures d’équivalence et le plafonnement des majorations de salaires aideront à compenser les surcoûts entraînés par l’augmentation occasionnelle des effectifs. Par ailleurs, l’organisation du travail au sein d’une équipe passera aussi par la délégation de certaines tâches, des chefs vers les assistants. Les coupes dans le scénario se pratiquaient déjà avant la nouvelle Convention. Malgré quelques contre-exemples et les économies significatives que cela représenterait, il n’est pas possible de déceler avec certitude l’ensemble des séquences qui ne seront pas montées dans le film. Un travail semble néanmoins pouvoir être mené en ce sens pour adapter au mieux le film à son économie, ne serait-ce que dans la précision du découpage et des indications données aux chefs de postes pour la préparation de leur travail en amont du tournage. L’organisation du travail, la réinterprétation des attributions de chacun
Les représentants de la main-d’œuvre attirent l’attention sur les problèmes de sécurité qui risquent de se poser dans les cas où les personnes chargées de démonter les installations ne seraient pas les mêmes que celles qui les ont montées. C’est un risque à ne pas négliger, mais il devient de l’ordre de la compétence de chacun de se responsabiliser y compris dans la transmission de son travail ou dans la reprise d’un travail en cours, et l’expérience des techniciens qui en seront capables n’en sera que plus valorisée car elle sera de fait rendue nécessaire pour l’emploi. De tels croisements d’équipes se pratiquent dans d’autres pays. Le décompte des heures à l’échelle individuelle au moyen de feuilles d’heures n’est pas insurmontable, Cela suppose plus de rigueur dans le fonctionnement de l’équipe et la feuille de service, et une sensibilisation de tous aux changements d’habitudes qui deviennent nécessaires. Par ailleurs, les métiers de la post-production représentent, à eux seuls, un pan entier de questions qui mériteront d’être posées quant à leurs méthodes et à l’organisation de leur travail. Ce chantier ne fait pas l’objet de la réunion d’aujourd’hui mais devra être abordé dans un avenir proche.
La rémunération des heures de transport
La rémunération des heures de transport est une nouvelle disposition conventionnelle qui risque d’avoir des répercussions sur le choix des décors, et donc potentiellement sur le scénario. Elle représente un surcoût sec dans le budget d’un film depuis l’application de la nouvelle Convention. C’est ce type de surcoûts qui seront les plus difficiles à assimiler et qui risquent de faire l’objet d’arrangements de gré à gré. Cependant, au-delà de la rémunération, la simple prise en compte de ces heures de transport dans l’amplitude de la journée de travail représente à elle seule un frein à la localisation de certaines journées de tournages sur des décors jugés trop éloignés des lieux de résidence. Dans un contexte de fermeture des studios, la solution qui semble la plus économique sera peut-être de loger les équipes sur place mais une vraie réflexion doit être menée à ce sujet.
En conclusion,
Cette nouvelle table-ronde a été l’occasion de voir réaffirmée la diversité du cinéma français, et ce jusque dans ses méthodes de travail et de production. L’étude de la nouvelle Convention révèle que derrière ce qui avait l’apparence de nouvelles contraintes avec la prise en compte de la totalité des heures de travail, se cache aussi un gain en souplesse des horaires, au service de la mise en scène et des employeurs. Ces outils, certes nouveaux, ne remettent pas pour autant en cause les fondements-mêmes des méthodes de travail dans le monde du cinéma, et les producteurs présents nous témoignent leur confiance dans la faisabilité de nouveaux projets dans le cadre de cette nouvelle Convention. La prochaine étape du travail de sensibilisation mené par notre groupe inter-associations de techniciens consiste en une nouvelle table-ronde, toujours en présence de producteurs, mais également cette fois de réalisateurs. La date de ce rendez-vous est fixée au MARDI 11 FEVRIER 2014, et nous souhaitons que les présences du CNC et celle de la Direction Générale du Travail soient renouvelées à cette occasion.
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