Hommage à William Flageollet, d'une ancienne assistante des Studios Sarde
10 Mai 2019,
William est parti il y a quelques jours, nous avions jeudi soir rendez-vous au Bar du Sans-Souci pour boire un coup à sa santé ( un concept qui lui aurait sûrement plu ) et évoquer dans une ambiance conviviale et « sans-souci » les souvenirs des moments partagés avec lui. L’heure n’est pas à la nostalgie, car le son d’aujourd’hui ne serait peut-être pas ce qu’il est si William n’était pas passé par là hier, il reste donc de ce point de vue très vivant, mais bien à l’hommage personnel, raconté au travers du prisme de mon propre vécu et donc de l’épopée mythique des studios Philippe Sarde.
A la fois ingénieur du son, mixeur musique et mixeur film, William s’est peut-être lassé d’avoir à ménager la chèvre et le chou car, comme il le disait lui-même dans l’interview qu’il nous a accordé à Thierry Lebon et moi-même il y a 4 ans maintenant,
« j’ai compris au bout d’un certain temps que ça avait un inconvénient de se faire 2 ennemis. Le compositeur parce que la musique n’est pas mixée assez forte, le réalisateur car elle est mixée trop forte ».
Il s’est sûrement dit qu’il serait plus peinard à mixer les ondes stellaires et qu’il pourrait mélanger les ingrédients à sa propre sauce moutarde ( lui qui adorait cuisiner ) sans que cela monte au nez de certains.
William ? Pour moi, c’est le début de la folle aventure des studios Philippe Sarde, où il m’a accueillie en 1986 fraichement sortie de l’école, studio absolument unique en son genre.
Je cite William, avec sa verve habituelle :
« À l’époque le studio Sarde était quand même, je n’hésite pas à le dire, révolutionnaire et pas qu’en France ! Cela faisait quelques années qu’on avait gambergé avec Philippe pour faire un studio musique - comme à la maison - et l’idée maitresse après, c’était d’utiliser ce qu’on savait faire avec le matériel en musique pour l’appliquer au cinéma. Car à Billancourt, il y avait des consoles minables, c’était décalé de 15 ans technologiquement parlant.La cabine musique était dans la chambre des parents et on a utilisé la salle à manger pour faire l’auditorium film que les mixeurs de cinéma appelait la boite à chaussures, mais c’était le studio le mieux équipé et pas que de la place de Paris. Spielberg est venu le visiter avec ses enfants et a dit: « waouh, je vais appeler Georges tout de suite ! » On avait juste oublié une chose, c’est que les mixeurs cinéma n’avaient aucune connaissance du matériel, de l’automation avec les faders motorisés de la console Neve … Et je ne parle pas de tous les problèmes de mise au point qu’on a rencontré. Mais bon, on s’est bien amusé ! »
Donc William, mon mentor, illustre ingénieur du son musique, de Gainsbourg à Cosma, Delerue, Hancock et bien d’autres, mixeur film doublement césarisé, de Tavernier à Kieslowski, c’était celui auprès duquel le rôle d’assistante relevait d’une expérience quotidienne imprévisible et sans cesse réinventée, très stimulante, parfois stressante tant les consignes restaient libres et pour le moins évasives, avec une responsabilité parfois lourde pour une novice.
Déjà il y avait un premier cap à passer. Je ne me souviens quasiment pas de mon entretien d’embauche et des questions posées, à part que c’était dans l’ancienne chambre des parents - je précise pour ceux qui n’auraient pas bien lu avant - chambre reconvertie en studio - mais voilà depuis comment William évoquait le recrutement de ses assistants:
« Quand j’avais un assistant qui postulait, je lui disais de venir, je le mettais dans le studio de mixage et je ne lui parlais pas de toute la journée. Et je voyais comment il réagissait. Il y avait :
1/ ceux qui posait des questions idiotes , en plein milieu et au mauvais moment,
2/ il y avait ceux qui observaient,
3/ ceux qui fuyaient le soir en courant en disant « aah c’est pas pour moi, c’est pas pour moi ! » .
Donc ceux qui attendaient la fin de la journée pour poser les bonnes questions , ceux-là avaient déjà passé la première épreuve. »
J’ imagine donc - ouf - que j’étais de ceux-là.
Et William de continuer :
« Après je leur disais aussi: il faut remplacer le papier toilette et les ampoules, c’est le principe du Tea-boy en Angleterre… »
Ressurgissent donc maintenant en mémoire les folles journées de 8h …12h, parfois 24h d’affilée, ponctuées aux 3x8 des passages chez Sarde des plus grands noms: Corneau, Schatzberg, Marker, Costa-Gavras , Malle , Sautet, Lautner, Zidi , Mikhalkov, Annaud, Besson etc… où, au delà des compétences d’un assistant son pour tous les illustres mixeurs de l’époque qui se bousculaient au portillon pour expérimenter le fameux studio aux magnétos multipistes à bande lisse et à l’automation, au delà du repiquage, de l’azimut des têtes et du chargement des MWA puis des Sondors, il fallait s’improviser - et là je parle au nom de tous mes camarades qui ont vécu la même expérience, Didier évidemment, fidèle assistant de la première heure, mais aussi Hervé, Eric, Stéphane et Adam, il fallait donc s’improviser :
- Mixeur à la place du mixeur, pour des publicitaires bien chiants, et énervés que William leur ait posé un lapin de dernière minute.
- Tour operator pour le cercle privé de Madame Sarde mère, Andrée Gabriel, cantatrice, venue effectuer une visite touristique des studios avec ses copines.
- Psy pour certains réalisateurs.trices,
- Interface de synchronisation d’humeur entre William, Séverin Fleutot et Guy Fouché
- Nounou pour Clara, avec changement non pas de bobine mais de couche, n’est-ce pas Stéphane ?
- Agent de ménage pour au matin faire disparaitre les dernières effluves hallucinogènes de la nuit côté musique, ou les cendres de cigares entassées au fond des faders côté cinéma. Au grand dam de Claude et Bernard , mixeurs diurnes , collant le post-it de 19h sur la console Neve : « jean-Paul, arrête de fumer, penses à ta femme » auquel Jean-Paul, mixeur nocturne, répondait par un autre post-it du matin 6h « C’est justement parce que je pense à ma femme que je fume ! ».
- Conspirateur bon gré, mal gré en participant aux petites manigances d’un génie musicien dont la planification n’était pas le fort,
- Confident pour Monsieur Sarde père,
- Réceptionniste, d’abord des ouvriers venus rajoutés quelques feuilles d’or au plafond de l’auditorium puis des huissiers,
- Beta-testeur « essuyeur de plâtres », après le passage de Daniel Goletti et de ses mises à jour des synchroniseurs Lynx à chaque fois pleines de surprise
- Infirmière pour ce même pauvre Daniel qui, d’excitation, s’était balafré au fer à souder,
- Agent de sécurité, abandonné lâchement par Jean-Paul et William, pour faire face aux ardeurs d’un autre Daniel, producteur zélé dégainant un vrai flingue pour réenregistrer illico presto le son d’un coup de feu qui ne lui plaisait pas dans le mixage, n’est-ce pas Stéphane ?
- Bruiteur improvisé et mixeur nocturne de VI , quand l’appel du canapé et du sommeil devenait trop intense pour William. N’est-ce pas Eric ?
- Couturier méticuleux, pour la réalisation des dentelles de patchs nécessaires, comme disait William, à ses configurations « collection automne/hiver ou printemps/été ». Une complète Prémix/mix/LTRT ressemblait à une forêt vierge, aboutissant parfois après 6h de configuration et 10 minutes de mixage au retour au point Zéro, toute liane rasée. Mais l’arrachage effréné de cables relève de l’ exutoire, n’est-ce pas Adam ?
- Mais surtout il fallait éviter d’être standardiste le vendredi à 20h et de décrocher le téléphone, de peur de tomber sur la voix mielleuse de Philippe et d’être désigné d’office comme victime de ses engagements pris auprès de ses nombreuses relations amicales, et d’être ainsi consigné le week-end pour mixer un documentaire par-ci, un court-métrage par-là.
Bref, nous étions des Tea-boys et Tea-girl en puissance, rodés à tous les services !
Mais quand même , dans tout ça, j’ai tiré le gros lot, j’ai connu le jour où William m’a ainsi propulsée à sa place pour assurer une demi-journée de montage musique avec Clint Eastwood pour le film Bird. Et alors là, l’expérience d’être enfermée seule dans la chambre à coucher des parents Sarde pendant un après-midi avec Clint - que j’adulais évidemment comme n’importe quelle petite fille élevée aux Westerns de S.Leone et à la Trilogie du dollar - relevait du rêve absolu, et c’est évidemment une expérience dont je suis ressortie pas peu fière, même si j’ai probablement dû ce jour là bégayer misérablement quelques mots d’anglais avec un accent plus que frenchy.
William, je vais maintenant m’adresser à toi :
Pour cette période palpitante passée en ta compagnie, pour ta pédagogie que l’on pourrait qualifiée de « pédagogie de la démerde », avec ses bons et ses mauvais côtés, pour tous ces moments intenses que tu m’as permis de vivre dans une ambiance familiale, ponctués des diners au restaurant Le Val d’Isère de la rue de Ponthieu, des plateaux repas de chez Fauchon, tout cela compensant les centaines de sandwichs ingurgités de la Pomme de pain de la galerie du Lido ( c’est peut-être pour cela que je suis maintenant intolérante au gluten ! ) , pour toutes ses heures partagées aussi avec ta fille Fabienne, qui est restée depuis une amie fidèle, pour avoir permis par ton départ que je fasse plus ample connaissance de Clara, ton attachante seconde fille, pour tout cela, je te suis infiniment reconnaissante. Et même si tu étais loin d’être démonstratif en matière d’émotions, et même parfois le roi de la malice et de l’insinuation perfide, j’ai toujours senti ta bienveillance, avec des liens amicaux qui ont perduré plus tard en co-mixage ou au sein des associations d’ingénieur du son, l’USC puis l’ Afsi, dont tu es l’un des initiateurs et pour lesquelles tu as oeuvré dans un rôle souvent d’empêcheur de tourner en rond, avec des fulgurances défiant toutes les théories et routines établies.
L’ingénieur du son que tu as été , fou de travail, amoureux transi du son et de la musique, très fier qu’en 1986 Dolby Amérique ait fait sa pub dans Variety avec des pages entières sur le son de ‘Round Midnight, cet homme visionnaire, très précurseur dans son domaine a maintenant mué en un bel astre qui sans aucun doute nous envoie ses ondes sonores et positives.
Alors bon vent à toi !
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