Rencontre avec Nadine Muse, monteuse son
Plusieurs fois nommée pour le César du meilleur son, Nadine Muse est une monteuse son reconnue qui a travaillé avec de grands réalisateurs tels que Michel Hazanavicius, Michael Haneke ou encore Patrice Chéreau. Mais la richesse de son parcours réside surtout dans le fait qu'elle a vécu les deux grandes révolutions de la profession : l’avénement du montage son comme étape à part entière de la post-production d’un film, puis, le passage de l’analogique au numérique. Elle a accepté de partager avec nous son expérience.
Nadine Muse en compagnie de Théo, le chien de Leos Carax, pendant le montage son de son film Les Amants du Pont-Neuf (on aperçoit derrière les bandes des sons seuls)
Les étudiants : Comment as-tu commencé à travailler ?
Nadine Muse : J'ai débuté comme stagiaire, puis assistante monteuse image. À l’époque, le montage son se réduisait encore souvent à simplement monter la piste son de la copie de travail. C’était les assistants (voire même les stagiaires) qui s’en chargeaient car, étant présents lors de toutes les étapes de la post-production, ils connaissaient parfaitement les rushes et la matière disponible. Ensuite, pour le mixage, le chef monteur image et ses assistant éclataient cette copie de travail en pistes paroles (3 ou 4), post synchro, effets, ambiances, bruitages et musique, comme maintenant quoi ! Le premier film sur lequel j’ai travaillé comme stagiaire, Le Cerveau (Gérard Oury, 1969), nécessitait une version française et une version internationale en anglais. Les américains avaient demandé une bande son un peu plus travaillée, qui correspondait à ce qui se faisait alors déjà outre-atlantique. Fait encore rare à l’époque, la production avait donc embauché une monteuse exclusivement chargée du son : Dominique Amy (qui avait une formation musicale et était la femme du compositeur et chef d’orchestre Gilbert Amy). Je l’ai assistée pendant presque un an. Elle s’occupait par exemple de marquer la pellicule, pour montrer aux assistants où monter les éléments sonores dans la bande. J’étais pour ma part notamment chargée de faire repiquer les sons qu’elle désirait à la sonothèque.
Le service repiquage des anciens studios PSB de Billancourt
Est-ce que ton expérience préliminaire sur Le Cerveau a influencé ton choix de faire du montage son ?
Inévitablement, oui. Au départ, je me voyais seulement faire du montage image ; j’imagine que c’est lors de mes premiers stages que les monteurs se sont rendu compte que j'aimais bien manipuler la matière sonore. Ainsi, en parallèle de mon travail d’assistante monteuse image, j'étais souvent sollicitée pour m’occuper également du son des films sur lesquels je travaillais. Au bout de cinq ans d'assistanat, on m'a proposé mon premier véritable montage son en indépendante, sur Le retour de la 7ème compagnie (Robert Lamoureux, 1975). Au final, les films qu'on me proposait au son étaient peut-être plus intéressants que ceux sur lesquels j’aurais pu travailler comme monteuse image ! En effet, il commençait à y avoir de plus en plus de demandes des réalisateurs qui allaient vers une élaboration plus complexe de la bande son des films. Peut-être étais-ce dû à l’influence du cinéma d’action américain… En tous cas, il y a eu une envolée à partir des années 80 et tous les films ont commencé à avoir un véritable montage son. Je pense que cette généralisation des montages son était aussi la conséquence de la diminution des temps de montage, qui a fait que les monteurs image n’ont plus pu assurer ce travail et ont commencé à le déléguer, parfois à leurs assistants qui se retrouvaient donc chefs monteurs son.
Tu es donc arrivée à une époque charnière…
Oui, car même si chaque studio tenait auparavant une sonothèque comportant tous les sons des films précédents enregistrés sur bandes magnétiques, l’étape de montage son et le poste associé n'existaient alors pas en tant que tels. Comme les films étaient souvent montés directement dans les studios de tournage, l’équipe du film était juste à côté. C’était donc plus facile et presque naturel d’aller voir l’ingénieur du son pour lui demander d’enregistrer quelques sons seuls d’ambiances. C’était d’ailleurs très fréquent qu’il s’occupe aussi de l'enregistrement des doublages et des bruitages... voire parfois même du mixage ! On travaillait alors encore en magnétique, sur du 35 mm. On ne pouvait écouter les pistes que trois par trois, mais finalement, il y avait peu de mauvaises surprises au mixage. Puis, dans les années 90, le numérique est arrivé, et avec lui une technicité qu'il n'y avait pas avant. Petit à petit, notre champ de travail s’est élargi, jusqu’à aujourd’hui lorgner sur l’étape du mixage. Le métier est devenu très spécifique et complexe, ce qui ne permet plus aux mêmes profils de rentrer dans la profession. Mais je n'ai pas de regrets, c'est tellement plus simple maintenant ! Puis le fond reste le même. Ce qui est important, c'est de comprendre ce que veut le réalisateur et quelles sont ses intentions sonores. Alain Resnais disait : « On doit n’entendre qu’un son à la fois. » C’est peut-être une position extrémiste mais il faisait partie de ces réalisateurs, rares, qui savent ce qu’ils veulent. Avec eux, on apprend tout le temps, car ils nous forcent à regarder et penser le film d’une certaine façon : la leur.
Devant la centaine de cartons des élément 35 mm du film Hôtel de France (1987, Patrice Chéreau) avec Mathilde la stagiaire
As-tu l'impression que la sensibilité des réalisateurs vis-à-vis du son a changé ?
Non, leurs demandes sont simplement plus complexes, parce qu'ils savent que nos moyens évoluent en adéquation. Pour faire simple, on peut monter plus de sons et plus vite - alors qu’avant, il m’arrivait de composer « à l’écrit » avant de couper la bande. Maintenant, on n’est plus restreint au nécessaire, donc on nous demande de proposer plus d’options. Une autre conséquence de l’évolution des outils (et du montage virtuel en particulier), c’est qu’il est devenu plus facile de monter de façon non-linéaire. Finalement, il n’y a que leur exigence et leur sensibilité vis-à-vis du son direct qui s’est peut-être amoindrie. Mais si la forme de notre travail a changé (vis-à-vis de la quantité et la complexité des sons que l’on peut monter), la sensibilité du réalisateur reste primordiale, qu’il ait une idée précise de ce qu’il veut ou non. Par exemple, dernièrement, j’ai beaucoup aimé le son de deux films pourtant complètement différents : Mad Max: Fury Road (George Miller, 2015) et 120 battements par minute (Robin Campillo, 2017). Ils montrent très bien, chacun à leur manière, la sensibilité particulière de leurs réalisateurs sur le travail du son.
Tu collabores régulièrement avec Haneke et Hazanavicius, deux réalisateurs que tout semble opposer cinématographiquement. Est-ce que tu peux nous parler de la façon dont ils abordent le montage son de leurs films ?
J'ai dit un jour à Hazanavicius : « En fait, tu es comme Haneke ! Déjà, vous avez le même prénom... » Alors certes, ils n’ont pas les mêmes goûts ni la même esthétique, mais ils ont la même exigence sur le rendu sonore de leurs films. Et ce n’est pas anodin : ils ont chacun un univers cinématographique tellement singulier ! Pour les OSS 117 par exemple, Hazanavicius désirait un son très typé années 60 (jusqu’à demander le son des coups de poing de Belmondo !). Si l’influence n’est pas forcément audible dans le résultat final, ça nous a donné une direction forte, comme un mouvement pour la fabrication de la bande son. De la même manière, sur The Search (2014), il voulait s’éloigner le plus possible du son de film de guerre à l’américaine pour retrouver une esthétique plus proche du documentaire. Haneke, lui, est beaucoup plus précis dans ses envies. Il sait exactement quelle matière sonore il veut à chaque moment du film, et ce dès l’écriture du scénario. Cette recherche du son parfait peut d’ailleurs parfois prendre des proportions folles ! Sur son film La pianiste (2001), Haneke souhaitait que l’on entende lors d’une scène un verre chuter au sol, en off. Comme j’avais déjà monté plusieurs propositions dont aucune ne l’avait convaincu, on avait reporté la fabrication du son au bruitage. Après 3 heures d’essais infructueux avec Jean-Pierre Laforce, on a craqué… On pensait avoir tout tenté : depuis une table, une chaise, plus haut, plus bas, à 2 m, 3 m, avec plus ou moins d’eau, etc. Il a fallu continuer jusqu’à tard le soir pour trouver LE son de verre qui tombe moelleusement au sol en off que Haneke avait précisément dans l’oreille. Tout ça pour montrer qu’ils ont chacun à leur manière le film dans leur tête et que si certaines exigences peuvent sembler farfelues ou excessivement compliquées, en leur faisant confiance, on finit par s’apercevoir qu’elles servent la mise-en-scène.
Nadine Muse au travail sur un banc de montage son analogique pour Une Pure Formalité (1994, Giuseppe Tornatore)
Tu préfères donc travailler avec des réalisateurs exigeants…
Bien sûr ! Un réalisateur qui dit toujours « Oui, c'est très bien. », je ne trouve pas ça très excitant. Je ne prends pas beaucoup de plaisir à monter le son de son film et j’ai vite l'impression de ne plus avancer. J'aime bien être tirée vers le haut, être stimulée par la contrainte. D’ailleurs, les réalisateurs exigeants le sont souvent dès le tournage, avec le son direct !
Quelle place aujourd'hui pour les monteurs image dans l’élaboration de la bande son du film ?
Leur désertion des auditoriums est l’une des évolutions majeures de la post-production. Évidemment, il existe toujours des monteurs image qui portent une attention particulière à la bande son du film - pas seulement les plus anciens d’entre eux d’ailleurs ! Mais il faut reconnaître qu’ils se font rares. C’est vraisemblablement lié à l’apparition des directeurs de post-production ; même si ces derniers ne dépassent que rarement le poids artistique que peut représenter le monteur image. Ce faisant, les réalisateurs perdent peut-être l’habitude de se reposer sur leur monteur de cette façon. Je pense pourtant qu’il est important de continuer à interroger leur ressenti, surtout au mixage. Après tout, ils ont la mémoire de la genèse du film.
Un dernier mot ?
L’essentiel, pour moi, c'est que le réalisateur insuffle l'idée générale. Et cela n'a pas changé, ça traverse le temps et les évolutions. Le métier se transforme petit à petit, mais si on ne perd pas de vue l'essentiel, qu'importe la technique.
Interview menée par Aloyse Launay, Jules Laurin, Valère Raigneau et Théo Serror. Retranscription d’Aloyse Launay. Merci à Nadine Muse pour son temps, ses anecdotes et les photos.
Filmographie sélective de Nadine Muse comme monteuse son :
- The Search (2014), Michel Hazanavicius
- La Vénus à la fourrure (2013), Roman Polanski
- Amour (2012), Michael Haneke
- The Artist (2011), Michel Hazanavicius
- Persécution (2009), Patrice Chéreau
- OSS 117 : Rio ne répond plus (2009), Michel Hazanavicius
- Funny Games U.S. (2007), Michael Haneke
- OSS 117 : Le Caire, nid d’espions (2006), Michel Hazanavicius
- La Pianiste (2001), Michael Haneke
- Intimité (2001), Patrice Chéreau
- Les Enfants du marais (1999), Jean Becker
- Ceux qui m’aiment prendront le train (1998), Patrice Chéreau
- Les Amants du Pont-Neuf (1991), Leos Carax
- Hôtel de France (1987), Patrice Chéreau
- Mortelle randonnée (1983), Claude Miller
- L’As des as (1982), Gérard Oury
- La Chèvre (1981), Francis Veber
- Garde à vue (1981), Claude Miller
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