Atelier : Création sonore dans le jeu vidéo (2011)
CREATION SONORE DANS LE JEU VIDEO
TECHNIQUES ET CONTRAINTES
En ce samedi après-midi, la FEMIS accueillait les professionnels du son et du jeu, dans la salle Jean Renoir. Jean-Marie Viollet, Monteur Son et Designer Sonore, travaille entre autre depuis cinq ans avec Ubisoft, pour qui il est en charge d'enregistrer et de créer des bruitages, des ambiances et des effets sonores. Il s'occupe également du montage son de cinématiques, de manière tout à fait analogue avec le film d'animation. Il a notamment travaillé sur les bandes sonores de titres comme « Les Lapins Crétins : La Grosse Aventure », « Les Lapins Crétins : Retour vers le Passé » et dernièrement « Tintin et le Secret de la Licorne ». Il lança les débats en présentant son approche des effets sonores, techniques et contraintes dans le jeu vidéo. Deux option se présentent, pour l’intégration : le son peut être « streamé » depuis le support de lecture (tête de lecture de la console) ou chargé directement en mémoire (un choix qu'il rend familier avec la phrase : « loading, please wait » !). Cette deuxième possibilité limite la taille des sons. La Wii, par exemple, limite généralement la taille allouée aux sons chargés en mémoire buffer à 10 MO ; il s’agit donc d’optimiser. Le mot employé pour qualifier cette réserve disponible est le « budget », un terme qui reviendra souvent.
Le designer sonore aura affaire à trois type de sons. La zone d’ambiance correspond au montage son d’un lieu étendu, comme une rue extérieure. Ensuite, il y a la sonorisation d’un élément précis, comme un feu de cheminée. Il n’a pas de réelle interactivité mais dépend du déplacement du personnage. Enfin, il y a la sonorisation d’un objet (une intelligence artificielle) qui a un gameplay associé.
Un schéma détaillait ces différents éléments. Entre deux ambiances, il y a une zone de filtre, une transition, par exemple entre l’extérieur et l’intérieur. L’ambiance de rue est en streaming, c’est une boucle. Nombre d’éléments s’y ajoutent, des pigeons, un klaxon, une sirène de police, des voix, un aboiement, joués séparément et aléatoirement.
Dans la pièce intérieure, nous retrouvons la cheminée. Il y a une zone d’entrée à partir de laquelle le feu se fait entendre, puis une deuxième, plus proche, qui lui ajoute d’autres sons.
Par exemple, à six mètres, une boucle de crépitements de base se joue, à laquelle s'ajoutent des claquements aléatoires de feu pour briser la monotonie de la boucle, et qui peuvent être variés en volume et en pitch pour palier la « répétitivité ». A un mètre s'ajoute un nouveau son en boucle qui permettra de jouer sur la proximité d'un point de vue fréquentiel ; tout ceci dans un réglage progressif du volume et de réverbération.
Enfin, une porte automatique, élément interactif, s’ouvre ou se ferme selon la présence du personnage. Ses sons sont décomposés en trois phases : start, loop, stop, avec un timing variable, pour éviter la répétition.
Vint la prise de parole de Timothée Paulevé et Christophe Heral dont la complicité fut tout de suite évidente. Timothée est Lead Audio chez Ubisoft. Après une licence de physique, il poursuit ses études à l’ESAV. Il a travaillé sur les jeux Splinter Cell, Rayman, Tintin et le secret de la Licorne. Christophe Heral est compositeur pour le cinéma, notamment d’animation, sur des films tels que L’Ile de Black Mor ou Kérity, la maison des contes. Il est aussi Sound Designer (La Douce, La queue de la souris, Chienne d’histoire) et directeur artistique audio. En matière de jeux vidéos, il a à son actif Beyond Good and Evil, Rayman Origins et Tintin et le secret de la Licorne (Ubisoft, Paramount).
Ils commencent leur présentation par un retour sur les débuts du jeu vidéo et l’illustre Pong (le très rudimentaire jeu de tennis). A partir de l’ENIAC, en 1956, qui marque officiellement les débuts de l’informatique, en mêlant mécanique et électronique, le jeu devenait possible. Le rebond de la balle crée un « appel de son », mais à l’époque, la sonorisation était absente. Désormais, ce ne sont plus des programmateurs qui s’occupent de la musique mais de vrais compositeurs.
Comment se constitue l’équipe d’un jeu vidéos ? C’est une « Core Team », composée de 5 à 6 personnes, qui déterminent l’écriture du jeu. Il y a un responsable de chaque corps de métier, réunis dès le début de la création. Contrairement au cinéma, la musique et le son sont présents dès le départ. L’équipe est dirigé par un Creative Director (équivalent du réalisateur), qui s’occupe de la narration. Le Game Director est chargé du gameplay. Puis, sont présents le chef animation, le chef graphismes, le Game Play Programer et le Designer sonore. Cette étape et la gestion qui suit se fait en ping-pong, par des échanges constants.
Avec de nombreuses illustrations et extraits interactifs, Christophe et Timothée nous introduisent au design sonore dans le jeu vidéo par leur travail sur Tintin et le secret de la Licorne, dérivé du film de Steven Spielberg. La musique fut interprétée, sous la direction de Christophe Heral, par le Star Pop Orchestra, au studio Davout, à Paris. Un extrait vidéo nous présente la chanteuse qui eut la lourde tâche d’enregistrer la célèbre chanson de la Castafiore « Ah, je ris... ». Comme par hasard, c’est le moment que choisit le bandeau AFSI, accroché sous l’écran, pour s’effondrer, dans l’hilarité générale. Christophe enchaîna sur des photos de différentes ambiances capturées ici et là. Un bateau fut loué pour capturer des ambiances. Des prises de son, en haut du mât, ont servi par la suite, pour la Licorne. Christophe souligna la capacité d’adaptation que nécessite un tel travail, l’ambiance du jeu évoluant au fur et à mesure. C’est un Work in Progress.
La plupart des jeux vidéos sont en 5.1 (parfois en 7.1), à l’exception des consoles portables qui se contentent de la stéréo. Tintin a été conçu pour la Wii, de Nintendo, puis customisé pour les versions XBOX 360 et PS3. La console est un peu moins puissante que ses concurrentes et le nivellement fut, en l’occurrence, fait par le bas. C’est un jeu familial qui correspond plus à cette console, cible privilégiée des enfants. A l’écran, les deux designers nous montrent un squelette du son, en espace. Le jeu détecte le type de sol que touche Tintin, plastique, lino, sable, ce qui détermine le son de ses pas. Course, marche, glissements, retournement, tout cela est à négocier en terme de budget (mémoire). A ce titre, Tintin, en tant que personnage principal, est le mieux équipé.
La ville imaginaire de Baghaar nous permet de visualiser la conception des ambiances sonores. Trois sonorisations de rue y sont disponibles. L’ambiance de base est composée de sons récupérés sur un documentaire tourné au Maroc. La deuxième, moins calme, est construit sur les mêmes bases mais inclue des sons supplémentaires. Le travail ne se fait pas dans le temps, comme au cinéma, mais dans l’espace. Les limites de budget, de stream, les boucles, la taille du disque, obligent à varier, à bidouiller. Il faut en permanence jongler avec des loops de 30 secondes. La troisième ambiance, en bord de mer, intègre un éloignement, couplé à de nouveaux sons, des animaux, une flûte.
Dans le logiciel, des étiquettes représentent les différents éléments de bruitage (pigeons, crickets, joueur de Ney). On se ballade dans la « peinture » sonore. Les passage d’une zone à l’autre ne se font pas entendre, parce que des espaces de transition sont prévus à cet effet (eux-mêmes perturbés par des éléments, comme un cri de coq), des fondus interactifs. Des sortes de nuages blanc, à l’écran, représentent les sons en train de mourir. Le micro (qui capte à l’avant et à l’arrière), représente la focalisation sonore. Réglé interactivement, il peut être cardioïde, hypercardioïde ou même omnidirectionnel. Son « placement », dans un jeu à la troisième personne (où le héros est visible à l’écran et non pas en vue subjective), est un casse tête, lorsqu’il s’agit par exemple de faire sentir un danger. Il n’y a généralement qu’un seul micro (virtuel), sauf pour les jeux en coopération, avec écran splitté, exigeants en terme de budget. Pour le jeu en ligne, Dolby et DTS travaillent actuellement sur des outils pour répondre à ces besoins.
L’assistance pu alors voir une séquence directement issue du jeu. Les zones sonores sont généralement matérialisées par des sphères. En 2D (70% de ce jeu), cependant, les programmateurs utilisent plutôt des cubes, pour rester cohérent entre les différents étages. L’espace sonore est composé de diverses percussions, de l’orchestre, ainsi que du moteur du bateau. Le tout est synchronisé. Dans cette séquence, les musiques et bruitages du bateau sont intégrés rythmiquement. (Pour souligner son côté merveilleux, le jeu Rayman, par exemple, est entièrement synchronisé musicalement.) Même les coups de poings sont musicalisés en accords. En mode « fight » d’autres percussions s’ajoutent. La musique s’intensifie selon le nombre d’ennemis présents à l’écran ou en fonction d’autres éléments. Jusqu’à dix paramètres peuvent s’additionner. Enfin, le HUD (différentes interfaces, menus du jeu) demande également à être sonorisé de manière cohérente avec l’univers de Tintin.
Une centaine de musiques différentes sont utilisées, toutes prévues pour fonctionner en boucles. Si le joueur entend toujours la même musique, c’est qu’il n’a pas progressé. Elle indique souvent la découverte d’une solution. Christophe a essentiellement voulu s’approcher de la musique hollywoodienne. La bande originale du film, composée par John Williams, lui fut envoyée tôt, sans qu’il puisse toutefois l’utiliser, pour des raisons évidente de budget (sonnant et trébuchant, cette fois-ci) et de droit. Il nous fit ensuite écouter le thème de Milou, composé dans le style guitare manouche de Django Reinhardt. La nuit, le morceau passe en sourdine, avec des cordes pincées.
Le jeu comporte une scène de moto, au gameplay radicalement différent, qu’il a fallu travailler indépendamment. Christophe nous explique avoir procédé à des essais sur la moto d’une voisine. Les tests portaient sur les différents régimes de moteur, de 1000 à 6000 tours/minute. Puis il s’est tourné vers une moto chinoise, a équipé le motard de DPA, également scotchés sur le bolide, et l’a fait rouler en descente, sans moteur, pour enregistrer le roulis des pneus et les différentes textures, comme le gravier. Finalement, il s’est rabattu sur une vielle Harley-Davidson, pour le son du moteur. Une cinquantaine de sons, de roulis, de jumps et autres, sont utilisés rien que pour la moto. C’est un jeu sur le pitch et le volume qui permet la transition entre les régimes du moteur. Le vent est également pris en compte, indexé à la vitesse. Il y a tellement de surfaces différentes que les boucles et les transitions ne se font plus entendre.
La présentation terminée, Christophe et Timothée répondirent aux questions de l’assemblée, d’abord curieuse quant aux outils technologiques dont ils disposent. Le moteur du jeu, crée par Ubisoft, est amélioré en permanence, avec des développeurs son, une quinzaine d’ingénieurs, toujours à leur disposition. L’intégralité du travail fut fait en France, sur une période de deux ans. Le son se trouve être le métier le plus dépendant, en bout de chaîne. Toutefois, l’équipe du jeu travaille ensemble, dans un open space et sur le même moteur, des consoles ouvertes, désossées. Des réunions ont lieu sans cesse. Christophe se dit être en formation constante, car la technique évolue au fur et à mesure.
Timothée évoqua les avancées et les études qui ont lieu actuellement, concernant la synthèse granulaire notamment. Il s’agit d’un grand nombre de boucles, sautant de l’une à l’autre, aléatoirement, pour proposer un son qui se renouvelle infiniment. Pour Christophe, le musicien ne doit pas punir un joueur qui échoue, en le saoulant d’une musique trop répétitive ou agressive. Des tests sont effectués en permanence sur des gamers, pour vérifier chaque tournant du jeu. Les deux hommes reconnaissent qu’ils bénéficient d’une liberté incroyable dans leur domaine. Aucun « Temp track » ne leur est imposé. Seuls deux morceaux eurent à être modifiés après l'écoute faite par Spielberg. [Temp track (musique temporaire, provisoire)]. Leur métier s’effectue dans un moteur évolutif, comme un Pro Tools qui évoluerait en permanence, en fonction des besoins. Tous les ingénieurs du son présents s’accordèrent pour dire que de telles conditions étaient, en effet, idéales.
Pour l'AFSI, Axel Zeppenfeld
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