François Musy, nous a quittés...
François Musy, ingénieur du son et mixeur suisse accompagnateur de Jean-Luc Godard est décédé ce 22 novembre.
J’ai rencontré François Musy en 2002 sur le premier long métrage de Xavier Giannoli, Les Corps Impatients (2003), il était bloqué en Mongolie sur un autre tournage et la production cherchait quelqu’un pour faire les deux premières semaines au son. J’ai donc commencé à l’enregistreur et fini à la perche à ses côtés le reste des semaines de tournage. Mon premier contact avec lui aura donc été un coup de téléphone satellitaire que j’ai reçu depuis la steppe. J’avais entrepris le son avec un matériel léger, presque de documentaire car c’était un film naturaliste à très petit budget et je vois François arriver avec son petit camion blanc dont il descend une roulante gigantesque sur laquelle étaient montés une tour d’ordinateur, un écran 17 pouces et un onduleur. C’était François.
J’ai vite découvert qu’il avait le goût des machines. La technologie l’émerveillait et il s’était lié d’amitié avec les trois développeurs de ses machines fétiches : Jean-Pierre Beauviala (Aaton), Jacques Sax (Sonosax) et la société suisse Merging éditant le logiciel Pyramix. François pratiquait la prise de son, le montage son et le mixage dans ses studios, à Rolle. La question du workflow l’intéressait beaucoup et, avant l’arrivée des machines multi-pistes que l’on connaît aujourd’hui, il enregistrait déjà le son des films en multi-pistes sur son Pyramix sur le plateau. Lorsque JP Beauviala a commencé à penser au Cantar X1, François était alors l’un de ses interlocuteurs de prédilection et il le resta tout au long du développement des machines audio de Aaton tant que Jean-Pierre était à la tête d’Aaton. Le Cantar passionnait François, il en avait eu un avec design spécial pour ses cinquante ans, argenté, assorti à ses cheveux.
Même émotion dans ses studios à Rolle où il vivait avec sa femme Gisèle, lors de l’arrivée du MADI, précurseur de DANTE, qui permettait de faire transiter 128 pistes dans un seul câble BNC. Avec son assistant Gabriel Hafner, ils en avait mis partout pour relier leurs salles et leurs machines Pyramix en réseaux. L’un des premiers à avoir un complexe de salles de montage son et à pouvoir mixer dans sa salle de travail. Ces studios, il les doit à Jean-Luc Godard qui vivait à Rolle et avait besoin d'installations son. Il l’avait envoyé aux quatre coins du monde pour voir comment les autres étaient équipés (NHK, LucasFilms…) et comment il fallait qu’il s’équipe lui-même.
Car, depuis 1982, François avait trouvé son second père, un père de cinéma, en la personne de Jean-Luc Godard qui lui avait offert à 27 ans d’être son super-spécialiste du son. François sortait de l’école des Beaux-Arts de Genève, après des études d’ingénierie et Jean-Luc Godard boudait les artisans-artistes-techniciens français à la mode sur Paris, il avait décidé de travailler avec un jeune Suisse qui pourrait l’accompagner et répondre à ses besoins cinématographiques, et à cette époque le cinéaste était très actif… Il cherchait à utiliser le son comme un espace à part entière, travaillant déjà sur sa table de montage en plusieurs pistes audio. Il avait des exigences de dispositif sur le plateau qui réclamaient une autre manière de travailler : à la fois une disponibilité technique, une grande souplesse et une grande rigueur technique. Il rencontre donc ce jeune homme qui avait fait son mémoire d’ingénieur sur les feux tricolores des carrefours routiers, François tombait à pic. Le voici immédiatement embarqué sur l’aventure de Passion (1982). Il prend l’avion avec Godard vers Los Angeles, pour y tourner dans un studio avec Raoul Coutard à l’image et Dean Tavoularis à la décoration. Ceux qui l’ont connu et travaillé avec lui ont largement entendu ses anecdotes et il est vrai que ça faisait son effet de l’imaginer se débrouiller avec un Nagra et déclencher des playbacks avec le pied pendant qu’il perchait les dialogues, se retrouver d’un coup sur le pont de l’énorme bateau-aventure qu’avait dû être Passion. Dans un livre, Godard dit de François que son obsession n’était pas de faire des films mais de « faire sa vie ». François a lié sa vie à celle de Jean-Luc Godard, et accompagné le réalisateur jusque sur ses derniers travaux avant sa disparition, l’année dernière, en 2022, sur plus de 23 films en 30 ans, dont les Histoires du Cinéma, que François avait mixés en 5.1 et qui n’a longtemps existé dans sa version 5.1 en DVD qu’au Japon ; Prénom Carmen, Notre Musique, For Ever Mozart : quel espace pour le son déjà dans les titres. Il a collaboré avec tant d’autres cinéastes évidemment : Alain Tanner, Alice Rohrwacher, Silvio Soldini, Benoit Jacquot, Claire Simon, Maurice Pialat, Jean-Jacques Annaud et Xavier Giannoli qui lui a offert quatre nominations et deux récompenses aux Césars : Quand J’étais Chanteur (2007), Marguerite (2016). François avait eu sa première nomination aux César avec Nouvelle Vague en 1990 et avait été récompensé du prix technique du Festival de Venise en 1983 pour Prénom Carmen.
La rencontre de François a été une chance pour moi. Je l’ai accompagné et assisté sur plusieurs années où j’alternais la perche et la prise de son en fonction des films, des situations de travail, des besoins. Outre le plaisir d'avoir découvert de fantastiques fromages du canton de Fribourg, c’est un immense cadeau en soi que d’avoir eu sa confiance. Il y avait chez lui une grande générosité. Une volonté de pouvoir offrir, à son tour, des moments de chance à un jeune qui voulait faire des films, gagner sa vie dans le cinéma. Probablement à l’image de ce qu’il avait reçu lui-même de Godard. Je lui dois aussi deux rencontres importantes : celle de Jean-Pierre Beauviala et de Caroline Champetier, qui ont donné une forme à mon parcours professionnel en sortie de ces années d’assistanat. François m’a permis d’acheter mon premier Cantar, il est arrivé entre deux scènes, sur le plateau de Quand J’étais Chanteur. On en a ouvert la boîte avec excitation avec Renaud, le fils de François qui était second à la perche. C’est aussi avec François, Renaud et Serge Musy, son fils ainé, assistant mise en scène, que j’ai fait mon dernier jour de perche, sur le plateau d’un film de Jacob Berger, Une Journée, en Suisse en 2006.
J’utilise mon Cantar tous les jours depuis 20 ans et, chaque fois que je l’ai sur l’épaule, je sens sous sa bandoulière le poids agréable de ces années d’histoire passée, et ça me ramène aussi sur les bords paisibles du Lac Léman.
Photo : François et deux de ses fils Serge (à gauche) et Renaud (à droite) sur le tarmac de l'aéroport de Genève en 2006. (Une Journée, de Jacob Berger)
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