Le travail du son sur La Nonne 2 de Michael Chaves.
Entretien croisé entre Erwan Kerzanet (son direct, AFSI) et Jay Jennings (sound design)
En septembre 2023 sort au cinéma La Nonne 2 : La malédiction de Sainte Lucie, réalisé par l'américain Michael Chaves, film de la franchise The Conjuring initiée par James Wan et produit par Warner. C’est un film d’horreur avec tous les attributs à l’ancienne : cris, vent dans les rideaux et musique dramatique signée par Marco Beltrami. Michael Chaves est un spécialiste du film d’horreur et mélange le réel et l’irréel en s’appuyant beaucoup sur le son.
AFSI : C’est particulier d’aborder le son d’un film de ce type?
JJ: On dit souvent que le son représente 50 % de l'expérience cinématographique. Dans le cas des films d'horreur, ce pourcentage est souvent bien plus élevé. Les films d'horreur doivent une grande partie de leurs succès (ou de leurs échecs) à l'utilisation du son. En fait, certaines scènes de La Nonne II ne fonctionneraient pas du tout sans les efforts déployés dans la conception et le mixage du son, méticuleusement articulés par notre réalisateur Michael Chaves.
EK : Je crois que la question du rythme est au centre des préoccupations lorsque l’on tourne un film flippant. Michael Chaves est, sur le plateau, comme un pilote de formule 1 et gère ses journées de tournage comme une course très millimétrée. Michael a un sens particulièrement fort du rythme et il filme les plans qui vont assurer au monteur de trouver le bon rythme de sa scène. Beaucoup de ces plans vont comporter les sons essentiels à la rythmique dramatique de la scène.
AFSI : Comment aborde-t-on la course ?
EK : Ma première rencontre avec Michael Chaves a été très efficace. Il m’a demandé comment je travaillais avec le son direct. J’ai répondu très sincèrement que mon habitude c’était de m’adapter aux besoins d’un film mais qu’en France on faisait des trucs qui pouvaient sembler exotiques pour les Américains comme enregistrer les sons des pas etc. Il m’a laissé parler et a juste dit : « OK ! I love this, I want this in my film… »
Et puis il m’a expliqué que sur son film précédent il avait dû refaire beaucoup de choses en post production et que ça l’avait rendu malheureux parce que, pour lui, le film est plus effrayant s’il y a un bon son direct, une bascule plus contrastée entre le réel et le fantastique.
JJ: J'ai travaillé pour la première fois avec Michael sur son film précédent, The Conjuring 3. C'était une expérience pas simple pour moi car je suis arrivé vers la fin du processus de post-production, environ un mois avant les doublages et une semaine avant un mixage provisoire pour une avant-première (normalement, je commence à superviser pendant la phase de montage "director's cut" (aux E-U le "director's cut correspond à la phase ou le cinéaste vient se mettre à la table de montage avec le monteur pour remonter le film après une première version présentée à la prroduction). J'ai donc dû me mettre rapidement au diapason et et bien comprendre ce que Michael attendait. J'ai rapidement appris que notre esthétique était similaire : nous recherchions tous deux des rythmes et des contrastes, des hauts et des bas, du calme et des surprises. Nous avons eu quelques discussions mais, en raison du calendrier serré, nous avons surtout collaboré lors de la phase finale de mixage, où le temps était précieux, les heures en audi très coûteuses et où il n'y a pas beaucoup de place à l'erreur. De cette expérience est née une bande sonore dynamique, musicale et audacieuse, autant d'éléments qui tenaient à cœur à Michael.
AFSI : Techniquement c’est difficile de faire un son propre avec un dispositif sur le plateau où l’image réclame des besoins spéciaux, SFX notamment?
EK : Oui et non. Dans la mesure où Michael Chaves savait qu’il voulait garder le son direct, miraculeusement les choses se sont présentées sur le plateau de manière à ce que ce soit possible. Les solutions sont rarement de l'ordre technique, c'est très souvent dans les choix fait par la mise en scène. Les décors sonnaient bien, les sols offraient des sons de pas crédibles. C’est le côté calibré du travail à l’américaine, les engagements pris sont respectés. Les techniciens sur le plateau étaient d'un niveau exceptionnel à tous les départements, à l'electricité et à la machinerie, à la mise en scène aussi, aux costumes... tous très exigeant vis à vis du son. Le professionnalisme des SFX était là aussi, ils ont fait les efforts pour nous dans la limite du possible et ensuite il y a des arbitrages qui sont des choix de Michael lui-même en fonction des scènes et du degré d'importance du son direct à l'instant t. En réalité, le plus difficile était d'arriver à garder le silence autour du set. Ça a été le plus difficile pour moi, de mettre en place un travail périphérique au plateau pour que tout le monde sache quand on tourne ou pas… ça a été parfois très fatiguant à suivre de près et les assistants mise en scène (PA) ont été très engagés sur ce dossier, ils m’ont beaucoup aidé.
JJ: La bande sonore d’un film peut souffrir considérablement de l'absence d’un bon son direct. La quantité de doublages (ADR) augmente vite, les fonds naturels qui enveloppent les voix disparaissent et certaines phrases dont la musicalité est parfaite dans le direct ne peuvent être gardées à cause du manque de silence peuvent être un crève cœur à refaire. Parfois le public entend les fonds denses bouger dans le mixage paroles. Erwan et moi nous sommes rencontrés sur Zoom avant le tournage et nous avons échangé sur l'importance d'un son propre pour tout ce qui allait suivre par la suite. J’ai aussi parlé avec Michael et insisté sur l'importance du travail qu’ Erwan allait faire sur le plateau. Il a accepté à 100 % et s'est montré très enthousiaste à propos du tournage.
AFSI : Tu as fait beaucoup de sons seul sur le plateau?
EK : D’habitude j’en fais beaucoup mais là, non, très peu. Pour trois raisons. La première c’est que, sur des films avec ces budgets, ils peuvent faire ce qu’ils veulent en cours de post production, le temps de plateau est entièrement consacré à l’image. Cet univers narratif est peu naturaliste et situé dans les années 50 avec une esthétique édulcorée, il y a donc peu de sons que l’on aura du mal à faire en post production. La deuxième raison c’est que avec l’horreur on tourne beaucoup de plans et le rythme donné par le montage changera considérablement l’impression de réel une fois la scène montée. À titre d’exemple, on a tourné une séquence en 60 plans. Il est donc quasiment impossible d’enregistrer un cri en sachant si c’est l’intention juste, celle dont on aura besoin sur la table de montage. La troisième raison, c’est que Michael sait que le rythme doit se faire au montage. Il a donc presque systématiquement filmé les sons dont il avait besoin pour la dramaturgie, pour que le montage puisse commencer le montage avec ces outils rythmiques et narratifs contenus dans le son. On a donc souvent eu tous les sons seuls dont on avait besoin en filmant. L’insert sur la poignée de porte qui fait clic, les pas avec les chaussons sur le sol de pierres, la porte qui grince etc. Lorsque l’image nous empêchait d’être assez proche, on se servait des off pour récupérer les sons. Certains dialogues aussi on été récupérés comme ça, par le off. Les acteurs et actrices voyaient très bien qu’on enregistrait les off et nous concédaient des bonnes versions chuchotées avec le micro à quelques centimètres de leurs bouches, en situation de jeu, c’est cool.
JJ: La plupart des films "hollywoodiens" subissent une véritable transformation en post-production. Tout est soit amélioré, soit remplacé, des ambiances de fond aux effets spéciaux (portes, voitures, etc.) et surtout aux bruits de pas et à la manipulation des accessoires. C'est la procédure standard. La Nonne II n'a pas dérogé à la règle, d'autant plus qu'il s'agit d'un film d'époque et que nous devions créer l'illusion sonore de la France des années 1950. Cependant, à de nombreux moments du mixage, nous avons eu le luxe d'utiliser les sons magnifiquement enregistrés sur le plateau plutôt que d'opter automatiquement pour des effets spéciaux ou des bruitages. Il y a une magie dans les sons enregistrés dans des espaces réels ; cela aide le public à se connecter à l'histoire et aux personnages. Erwan a réussi à capter des sons étonnants, des bruits de pas hors champ dans un couloir en pierre, des marches subtiles sur des débris dans une chapelle, et la liste est encore longue. Michael a adoré cette flexibilité, qui a permis de relier l'image montée au sentiment qu'il recherchait sur le plateau. Si seulement tous les films étaient comme celui-ci !
AFSI : La post production aux USA impose de travailler de manière différente par rapport à nos habitudes, tu l’as ressenti Erwan ?
EK : Ils ont des architectures de travail différentes parce qu’il y a plus de personnel, plus d’intermédiaires, et donc il faut fluidifier le travail au maximum pour que tout le monde comprenne ce qui a été fait, où, et comment… ça standardise le geste de travail, c'est sûr, mais ça m’a aussi fait découvrir des choses très intéressantes. L’organisation des pistes, le mixdown est utilisé différemment… La demande pour la répartition des pistes était : mixdown mono perche + hf puis mixdown perche + appoints... puis les hF en pistes séparées et, enfin, plus loin les pistes qui n'interviennent pas avant le montage paroles : perches, micros d'appoint, stéréos etc. Ils étaient très respectueux de l'utilisation du Cantarx3 qui a réputation de Rolls Royce chez eux et m'ont simplement demandé de faire quelques réglages particuliers pour rendre plus fluide le travail avec leurs machines. Mais globalement la post-production sur ce film procédait de la même manière que nous. La perche est privilégiée, les HF remis en phase etc. Gregory Plotkin, le monteur, a été chercher les respirations dans les plans pour boucher les moments où Michael parlait sur le plateau aux jeunes comédiennes. Il a même appuyé auprès de Michael pour que l’on refasse des sons seuls avec les rôles …
JJ: Michael n'a cessé de répéter à quel point il aimait et appréciait le côté « artisans » des techniciens en France. Chaque département traite son travail comme une forme d'art plutôt que comme un travail. Bien sûr, en entendant cela, nous, les Américains, avons dû nous surpasser :)
AFSI : Jay, comment se déroule ton travail en phase de montage? Quand commences tu à fournir des sons? Quels sons commences tu à fabriquer?
JJ: Certains monteurs ont des bibliothèques de sons qu'ils connaissent bien et auxquelles ils sont habitués, tandis que d'autres demandent des sons sur mesure au sound designer afin que le style du film puisse être établi dès le départ. La Nonne II se situe quelque part entre les deux. Comme il n'y a pas eu de demande formelle de sons au début de la phase de montage (pendant l'assemblage du director's cut), j'ai créé un large éventail de sons sans savoir ce qui serait nécessaire ou utilisé ensuite. Des portes effrayantes, des ambiances inquiétantes, des grondements, des drones, etc.
AFSI : Comment travailles tu sur les dialogues … Il y a des outils spécifiques pour un film d’horreur?
JJ: David Butler a supervisé le montage des dialogues et s'est chargé de toutes ces tâches lourdes. Pour tous les films, la clarté des dialogues est primordiale. Dave a donc passé beaucoup de temps à préparer des prises avec des doubles des phrases, parfois seulement des syllabes lorsque les mots n'étaient pas aussi clairs qu'ils auraient pu l'être. Il emploie également une multitude de logiciels de réduction du bruit, qu'il utilise habilement et chirurgicalement, uniquement lorsque c'est nécessaire.
AFSI : Comment travailles tu avec le mixeur? Il te demande des choses spécifiques ?
JJ : Julian Slater (mix paroles et montage son) et John Marquis (mix effets) ont mixé le film et ont fait un travail formidable. Il y a eu plusieurs pré-mixages avant de commencer le mixage final, de sorte que le ton et le style du film a été défini et validé par le réalisateur progressivement. Au moment du mix final, l'objectif était alors d'affiner les idées et de s'assurer que nous conservions la bonne courbe pour arriver aux moments qui fonctionnaient bien en pré-mix et que nous ne les cassions pas, en particulier pour les "frayeurs". Souvent, dans un mixage temporaire, lorsque le temps est limité, des choses magiques se produisent, les réalisateurs s'y attachent et le public réagit souvent bien à ces trouvailles spontanées. Si vous brisez ce moment dans la version finale en lissant les aspérités ou en écrasant trop certaines audaces, vous perdez la magie. Il s'agissait donc de trouver un équilibre entre la volonté d'améliorer et de rehausser, mais pas de diminuer ou de ruiner, ce que Julian et John ont fait avec professionnalisme et grâce.
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