César du son 2023 - Entretien avec Dominik Moll
La Nuit du 12 a reçu sept Césars, dont celui du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur adaptation, meilleur espoir masculin, meilleur acteur dans un second rôle, César des lycéens, et … meilleur son pour François Maurel, Olivier Mortier et Luc Thomas ! Le film était nommé également pour l’image, le montage, la décoration et la musique. C’est un film qui s’impose par un besoin de mettre les mots en avant et de leur faire trancher le silence du quotidien. Caroline Benjo, productrice du film, l’a très bien dit lors de la cérémonie : c’est un film qui pose la question de l’écoute, un film où les hommes écoutent d’autres hommes parler des femmes.
C’est extrêmement fort je trouve car ton film est honoré non seulement comme film mais en temps qu’il pose le son au centre de sa nécessité politique et esthétique. Le son d’un film c’est un espace politique pour toi ?
DM: Je crois que tout travail est un espace politique. Dans les métiers du cinéma, au-delà du contenu d’un film, le fait de prendre son travail au sérieux, de prendre celui des autres au sérieux, que ce soit les techniciens ou les comédiens, de leur donner la possibilité de faire leur travail sérieusement, d’être dans l’écoute et dans l’échange, oui, on peut considérer que c’est politique. C’est aussi une question de respect. Et puis cela bénéficie au film. En ce qui concerne le son, j’essaie dans la mesure du possible de choisir des décors qui permettront à François Maurel et Fred Messa de faire leur travail de preneurs de son le mieux possible.
Il y a une idée qui m’est personnellement très chère c’est l’absence de performance de la technique. Les outils ou les moyens matériels dont disposent les policiers dans le film ne sont pas le nerf de la guerre. De plus, dans ton film, l’image est un problème, au sens où l’on vit sur des images toutes faites, il y a même cette scène où l’image n’a pas de son et il faut réinventer la bande son. La problématique de ces policiers c’est aussi une réflexion de cinéaste ?
DM: Disons que les enquêteurs de la PJ aimeraient quand même bien avoir plus de moyens et plus de personnel pour mieux faire leur boulot et pour éviter qu’une enquête chasse l’autre. Mais on voit bien aussi que, même si par exemple les fichiers ADN ont permis d’accélérer certaines procédures, le nerf de la guerre reste l’humain. Dans la fabrication d’un film, c’est pareil, la technique est un outil, mais si on n’a pas d’idées, ça ne sert pas à grand chose. Il faut chercher, se questionner, questionner la narration. Comment montrer un meurtre sordide sans être complaisant, sans être dans le voyeurisme ? Une des choses qu’on a essayé, c’est effectivement de faire disparaître tout le son direct à ce moment là. C’est la musique qui prend le relais, une musique à contre-emploi, pas dramatisante.
Le film accorde cette importance aux mots. Le personnage de Marceau (Bouli Lanners) est pour moi porteur de cette idée et à la limite de tomber dans l’intolérance. Comment as tu travaillé les dialogues? Comment tords tu le cou au réel pour obtenir des dialogues aussi serrés et aussi précis dans les idées?
DM: Le problème du polar c’est que c’est un terrain qui a été tellement balisé par la télé que très vite, dès qu’on écrit un dialogue, on se dit « oh merde, on dirait un mauvais téléfilm ». Avec mon complice Gilles Marchand, nous étions un peu obsédés par cette question. Par exemple, pour la scène des constatations sur la scène de crime. Du coup on a fini par choisir de ne pas avoir de dialogues du tout sur cette scène (ou vraiment très peu), d’être dans une logique presque melvillienne de gestes et de regards, pour retrouver une certaine singularité. Par ailleurs, nous avions la chance de pouvoir nous appuyer sur le livre de Pauline Guéna qui avait passée 1 an en immersion à la PJ de Versailles. Du coup, le livre était rempli de formidables dialogues qu’elle avait pu noter, sur des choses très banales mais aussi par exemple lors des interrogatoires des suspects. Moi-même j’en ai noté quelques-uns lors de mon immersion d’une semaine à la PJ de Grenoble. Je pense qu’un des secrets de la précision et de la justesse c’est de se documenter, encore, encore et encore. Plus on se documente sur l’univers qu’on veut décrire, mieux c’est. Le réel est tellement riche et inventif. Quitte à parfois s’en éloigner après, car on est quand même dans une fiction. Tous les dialogues qui parlent du rapport hommes/femmes (Marceau qui se confie à Yohan, Yohan qui se confie à la juge) ont été écrits par Gilles, qui est un formidable dialoguiste.
Les voix ont un équilibre extrêmement subtil entre naturalisme et littérature (c’est mon ressenti très personnel) très bien porté par Bastien Bouillon, mais tous les personnages composent cette fresque d’un drame ordinaire qui semble peint sur une toile. Comment procèdes tu avec les acteurs et les actrices du films?
DM: Le choix des comédien.ne.s est évidemment primordial. J’ai la chance de travailler avec deux formidables directrices de casting, Agathe Hassenforder et Fanny de Donceel, qui ont fait des essais avec plus de 150 comédiens, notamment pour le groupe des enquêteurs, où c’était important de trouver des individualités, mais aussi une dynamique de groupe qui fonctionne. Les différences dans les timbres de voix y contribuent aussi, même si ce n’est pas un facteur déterminant. En ce qui concerne Bastien, il est vrai qu’il a une voix assez particulière, ce qui contribue à la singularité du personnage, et comme c’est un personnage qui se livre peu, beaucoup de choses passent par le regard.
Pour moi, le plus important est de choisir le (la) bon (ne) comédien (ne) pour chaque rôle. Ne pas se tromper dans ce choix représente 80 % du travail de direction d’acteur. Il est bien sûr également important qu’ils aient des choses intéressantes à jouer, donc ils doivent trouver de quoi manger dans le scénario. Après je suis plutôt adepte de ne pas noyer les acteurs sous des tonnes d’indications (je ne donne pas de biographies des personnages), mais de définir des mots clés. Par exemple pour Harry un ami qui vous veut du bien j’avais dit à Sergi Lopez que Harry était sincère dans tout ce qu’il disait ou faisait, c’est ce qui définissait le personnage. Pour le personnage de Yohan dans La Nuit du 12, on avait parlé avec Bastien de droiture, et du fait que Yohan se mettait des garde-fous (le stricte respect de la procédure, l’exercice du vélodrome, l’absence de vie de famille) pour ne se laisser submerger par les émotions comme Marceau. Ce qui est également important c’est d’établir un rapport de confiance. Que le comédien se sente regardé, qu’il sente qu’on est attentif à ce qu’il fait, mais qu’on hésite pas à lui dire quand on sent que quelque chose ne fonctionne pas dans le jeu, afin qu’on puisse chercher ensemble comment rectifier le tir. Ce peut être parce qu’une didascalie du scénario a été sur-interprétée, qu’un dialogue ne fonctionne pas et qu’il faut le modifier ou le couper. Je crois au fait de chercher et trouver ensemble. Je ne fais pas énormément de prises, entre 3 et 8, j’ai gardé une discipline qui vient de la pellicule. Je sais qu'une prise est bonne quand je me suis laissé embarquer par le jeu.
Quelle forme prend l’espace du son dans le temps de la fabrication du film, c’est difficile pour toi ?
DM: C’est vrai que le film est un mélange de réalisme qui vient de la documentation sur le travail de la police et l’envie d’en montrer aussi le côté ingrat et peu « sexy » (à travers la lourdeur de la procédure par exemple), et un aspect clairement fictionnel qui n’a pas peur s’éloigner de ce réalisme (par exemple lorsque les visages des suspects se superposent sur celui de Yohan), ou de choix de décors qui sont très graphiques (par exemple le vélodrome). Ça passe aussi par la mise en scène, l’image, le découpage, la musique, le son bien sûr.
Le rapport au réel est crucial, d’où pour moi cette précision du travail du son direct de François Maurel et Fred Messa sur le plateau, en phase de post production. Tu investis comment l’espace ou les possibilités que t’offre le montage son ici en compagnie de Olivier Mortier ?
DM: Pour le tournage j’essaie vraiment de garantir les meilleures conditions possibles à la prise de son directe. Sur le tournage de Le Moine, j’avais fait déplacer un groupe électrogène pourtant insonorisé, parce que François l’entendait toujours. Les électros ont halluciné, mais ils ont dû tirer 200m de câbles en plus pour éloigner le groupe. Évidemment plus les voix sont propres et belles, plus ont peut travailler autour par la suite. François et Fred font aussi beaucoup de sons d’ambiances ou de sons seuls, en restant sur les décors après le tournage, et c’est précieux pour la suite. Ce que j’aime dans le travail du montage son, et c’est quelque chose que j’ai vraiment appris et découvert grâce à Gérard Hardy sur le montage son de Harry un ami qui vous veut du bien, c’est de partir de sons réalistes, et de les travailler d’une telle façon qu’elles vont renforcer la dramaturgie ou la tension ou l’étrangeté d’une scène. Ça peut être le bourdonnement d’un frigo, le cri d’un oiseau, le cliquetis d’un vélo etc. Selon l’endroit où le son est placé, comment il est travaillé, ça peut vraiment rehausser une scène, sans que le spectateur en soit vraiment conscient, sans être ostentatoire. Avec Olivier Mortier nous avons travaillé dans ce sens. Avec des choix assez tranchés, comme par exemple l’interdiction d’entendre une seule sonnerie de téléphone dans les bureaux de la PJ. Ces sonneries sont un vrai cliché (vade retro téléfilm !) et en vrai on en entend très peu dans les couloirs de la PJ. C’est comme pour les open space qu’on voit tout le temps dans les téléfilms alors que la plupart du temps les enquêteurs sont à deux dans de petits bureaux. Je suis aussi assez exigeant sur l’utilisation des oiseaux (étant un peu ornitho sur les bords), j’avais fourni une liste d’oiseaux qu’Olivier avait le droit d’utiliser, selon l’environnement ou se situait l’action. Cette exigence là apporte aussi de la précision, et pousse chaque technicien à rehausser son propre niveau d’exigence.
Le film s’ouvre sur le vélo qui tourne sur un anneau et la musique rythme les battements du cerveau du cycliste (c’est ici aussi la façon dont j’ai reçu les images et les sons que tu y as collé et ça n’engage que ma perception ici :)) Comment travailles tu avec la musique? C’est toujours difficile d’envisager la musique car elle travaille au service de l’image, c’est un peu l’espace opposé du son direct pour moi et le montage son est une sorte de lieu de passage.
DM: Et bien justement, je pense que c’est mieux que la musique ne soit pas au service de l’image ! Dans la mesure du possible, et c’est ce qui s’est passé sur La Nuit du 12 avec Olivier Marguerit, je demande que le compositeur propose des maquettes sur lecture du scénario, donc avant le tournage et avant d’avoir vu la moindre image. Je crois que cela laisse le compositeur beaucoup plus libre. Les images peuvent avoir quelque chose de contraignant. Olivier a donc proposé beaucoup de maquettes en amont du tournage, avec cette formidable idée d’utiliser des voix, qui rappellent à la fois la présence des fantômes qui hantent les enquêteurs, le battement du cerveau du cycliste comme tu dis, et aussi le souffle et l’essoufflement. J’étais tout de suite conquis par ses propositions et la plupart d’entre elles sont restées dans le film, même si par la suite Olivier les a bien sûr affinés et adaptés. Cela permet aussi pendant le montage de faire évoluer le montage en même temps que la musique, d’essayer dès le débuts des choses avec des musiques faites pour le film, sans avoir recours aux « temp-tracks » (donc des musiques préexistantes provenant d’autres films) qui sont une vraies plaie pour le réalisateur, le monteur, et le compositeur parce qu’on s’y habitue et que le compositeur est obligé de composer par la suite la même chose, mais sans faire la même chose, un cauchemar ! Et cela permet aussi pendant le montage son de faire en sorte que montage son et musique se répondent et se complètent, plutôt que de se parasiter.
À lire, entretien avec François Maurel à propos du travail du son sur le plateau :
https://www.afsi.eu/articles/edition/117491
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