Pourquoi on ne comprend rien aux dialogues des films français ?
Ce reproche revient souvent depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux et dans des articles publiés dans les médias. On ne comprend rien aux dialogues des films français. J'ai même trouvé des blogs proposant aux spectateurs les meilleurs casques et amplis pour corriger les défauts d'intelligibilité des dialogues.
Pour expliquer ce phénomène, plusieurs pistes ont été avancées dans la presse, mais pour faire bref, j'ai recoupé trois explications principales dans les articles trouvés sur le sujet (Vous pourrez lire les articles complets en lien en bas de cet article) :
1 : Les comédiens articuleraient de plus en plus mal, compenseraient moins qu'avant les séquences chuchotées ou criées, et l'exigence des réalisateurs quant à la diction aurait diminué.
2 : Les tournages laisseraient de moins en moins la priorité à l'équipe son pour travailler correctement.
3 : Certaines salles de cinéma auraient une mauvaise acoustique.
Alors certes, ces causes existent, mais elles ne forment pas le noeud du problème.
Il y a d'abord une première raison, qui ne concerne pas les écoutes en salle de cinéma. Pour commencer, il faut distinguer les différentes situations d'écoute, dont les deux extrêmes, en terme de qualité, sont l'écoute en salle de cinéma, et l'écoute sur les enceintes intégrées de l'ordinateur ou du smartphone, ou sur la petite hi-fi du salon.
On sait que dans la seconde situation, il y a souvent un phénomène de sur-mixage des musiques et des effets dû à la réduction du mixage cinéma (minimum 5.1) en stéréo à -23 LUFS, qui est très souvent réalisé automatiquement par un plug in (LtRt, downmixer,...), et souvent pas remixé manuellement. Ce phénomène, vous le connaissez tous, lorsque, télécommande en main, vous montez le son pendant les scènes de dialogues et vous baissez le volume pendant les scènes d'action, d'émotion, ou d'illustration, les scènes non dialoguées, qui, c'est la tendance, sont composées de nombreuses couches de musique et de sound design.
Ces dernières sont déjà très denses et puissantes sur le mixage cinéma, qu'ils soient jugés par les spectateurs comme des effets justes et bien montés ou comme des « tensions dramatiques sonores » destinées à appuyer un peu lourdement l'émotion ou la tension. Pour la diffusion « télé », ces couches sonores multiples, éparpillées dans les différents canaux L, C, R, Lt, Rt, LFE, si ce n'est plus, se retrouvent « réduits » ensemble dans les seules L et R de la stéréo. Et même avec la compensation prévue par les plug-ins, et/ou par les amplificateurs hifi de salon, le mixage Stéréo se retrouve infidèle au mixage cinéma. L'idéal serait donc de remixer manuellement et avec soin pour la diffusion Stereo, et donc de rémunérer les mixeurs en fonction, mais je m'éloigne un peu du sujet du jour...
Mais ce phénomène de sous-mixage des dialogues dans la version Stéréo n'est toujours pas le principal responsable du qu'est ce qu'ils ont dit ? , puisque ce retour est aussi fait par les spectateurs des salles de cinéma.
Alors qu'est ce qui ne va pas ?
Je pense avoir trouvé une réponse, même si elle semble presque trop évidente pour être vraie. En effet, elle se trouve bêtement dans les habitudes d'expérience esthétique (ou de consommation pour utiliser un terme plus branché) des spectateurs.
Je m'explique. Il y a trois cas de figure dans l'écoute des dialogues par le spectateur :
1 : Un film non francophone en VOSTFR. Dans cette situation, le sens des dialogues est donné par les sous titres. Le spectateur n'a donc pas à faire l'effort de chercher le sens dans l'écoute, puisqu'il se situe dans les sous titres, dans l'image. C'est d'ailleurs intéressant, car même si le spectateur doit fournir un autre effort, celui de lire les sous-titres, ses oreilles ne sont plus monopolisées par la recherche du sens des mots et peuvent se concentrer sur le reste, texture, musique, ambiance, détail, effets...
2 : Un film non francophone en VF. Dans cette situation, le spectateur doit saisir le sens des dialogues par l'écoute. Mais il se trouve que les conditions de fabrication des voix est totalement différent de celui des VO, qu'il soit constitué uniquement de prises de son directes ou qu'il soit majoritairement constitué de post-synchro. Il suffit de comparer une VO et une VF, ce qui peut se faire aisément sur les plateformes numériques par exemple. C'est d'ailleurs ce geste qui m'a amené à obtenir ce raisonnement. Dans la VF, les voix sont prises en studio avec des micros large membrane. Les studios ont des acoustiques plutôt neutres. Les comédiens sont à une proximité entre 30cm et un mètre du micro. L'objectif est d'avoir la voix, la belle voix, rien que la voix. Les respirations, réactions, rires et pleurs sont écrits et interprétés au 25e de seconde. Le directeur artistique surveille la diction au millimètre. Les mixeurs ajoutent des reverbs et des filtres, un peu tout le temps les mêmes, et surtout différentes du reste du mixage, en ne sacrifiant jamais la compréhension du sens à l'unité acoustique. Enfin, les voix sont toutes au même niveau, bien détachées du reste, avec une dynamique très serrée, bien « devant », dans une unité impeccable entre elles, et fortement détachées du reste, comme si les effets, la musique et l'ambiance étaient simplement « duckés » sous les voix.
Tout cela facilite la compréhension des dialogues par le spectateur, et limite l'effort à fournir pour aller chercher le sens. La « grammaire sonore » est tout le temps la même, et une fois apprise par le cerveau du spectateur, elle se lit sans effort.
3 : Un film francophone en VO. Dans cette situation, le spectateur écoute le mixage signé par le réalisateur et l'équipe du film. C'est évidemment la situation idéale en terme de réception spectactorielle : pas de sous titres à lire, ni de doublage altérant la direction et l'interprétation originale. Nous avons les comédiens tels qu'ils ont été dirigées par le réalisateur, c'est super. Sauf que c'est là que nos spectateurs trouvent les dialogues inaudibles. Que fait-on quand on réalise un montage et un mixage parole ? On essaye de faire sonner les post synchros au plus près des prises de son direct avec perches et micros-cravates, et même si, de plus en plus on « nettoie » les prises de son direct pour limiter les bruits ambiants et/ou les acoustiques particulières, c'est souvent pour leur redonner la même texture avec plus de maitrise. Selon les films et les partis pris, le mixage oscille entre « son du plan » ( point d'écoute qui correspond au point de vue), « son des dialogues » (les voix au centre et dans une unité de volume et de dynamique) , et « son de l'espace » (acoustique spatiale).
Ce mixage est le meilleur que la réalisatrice et son équipe peuvent espérer. Il peut être soigné, précis et peut exploiter tout ce que l'outil sonore peut offrir au cinéma. Il y a aussi le cas de moins en moins particulier du parti pris d'utiliser des niveaux de langage, des manières de parler et des accents, moins habituels que la langue académique d'il y a cinquante ans. Est ce un mal ? Je ne crois pas, car il existe dans la société de nombreuses manières de parler et de niveaux de langage, et c'est préférable que le cinéma les montre tous, plutôt que de se cantonner à des « bonnes manières » de s'exprimer. Il faut néanmoins maintenir une grande attention au fait qu'un film est fait pour les spectateurs et que leur compréhension est essentielle et primordiale.
Maintenant que nous avons vu les différences entre ces trois situations, on peut aisément comprendre pourquoi les spectateurs habitués à regarder des films en VOST ou en VF, galèrent à comprendre le sens des dialogues des films francophones. En d'autres termes, même si les équipes son doivent être attentives à l'intelligibilité des dialogues, ils sont désarmés face à l'habitude des spectateurs, à travers la VF et la VOST, à moins faire d'efforts pour comprendre les dialogues dans les films. Mais alors pourquoi ce reproche n'arrive que maintenant et pas il y a dix ans ? Peut être parce que nos spectateurs vont moins voir de films français qu'avant ? Mais ça, c'est un autre problème !
Liens :
Un des nombreux reproches : lire ceci
Une des enquetes journalistiques : lire ceci
Pour les autres articles, utilisez Internet, vous allez trouver !
N'hesitez pas à critiquer cette analyse certainement imparfaite et non exhaustive !
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