Atelier : Véhicules - 09/06/18
Organisé conjointement par des membres des collèges montage et tournage de l’AFSI lors de la journée du 09 juin 2018, cet atelier a été l’occasion de revenir sur les problématiques de prise de son de véhicules au tournage et en post-production.
Il s'articulait pour cela autour d’exemples concrets de films mettant en scène des voitures ou des motos :
- Largo Winch (2008) & Largo Winch II (2011), Jérôme Salle
- Mange tes morts - Tu ne diras point (2014), Jean-Charles Hue
- À fond (2017), Nicolas Benamou
- Overdrive (2017), Antonio Negret
- Burn Out (2018), Yann Gozlan
1. Prise de son direct dans un véhicule
La matinée était dédiée à la prise de son direct dans un véhicule sur le tournage. Pour illustrer les différentes problématiques inhérentes à cet exercice, deux films complémentaires ont été choisis, dans des économies et des modes de production très différents. Dans ces deux longs métrages, la voiture revêt une véritable importance narrative et peut être considérée comme un personnage à part entière.
Le premier film, Mange tes morts, relève du cinéma d’auteur. Il a été tourné « à l’arrache », avec des acteurs non-professionnels et un petit budget (environ 800 000 €). L’esthétique est très portée vers le cinéma direct, voire documentaire, avec un mix final composé quasi-exclusivement de sons enregistrés pendant le tournage. À l’inverse, À fond, est une comédie à la production plus « classique » : des comédiens professionnels, un budget conséquent (environ 13,8 M€), une très grosse équipe et toute l’infrastructure qui va avec.
Du fait de leurs économies divergentes, les dispositifs de tournage et de post-production étaient différents. Par exemple, Mange tes morts a seulement utilisé une unique voiture de jeu, tout à fait normale et non-modifiée (et donc non-tractée). Aux antipodes, le tournage de À fond a, lui, nécessité plusieurs véhicules de jeu avec une conduite déportée. Une voiture imaginaire a même été créée pour les besoins du film !
1.1 Mange tes morts - Tu ne diras point (2014), Jean-Charles Hue
- Intervenant : Antoine Bailly (chef opérateur du son & mixeur du film)
Mange tes morts nous raconte les retrouvailles de trois frères gitans, dont l’aîné sort tout juste de prison. Au volant de sa BMW Alpina, ce dernier va embarquer ses deux frères et leur cousin dans une virée nocturne pour dérober la cargaison d’un camion…
Dans une volonté de réalisme de la part du réalisateur, le film a été tourné avec de vrais gitans, qui se sont vite révélés plus ou moins incontrôlables pendant le tournage. À noter que le film est sorti sous-titré car la combinaison de l’argot gitan avec l’accent du nord rendait parfois ardue la compréhension des dialogues…
Le tournage du film a duré 7 semaines, dont 3 semaines de nuit entièrement en voiture. Environ la moitié du film se déroule dans cette configuration : 4 personnages embarqués en voiture (2 devant, 2 derrière), avec le chef opérateur à l’arrière et l’ingénieur du son en position fœtale dans le coffre entrebâillé. La trame était écrite mais les acteurs étaient libres d’improviser autour de la situation initiale. Chaque scène était tournée d’une traite. Les prises étaient par conséquent très longues (jusqu’à 30 min), et l’ingénieur du son devait pouvoir couvrir tous les personnages en même temps, chacun étant susceptible de parler à n’importe quel moment.
Il a fallu 3-4 jours à Antoine Bailly pour trouver un dispositif de prise de son dans la voiture qui fonctionne à la fois pour l’image et le son. La configuration finale comprenait :
- un Schoeps BLM 03 C (un micro de surface PZM) fixé au plafond pour couvrir les deux personnages à l’avant, qui sont ceux qui parlent le plus (à noter qu’il voulait aussi en placer un à l’arrière mais que ça revenait trop cher pour la production)
- deux petites capsules DPA planquées à l’avant dans les pare-soleils
- pour l’arrière, deux câbles actifs avec des capsule Schoeps cardio fixées au plafond et orientées en AB sur les personnages installés sur la banquette arrière de la voiture
- un micro HF sur la caméra Canon EOS C300 (notamment pour certains champs/contre-champs où le cadreur se plaçait sur les genoux d’un personnage pour filmer face caméra celui qui parle)
Il avait également essayé de planquer les Schoeps dans les sièges mais les personnages bougeaient beaucoup et gesticulaient dans tous les sens. Pour les mêmes raisons, les comédiens n’étaient pas équipés de HF (il y avait déjà eu beaucoup de casse au niveau capsules sur la partie fiction tournée normalement). Comme il n’avait pas les moyens d’être entièrement en HF, il a dû se résigner à rester allongé dans le coffre avec son Cantar X2 pour pouvoir moduler ses micros filaires et faire des choix pendant les prises, et ce sans retour image (trop cher pour la production encore une fois). Il envoyait malgré tout son mix down en HF au réalisateur qui se trouvait lui dans la voiture balai avec l’équipe de réalisation et le combo image.
Pendant les directs, Antoine Bailly ne s’occupait que de mixer les voix, en essayant d’avoir le moins de moteur possible. Il a notamment demandé au conducteur de rouler le plus possible à allure lente (max 40-50 km/h) et de manière continue dans les scènes dialoguées, afin d’avoir un rouling uniforme et donc plus facile à raccorder au montage.
Dernier jour de tournage avec la BM en piteux état...
Comme ils tournaient de nuit avec la voiture, Antoine avait beaucoup de temps la journée pour faire des sons seuls de la voiture de jeu et enregistrer un kit véhicule qui servira par la suite au montage son. Sa configuration « sons seuls » comprenait :
- pour le moteur, une capsule DPA et un câble actif KC Schoeps (les accessoires actifs permettent de séparer la capsule MK de son amplificateur CMC 6)
- une capsule DPA pendue devant le pot avec une bonnette anti-vent
- un couple AB Schoeps à l’intérieur pour les roulings
- un CMIT placé à l’extérieur pour ramener un peu de vent (car le film contient plusieurs scènes où le pare-brise est brisé)
Pour enregistrer ses sons, Antoine a fait des pics de vitesse sur autoroute, en alternant différents régimes moteurs et en variant les roulings intérieur et extérieur, sur différents types de route. Ces matières permettent, avec le même moteur, de varier les axes et la dynamique au sein d’une même scène tout en assurant une continuité raccord autour de la voix, autour de laquelle on peut vouloir découper très court lors du montage paroles d’une scène en intérieur de voiture. Cela aide aussi à construire la VI, car les kits voiture enregistrés en direct pendant des scènes de comédie sont souvent pollués par la voix. Ces kits direct peuvent cependant être utiles pour résoudre un autre problème rencontré au montage : les valeurs de plan. Par exemple, si la voiture arrive loin à l’image mais que le personnage qui en descend est important, on peut vouloir rapprocher la voiture au niveau de la profondeur. Il est donc ici intéressant d’avoir l’arrivée de la voiture enregistrée synchrone au couple stéréo ou triplet LCR, en plus de la perche et des HFs comédiens.
Un simple kit « habitacle, pot & moteur » permet malgré tout d’assurer un confort minimum au montage son dans une esthétique « réaliste ». De plus, la question de la spatialisation du véhicule se pose moins ici que pour d’autres films : plus on est mono mieux c’est, pour raccorder au maximum le direct qui est lui aussi au centre. Même si les contraintes de tournage ne donnent souvent pas le temps d’écouter et d’équiper la voiture correctement, ces sons, qui ne sonnent souvent pas très bien au casque, tout mixés en même temps, sont malgré tout très utiles séparément au montage son, notamment pour raccorder/dynamiser les différents plans entre eux.
Le principal problème auquel le monteur des directs a été confronté sur le film est l’effet de masque du moteur sur la parole. Il y a donc eu tout un processus de denoise, filtrage et sélection des micros les plus pertinents pour creuser autour de la voix afin de la faire ressortir au maximum.
La matière est malgré tout arrivée très chargée au montage son ; cette étape était donc très limitée dans sa marge de manœuvre, d’autant plus que le réalisateur avait la volonté de conserver cet aspect son direct, très « réaliste ». Le montage son a donc ici essentiellement servi à ajouter du liant entre les différentes coupes avec des pistes raccords, qui permettaient de masquer les problèmes de continuité entre les différents régimes moteur et/ou les changements de revêtement de route. C’est aussi le moment où l’on peut jouer sur l’énergie et la dynamique des scènes de course-poursuite. Ces problématiques sont très différentes selon que la voiture est récente (boîte automatique et moteur silencieux, on cherche donc à en rajouter au montage son) ou vieille (moteur bruyant qu’on va au contraire chercher à atténuer), et que la motorisation soit électrique, diesel ou essence. Par exemple, pour une voiture électrique, le moteur monte très vite dans les tours avec pour seul changement distinctif une variation du son du moteur dans l’aigu, comme un hurlement. Dans le quatrième Mission : Impossible, il y a une course-poursuite en Inde avec une voiture électrique dont le sound design est justement basé sur cet aspect très électronique et hurlant. Il y a également la possibilité de faire la dynamique de la séquence en jouant avec les axes (changements entre point d’écoute intérieur et extérieur du véhicule), les sons des autres éléments (passages de voitures non-électriques, poteaux et arbres en whooshes, etc.) ou encore les dopplers. Cela permet aussi de laisser de la place à la musique qui va avoir tendance à niveler le son des moteurs.
1.2 À fond (2017), Nicolas Benamou
- Intervenants : Amaury de Nexon (chef opérateur du son du film) & Frédéric Le Louet (chef monteur son & co-mixeur du film)
À fond met en scène le départ en vacances d’une famille dans leur nouvelle voiture dernier cri, la Danjoon Medusa (en fait une Mercedes-Benz V-Klasse maquillée). S'ensuit un road-movie à toute allure sur l’autoroute, alors que le régulateur de vitesse est bloqué et que les freins ne répondent plus…
1.2.1 Le tournage
Le tournage du film s’est étalé sur 10 semaines, dont 7 délocalisées en Macédoine pour toutes les scènes d’autoroute (c’était plus facile d’y obtenir les autorisations nécessaires et de monopoliser un tronçon autoroutier à un coût raisonnable).
Suite à une défection, Amaury de Nexon est arrivé très tard sur le projet, et avec plusieurs contraintes à prendre en compte :
- aucun membre de l’équipe technique ne peut se tenir dans la voiture de jeu (sauf cas exceptionnel)
- le réalisateur, posté dans une voiture-balai 100 m derrière, veut pouvoir à tout moment communiquer avec les comédiens via les hauts-parleurs de la voiture
- il veut aussi pouvoir envoyer en direct le playback de l’ordinateur de bord de la voiture (il déclenchait pour cela les répliques avec un iPad)
- il doit pouvoir parler au pilote cascadeur quand ce dernier est sur le toit de la voiture
- il faut pouvoir équiper 3 voitures au total : deux voitures de jeu avec top-raiders (pilotée par un cascadeur depuis le toît) une voiture « beauty » (sans conduite sur le toît, utilisée notamment pour les plans larges extérieurs)
À gauche la voiture beauty et à droite un des deux véhicules de jeu avec conduite déportée sur le toit
Il a donc eu 3 semaines de préparation pour penser et finaliser son installation avec l’aide de Tapages & Nocturnes Broadcast pour les réseaux d’ordre et le câblage des véhicules. Sur place en Macédoine, en plus de son premier assistant Arthur Le Roux, Amaury de Nexon avait également un second assistant, local, chargé de gérer les talkies (il a été formé pendant une semaine par le vrai second, qui a juste fait la préparation du tournage en France et les câblages des différentes voitures).
Si le film a un budget conséquent, il présente malgré tout de nombreuses difficultés, à commencer par la configuration même du tournage : 6 personnages en continu dans une voiture qui roule vite avec un habitacle non-isolé, car entre 2 et 4 caméras avec différentes valeurs de plan sont harnachées à l’extérieur ou sur les comédiens, puis commandées à distance. Derrière cette voiture de jeu se trouve ensuite la voiture « mise-en-scène » (qui contient le réalisateur, la scripte, le 1er assistant et le cascadeur en charge de la circulation alentour), puis suit la voiture « technique » (avec le cadreur, le chef électro, les assistants caméra et enfin Amaury de Nexon). On peut noter que d’autres véhicules interviennent dans le film, notamment une BMW et une moto de gendarmerie qui poursuivent la voiture principale.
Place d'Amaury de Nexon dans le véhicule technique
Après chaque « run » (le tournage d’une prise avec une certaine disposition caméra), l’équipe changeait de véhicule pour retourner la même scène avec un setup différent. Il fallait donc une configuration de micros que l’on puisse déplacer indifféremment et rapidement sur chaque voiture. Tout son matériel était ainsi racké dans un petit meuble qu’il avait juste à déplacer dans la seconde voiture puis à raccorder aux multipaires qui restaient eux en permanence dans chaque voiture de jeu. L’assistant son s’occupait lui de déplacer la configuration de prise de son que l'on peut admirer dans la photo ci-dessous.
Comme Antoine, Amaury ne voulait pas moduler et enregistrer en HF ; le Cantar X3 a donc été placé dans le coffre de la voiture de jeu, caché sous des valises. La prise de son était assurée par des capsules DPA 4099 fixées avec des aimants à la carlingue au niveau des pare-soleils et des Sennheiser MKE40 cardios de chaque côté au milieu et à l’arrière de la voiture. Avec deux potentiels micros caméras, cela faisait 8 micros filaires en tout dans l’habitacle. Les comédiens étaient aussi équipés de HF qui rentraient en numérique dans l’enregistreur. Selon les besoins du plan, sur les 16 canaux potentiellement enregistrés dans le X3, 8 étaient sélectionnés à l’avance par Amaury puis envoyés en HF sur un X2 situé dans la voiture technique et à partir duquel il produisait un mixdown seulement destiné à l’équipe de tournage et au montage image. Ce mixdown n’avait pas d’autres prétentions car les différentes configurations de caméra autour de la voiture ont fait que certaines parties du véhicules étaient désossées ou ouvertes. L'intégrité acoustique de la voiture était donc compromise. Le montage paroles est ainsi parti de l’éclaté du X3 pour recréer l’impression d’un habitacle clos.
1.2.2 La post-production
Sur l’heure et demie de film que représente À Fond, la voiture est présente à l’écran pendant quasiment une heure, ce qui représente un travail colossal de post-production son. Or, il y a eu des dépassements de plusieurs millions d’euros au tournage, sommes qui ont été (évidemment) amputées au budget post-production. Il a donc fallu rentrer le tout dans l’enveloppe budgétaire restante : cela représente 20 semaines de montage son en cumulé à deux (12 pour Frédéric Le Louët et 8 pour Alexis Durand, plus 4 semaines d’assistanat) et 8 semaines de montage paroles (Deborah Stauffer).
Le montage paroles a principalement consisté à nettoyer au maximum les directs pour atténuer le rouling et les bruits de moteurs. Ce travail a pu se faire autour du HF et du micro habitacle de chaque personnage. Comme le réalisateur voulait une voiture essence, il a fallu annihiler un maximum le son du moteur diesel du tournage et nettoyer tout autour de la parole pour pouvoir recréer entièrement le son de la voiture. Une fois l’uniformité atteinte sur une séquence, cela donnait le niveau minimum de bruit de fond avec lequel les monteurs son pouvaient travailler par la suite. Toutes les voix ont ensuite subi un traitement particulier : chaque personnage avait une piste avec ses dialogues denoisés de manière « excessive » ; piste que l’on pouvait ensuite ré-injecter dans le direct classique afin de récupérer de la précision dans le médium aigu.
Au niveau du montage son, tout a commencé par la création d’un patch Reaktor pour recréer le moteur de la Medusa. En effet, si le moteur reste bloqué à 130 km pendant tout le film, il n’est pas envisageable de monter une heure de son de moteur constant à aussi haut régime car cela se révélerait extrêmement fatiguant auditivement pour le spectateur. Il fallait donc faire en sorte de pouvoir faire fluctuer légèrement en direct le timbre et la hauteur du moteur selon l’intensité dramatique de la séquence et ainsi éviter un son constant. Pour cela, un pitch temps réel (Little AlterBoy de Soundtoys) a été utilisé dans Protools , avec un ambitus de 3 demi-tons. Il y avait donc la nécessité de travailler avec un son le plus pur possible et qui se pitcherait sans l’apparition d’artefacts ; c’est pourquoi Frédéric le Louët s’est dirigé vers un son de synthèse. D’autres plug-ins comme Radiator ont ensuite été utilisés, notamment pour salir un peu la texture du moteur synthétisé. Le pitch s’est aussi révélé utile au mixage pour accorder le moteur à la tonalité de la musique.
Le montage paroles ayant nettoyé à l’extrême autour de la voix, il a également fallu refaire tout le montage son relatif au mouvement du véhicule. Cela implique notamment les vents pour l’impression de vitesse, les pneus pour les virages, dérapages et freinages, ainsi que les roulings intérieur et extérieur pour redonner de la texture à la route et du poids à la voiture. La grande majorité de ces sons ont été ré-enregistrés spécifiquement pour le film par Frédéric et Alexis ; très peu de matière vient directement de sonothèques commerciales ou préexistantes. Cela permettait de gagner du temps car monter des sons de véhicules qui n’ont pas été enregistrés pour l’occasion se révèle souvent laborieux et peu satisfaisant au final au regard du temps dépensé. De plus, manquent souvent certaines actions, les longueurs de rouling nécessaires, la valeur de plan recherchée ou les régimes moteurs exacts dont on a besoin. Une fois les sons enregistrés, ils ont été traités (égalisation, pitch, doppler, compression, saturation, etc.) afin d’obtenir la gamme de timbres et de régimes dynamiques nécessaires à la narration. Enfin, chaque véhicule a été pré-monté en démo et validé par le réalisateur, pour être sûr de partir dans la bonne direction.
Le montage son à proprement parlé a alors pu commencer. Tous les éléments visibles à l’image ont été montés (les véhicules principaux mais aussi tous les passages de voitures) à la fois en intérieur et extérieur, afin que le réalisateur et le mixeur puissent garder une marge de manœuvre au mixage et rythmer les séquences avec des éléments ponctuels et/ou en alternant les points d’écoute. Chaque véhicule a ainsi ses stems intérieur et extérieur montés en permanence. C’était une réponse à la principale problématique sonore du film, qui était que le réalisateur voulait mêler à la fois comédie (importance de la voix) et film d’action et de vitesse (importance des sons de voiture et des effets). Par exemple, de nombreux dialogues du film ne respectent par le découpage de l’image, et on peut ainsi se retrouver avec de la voix sur un plan large en drone de la voiture. Du coup, on garde le rouling intérieur monté pour ne pas briser la continuité sonore et on va devoir jouer avec des effets de vent et de passages pour suggérer l’extérieur et la vitesse sans avoir à augmenter le niveau du son de moteur qui pourrait masquer les dialogues. Il y a eu beaucoup de projections de la continuité en auditorium, afin de vérifier constamment le rythme et la diversité des sons sur l’heure filée de séquences en voiture.
Pour les besoins du film, deux véhicules ont été enregistrés en post-production sur banc de puissance :
- une ½ journée chez Yahama France pour la moto de gendarmerie
- une ½ journée pour la Chrysler
Le principal conseil qui est revenu tout au long de l’atelier à propos de la prise de son sur banc de puissance était le placement des micros. Il n’y pas de règles immuables autres que simplement se défaire de ses habitudes ou idées préconçues sur comment doit ou va sonner le véhicule, et simplement prendre le temps de l’écouter avant de placer ses micros. Même si ce sont souvent des journées très chargées et stressantes, la production faisant bien comprendre que ces séances coûtent cher, il faut se donner le temps de tourner un peu autour du véhicule pour prendre la mesure du son qu’il produit car chaque véhicule est différent ; le moteur de l’un peut être poussif tandis que l’autre va énormément souffler dans les hauts régimes. Une autre solution peut être de sécuriser la prise de son en multipliant les micros et les positions mais cela ralentit énormément le dérushage et peut donner des résultats très approximatifs. Il est évidemment impératif d’avoir préparé à l’avance une liste de ce dont on a besoin en terme de vitesses, régimes moteurs et accélérations/décélérations. Il suffit de regarder la séquence en question et de faire un plan de travail détaillé avec les régimes moteurs que l’on veut, les changements de régime nécessaires, démarrage ou arrêt à la vitesse désirée, sans oublier les départs et arrivées lentes qui peuvent toujours servir. Il ne faut surtout pas hésiter à décomposer les actions et surtout à les faire durer sur la longueur.
Plusieurs petites astuces ont cependant été données. Par exemple, il peut être utile de nettoyer les fréquences aigues des sons obtenus sur banc car les moteurs peuvent rapidement devenir très fatiguant pour l’auditeur à haut régime. Pour aller dans le même sens, Frédéric Le Louët privilégie plutôt des micros dynamiques (par exemple SM57 pour l’intérieur du moteur) et évite les statiques dont la précision dans l’aigu peut devenir handicapante. De la même manière, il va préférer les grosses capsules à large membrane aux petites capsules qui manquent de précision dans le bas. Or, on va justement chercher à récupérer les transitoires dans le médium et le bas pour les moteurs. Il faut ainsi lors du placement du micro réussir à trouver le juste milieu entre les basses fréquences et le médium-aigu/extrême aigu. Pour les pots, il peut être intéressant de prendre de la distance, voir de rajouter un micro d’air pour récupérer un peu de vie. Pour la moto de À fond, il a utilisé un couple de DPA placés derrière le pot de la moto, un micro dynamique sur le moteur et un micro Sennheiser 416 à la main pour simuler des passages. Comme les motos montent très vite dans les tours sur banc de puissance, on peut être frustré par rapport à nos attentes. Donc il ne faut pas hésiter à ensuite trafiquer les sons, les pitcher et les égaliser pour obtenir quelque chose de plus agressif dans le haut ou de plus précis dans les graves par exemple.
2. Sons seuls et kits de véhicule
Il n’est pas rare de se retrouver en montage son face à une prise de son incomplète ou un kit véhicule qui ne permet pas de couvrir toutes les actions nécessaires à la narration. En effet, les contingences du tournage font qu’il est très souvent compliqué de réaliser correctement les sons seuls nécessaires, encore plus lorsqu’ils impliquent des véhicules de jeu. Nous pouvons parler de deux extraits de Crash Test Aglaé (Eric Gravel, 2017) qui sont symptomatiques du problème. Dans le premier, un véhicule démarre et sort du champ. Mais la présence d’un mur dans le décor l’oblige ensuite à s’arrêter net juste après sa sortie. Il manque donc l’éloignement dans le direct, ce qui n’a pas pu être refait en son seul. De plus, le moteur est très spécifique car c’est un vieux véhicule. Dans le deuxième extrait présenté, une voiture s’arrête “à la russe” ; c’est-à-dire en coupant le moteur alors qu’en France on a tendance à plutôt le laisser tourner pour un court stop. Le réalisateur voulait donc un moteur qui continue de tourner mais pas de chance, ce véhicule non plus n’avait pas été ré-enregistré seul.
Cet atelier était donc aussi l’occasion pour les monteurs et monteuses son de dresser un cahier des doléances relatif à la gestion sonore des véhicules présents pendant le tournage. Les professionnels présents ont bien appuyé sur le fait qu’il fallait essayer de responsabiliser au maximum les directeurs de post-production et les réalisateurs sur l’importance de laisser plus de temps à l’ingénieur du son pour réaliser le plus de matière possible au tournage, autant pour des raisons économiques que techniques (intégrité du véhicule, respect des textures de sol, présence des pilotes si cascades, etc.). Il s‘agit au moins de devancer les problèmes lors du dépouillage du scénario pour signaler les contraintes à venir à la production, et appuyer ces remarques avec le mixeur si l’équipe de post-production est déjà constituée. Il est plus que nécessaire de sensibiliser le plus possible à ces problèmes car sinon tout le monde va continuer de compenser les manques de la production sur ou en-dehors de son temps de travail, pour un résultat souvent moins satisfaisant en ce qui concerne les véhicules.
Mais il est aussi possible d’aller plus loin dans la prise de son direct. Par exemple, en plus du classique kit « moteur & pot » dont on a déjà parlé pour Mange tes morts, il peut être intéressant d’enregistrer les pneus et des chaos en multicanal (en roues libres/moteur éteint si possible), faire des sons de dérapage en perchant le pneu si nécessaire, etc.
On garde aussi l’idée du couple stéréo sur le toit et donc isolé du dialogue, qui permet d’avoir les passages de véhicules, l’ambiance extérieure de la rue, en mouvement et avec des éléments ponctuels qui vont donner de la vie (c’est particulièrement utile quand l’on tourne en ville dans un pays étranger, surtout s’il y a des plans extérieurs du véhicule). Avec une Rycote et un bras magique, on peut monter facilement jusqu’à 50-60 km/h sans saturer la prise. Quelques autres petites astuces :
- un micro en bas de caisse si la route raconte quelque chose (revêtements, pistes, routes abîmées, etc.)
- une capsule CCM sur la tableau de bord en face du conducteur
De plus, les HFs sont utiles dans les scènes en voiture car les personnages sont souvent dans des rapports de cadres plus serrés (voire gros plan) où le timbre du HF sied et permet de recoller un peu la perche ou les micros placés au plafond de la voiture qui ramènent parfois l’acoustique un peu “bocal” et le rumble du moteur dans la voiture. Les HF permettent aussi d’obtenir une unicité des timbres des comédiens qui peuvent ne pas raccorder du tout entre eux en timbre ou acoustique avec juste la perche ou les micros de l’habitacle.
Un autre problème récurrent concerne la différence entre la valeur de plan de l’image et la place que l’on souhaite donner au véhicule. Dans des cadres larges ou les passages de voiture, la perche ne suffit souvent pas à restituer la place du véhicule dans la profondeur et l’espace. Il peut être très utile de la compléter avec un couple stéréo, voire un tri-piste LCR afin de récupérer du volume et de l’acoustique sur la valeur de plan et pouvoir jouer plus facilement un grossissement ou bien un éloignement. Ceci est aussi vrai pour les départs et arrivées.
Cependant, quand des manques subsistent, restent trois solutions parfaitement complémentaires (mais qui fonctionnent aussi indépendamment) pour enregistrer un véhicule après ou en parallèle du tournage :
- le circuit
- le banc de puissance/banc d’essai
- les sons seuls in situ (demande nécessairement une deuxième équipe)
Chacune de ces solutions sera présentée avec ses avantages et ses défauts dans la suite du compte-rendu, avec une série d’exemples concrets tirés de films.
2.1 Largo Winch (2008), Jérôme Salle
- Intervenant : Pascal Villard (monteur son du film)
Le premier film Largo Winch comportait une course-poursuite en voitures très ambitieuse mais qui a été partiellement sabrée pour des raisons logistiques. Une partie a cependant été tournée sans autorisation officielle à Hong-Kong, avec notamment des plans en hélicoptère. Le carambolage a été réalisé sur une bretelle autoroutière, un dimanche entre 5h et 6h du matin, en filant des pots de vins à la police locale qui n’a autorisée qu’une heure de fermeture de circulation pour installer, tourner et débarrasser le « plateau » improvisé. Tous ces plans ayant été tournés quasi muets, il fallait recréer entièrement le son de la course-poursuite en post-production.
Comme certains plans de raccord et d’insert manquants ont dû être tournés à Paris sur le périphérique pendant une matinée, l’équipe de post-production son s’est arrangée pour récupérer les voitures, les cascadeurs et la logistique l’après-midi pour faire les sons seuls sur circuit (d’autant plus que le réalisateur voulait absolument le moteur V12 de la Rolls de tournage). Pascal Villard et Gaël Nicolas arrivent donc pour récupérer les voitures (une Rolls-Royce Phantom et un Mercedes-Benz ML 320 pour représenter l’Audi Q7 qui était un diesel sur le tournage) mais le directeur de production a l’air de parler de manière très musclée avec le loueur de la Rolls. Au bout d’une heure de négociation, ils récupèrent la voiture et partent pour le circuit (ils en profitent pour faire des roulings intérieur au Soundfield sur le périphérique). Au bout d’une demi-heure, ils doivent s’arrêter pour re-négocier au téléphone. Ayant déjà perdu 1h30 sur le planning, ils finissent par filer sans la Phantom sur le circuit. La Rolls n’arrivera jamais mais le kit du ML ainsi que des actions de dérapages et des matières de routes sont réalisés, notamment avec le Soundfield (5.1).
Finalement, ils obtiennent plus tard deux heures de circuit avec une Mercedes S600 qui a la même motorisation que la Rolls-Royce Phantom (un V12). Pas de bol, il doit pleuvoir ce jour-là. Ils réussissent à enregistrer les extérieurs avant la pluie, pour les roulings, seul le kit pot/moteur sera véritablement utilisé, car on entend la pluie et/ou la chaussée mouillée sur les intérieurs. Comme pour le ML 320, la S600 était équipée de capsules DPA 4090 sur le tablier et la calandre, un LEM sur le moteur et un autre sur le pot. Les roulings intérieurs étaient simultanément enregistrés avec le Soundfield, qui a été aussi utilisé pour les actions extérieures (passages, arrivées, etc.).
Plusieurs types d’actions sont réalisables en circuit pour couvrir les différentes éventualités des cascades. Il peut ainsi être utile de réaliser des passages lisses, à vitesse constante, mais aussi des passages avec changement de vitesse, ce qui permet de rajouter de la dynamique à l’action. Pour ce qui est des dérapages, il est possible de percher depuis la fenêtre tandis que le cascadeur réalise des figures en 8 à environ 30 km/h avec des virages très serrés. Pour les dérapages en mouvement extérieurs, il suffit d’adopter une configuration avec arrivée et éloignement. Pour les intérieurs, un dérapage en crabe constant dans la longueur peut suffire. Toutes ces matières représentent un apport non négligeable pour les films d’action réalistes et bruts, car les bruitages ne suffisent jamais à donner le poids de la voiture et le côté texturé et sale que l’on peut obtenir en extérieur.
2.2 Largo Winch II (2011), Jérôme Salle
- Intervenant : Nikolas Javelle (monteur son du film)
Pour le premier Largo Winch, tous les sons de voitures ont donc du être refaits en post-production. Pour le second opus, l’équipe de post-production son du film a essayé autant que faire se peut d’enregistrer l'ensemble de la matière nécessaire pendant ou en parallèle du tournage, afin d’attaquer cette fois le montage son (6 semaines à 4 monteurs) dans les meilleures dispositions possibles.
En discutant avec le monteur du film, Nikolas Javelle a appris que la principale course-poursuite du film (longue de quatre minutes) allait être tournée dans une semaine en Belgique. Il en donc parlé au reste de l’équipe et au mixeur Jean-Paul Hurier qui a remonté la demande au réalisateur : il est beaucoup plus facile et économique de partir quelques jours sur le tournage pour réaliser les sons nécessaires au film que de louer un circuit, les véhicules et payer des cascadeurs au moment où l’enveloppe budgétaire du film sera moindre. En effet, l’un des gros avantages de la logistique de tournage est que l’on a à sa disposition des pilotes qui connaissent déjà les cascades du film, plus un ou deux régisseurs pour la sécurité.
Les tractations prenant du temps (juste pour un billet A/R et une nuit d’hôtel...), il n’a finalement pu arriver sur le tournage de la course-poursuite qu’à quelques jours de la fin du tournage, et seulement parce que le réalisateur est intervenu auprès de la production. À noter qu’il a également pu bénéficier d’une journée de prise de son en casse automobile pour illustrer au son la dégradation de l’Audi au fur-et-à-mesure de la course-poursuite.
Comme il n’y avait encore pas ou peu d’images du film disponibles, il a fallu se baser sur le découpage technique et le scénario pour anticiper les besoins de prise de son. Le storyboard était cependant assez précis, pour des besoins de cascade (voir l'image ci-dessous). L’objectif restait malgré tout de rapporter un maximum de matières pour se couvrir, sans forcément suivre à la ligne toute la liste d’actions précises du storyboard.
Il se retrouve donc avec Marc Engels, l’ingénieur du son du tournage, pour deux jours. Cela s’est révélé important pour l’introduire et le greffer dans l’équipe de tournage et ça permettait également d’équiper les voitures de cascade beaucoup plus vite. L’ingénieur du son n’était disponible que parce que ces derniers jours de tournage étaient consacrés à des raccords et des plans larges sans dialogue dont l’assistant son pouvait s’occuper seul. Malgré tout, il est livré à lui-même et ne choisit ni la voiture qu’on lui donne, ni le temps du prêt. Il n’était même pas sûr de pouvoir récupérer tous les véhicules. De plus, les cascadeurs étaient rincés et ne pouvaient pas faire certaines cascades plus d’une fois sans risquer d'abîmer trop la voiture et de fausser les raccords.
Tout l’enjeu était donc de mettre beaucoup de micros pour avoir le plus de textures possibles en une seule prise (roues, roulings intérieur et extérieur, pot et moteur). Doubler les capsules DPA sur le moteur peut s’avérer très pratique, surtout qu’elles sont rapides à fixer. Cela permet d’avoir deux sons du moteur vraiment différents selon leurs placements respectifs. Pour les roulings, le Soundfield (5.1) et le LCR DPA 4016 sont bien complémentaires en fréquence, car les capsules DPA sont très fines dans l’aigu alors que le Soundfield a un rendu plus massif, avec beaucoup de corps dans le bas. De plus, il est très intéressant pour sa texture, ce qu’il peut encaisser et surtout son apport en spatialisation très utile pour rendre immersif l’habitacle de la voiture.
Exemple de configuration pour un ML
Il n’y avait pas la volonté d’avoir un son parfait ou un placement parfait mais l’important était de se couvrir au maximum. Le fait d’être deux permettait aussi de doubler efficacement les actions réalisées en choisissant deux points d’écoutes différents (comme un départ et une arrivée par exemple). Si l’on choisit le même point de focalisation, on peut varier les configurations techniques pour enregistrer des textures différentes ou introduire plus facilement du mouvement dans la prise de son. Par exemple, suivre les passages de voiture avec la perche peut aider à suivre l’arrivée et l’éloignement du véhicule car l’image sonore obtenue avec un LCR statistique peut parfois passer très vite, voire même plus vite que la voiture à l’image. Ainsi, l’ingénieur du son, plus mobile, perchait souvent les véhicules, tandis que Nikolas utilisait en intérieur mais aussi en extérieur un LCR et un Soundfield, plus statiques mais qui descendent bas et sont bien plus larges en terme d’image sonore.
Ils ont ainsi pu collectionner une série d’actions plus ou moins courtes qui ont ensuite été montées très brut, pour coller au découpage rapide. Contrairement à À fond, il y eu très peu de traitement des sons a posteriori, en dehors du moteur de l’Audi (traitements acoustiques/EQ sur l’intérieur et un peu de saturation pour l’extérieur). Tout s’est joué sur les choix de prises de son et de placement pour obtenir des matières différentes et intéressantes. Le rendu général peut paraître “sale” mais est très appréciable pour ce genre de course-poursuite très texturée et dynamique. Par exemple, les textures du sol font pour beaucoup dans la couleur générale de la course-poursuite ; il y a des dérapages dans le charbon, de la vitesse sur du gravier ou des sols mouillés, etc. Le montage son des courses-poursuites du film est ainsi fait d’une somme de détails et de matières, ce qui permet de séparer les éléments au mixage et de dynamiser la scène en fonction de la musique. Il eut été de toute manière impossible d’enregistrer un son pour un plan vu que le montage image du film n’avait pas débuté.
2.3 Overdrive (2017), Antonio Negret
- Intervenant : Cédric Denooz (conception de la sonothèque des véhicules du film)
Pour développer un peu sur les circuits, intéressons-nous à présent à un film de poursuite avec des véhicules de collection, Overdrive. Le film comportant de nombreuses cascades difficiles voire impossibles à réaliser avec les véhicules d’époque (comme l’AC Cobra ou encore la Bugatti Atlantic dont il ne reste que 3 modèles dans le monde), ce sont donc des châssis aluminium avec des capots en résine et des moteurs de Range Rover qui ont été utilisés pendant le tournage. Mais le producteur exécutif du film, devenu son réalisateur, souhaitait à la fois que le son des voitures soit authentique, et que l’on puisse les caractériser selon les personnages qui les conduisent. Il a donc été décidé de réaliser une sonothèque des voitures du film avec les différentes motorisations d’origine ou qui s’en approchent. C’était la configuration idéale pour une commande avec un budget apprêté et la possibilité d’avoir à disposition 2 pilotes, 2 mécanos et des pneus de rechange. De plus, au moment de la sollicitation, le montage image était terminé ; il était donc possible de se concentrer précisément sur les actions et cascades nécessaires à l’image, en plus des kits véhicules standards.
Une première étude a donc été réalisée pour déterminer si des véhicules de substitution pourraient fonctionner pour illustrer les modèles anciens. Il y a évidemment la problématique de la motorisation, mais aussi la capacité des véhicules à supporter et réaliser les figures et les cascades nécessaires au film. Une pré-sélection a d’abord été réalisée selon la sonorité de moteur, puis il a fallu essayer de convaincre les propriétaires et loueurs des voitures de l'innocuité des cascades et de la pose des micros sur la carrosserie. Des compromis ont malgré tout dû être faits, jusqu’à arriver à des voitures qui n’ont rien à voir avec celles censées être représentées dans le film. Par exemple, la fameuse Atlantic a été sonorisée avec un Dodge, qui a cependant la même motorisation et surtout cette sensation de caisse aluminium autour du moteur. Avec un effet de pitch sur le moteur, le résultat était convaincant.
Au final, 8 véhicules ont été enregistrés sur 5 jours. Un bout-à-bout des scènes de véhicules avait été réalisé pour l’occasion, afin de repérer les similitudes en matière de cascades puis d’optimiser le temps de prise de son. Les mouvements vraiment uniques et particuliers ont ainsi pu être dégagés et mis en priorité sur les listes des éléments à ramener absolument. Les cascades et autres figures représentent au final 80 à 90% des sons qui ont été enregistrés pour cette sonothèque.
En analysant chaque plan et en suivant la scénographie et la dynamique des scènes, ils ont pu imaginer les différents systèmes de prises de son nécessaires à la fois pour les kits véhicules pot/moteur avec simples rouling intérieur et extérieur mais aussi les différentes cascades. Par chance, leurs pilotes étaient des cascadeurs du film qui connaissent donc bien et les voitures et les figures à réaliser. Ils étaient ainsi capables de prendre des risques mesurés et de réaliser chaque mouvement avec une très grande précision et une incroyable répétabilité. Au niveau des véhicules, seules les BMW séries 3 et 4 étaient issues du tournage. Le reste des voitures est arrivé au compte-goutte, avec à chaque fois le collectionneur et/ou loueur qui vérifiait systématiquement les systèmes d’accroches des micros sur le véhicule.
Ils ont ensuite trouvé le circuit idéal, sans bruits parasites alentours (pas d’accès aérien, boisé donc peu de circulation en proximité) et avec un large choix des textures au sol. À noter qu’il est conseillé d’enregistrer ces sons d’extérieur en milieu de journée, au moment où les oiseaux chantent le moins.
Ils ont négocié pour avoir la totalité du circuit disponible pour l’ensemble des manœuvres à enregistrer. Malheureusement, 3 jours avant l’enregistrement, ils ont appris qu’ils n’avaient plus accès au fameux circuit… Ils se sont donc rabattus in extremis sur le circuit de Juvincourt (voir la photo ci-dessous). Certaines figures ont dû être ré-imaginées et adaptées. Par exemple, comme la totalité du circuit n’était pas disponible, ils avaient relativement peu de longueur de piste en ligne droite pour réaliser des accélérations progressives ou des roulings en longueur. Ils profitaient donc au maximum du trajet entre le hangar où étaient préparées les voitures et le coin de piste qui leur était alloué pour enregistrer les matières obligatoires de rouling intérieur/extérieur à régime constant.
Comme il est impossible de tout prévoir, Cédric Denooz et son équipe se sont retrouvés face à de nombreux problèmes. Par exemple, la Maserati GranTurismo S avait un moteur caréné tellement bien isolé en terme de mécanique qu’il était quasi-impossible d’en sortir un son exploitable. Malgré tout, certaines voitures possèdent une position « sport » qui permet d’ouvrir les soupapes et de gagner en agressivité sur le son du moteur.
Autre écueil des voitures sportives modernes, l’électronique embarquée : comme il faisait très chaud à l’extérieur et que le véhicule était sur-sollicité, il arrivait que la ventilation du moteur s’enclenche d’elle-même, voire que le véhicule se mette en état de protection et reste automatiquement au point mort. Il fallait donc arrêter périodiquement la conduite le temps de faire refroidir le moteur. Pour remédier à cela, et peu importe la voiture, il peut être salvateur d’enregistrer toutes ses actions et roulings en vitesse lente au début de la séance, quand le moteur n’est pas encore chaud et que la ventilation ne s’est pas activée. D’autres voitures, comme les BMW par exemple, comportent des systèmes embarqués d’aide à la conduite qui empêchent par nature certaines actions comme les drifts et dérapages contrôlés. Il est parfois possible de les désactiver mais mieux vaut avoir sous la main un mécanicien qui connaît son affaire.
De plus, certaines limites de l’exercice sont purement physiques et relèvent de l’aérodynamique. Ainsi, la BMW série 3 a une conception qui fait que le refroidissement du moteur se fait par l’avant ; il y a donc beaucoup d’air qui y circule et cela rend l’enregistrement très compliqué à haute vitesse. De la même manière, les flux d’air le long de la carrosserie des voitures sportives peuvent rapporter beaucoup de vent sur les micros extérieurs dirigés vers les roues ou le pot. Cela a pour effet principal de ramener du bruit blanc dans le fond et donc de “flouter” les aigus ; on perd alors en précision et en timbre. La vitesse peut donc être traître. Il est important de retenir qu’il n’est pas obligatoire de rouler à fond pour obtenir une impression convaincante de rapidité. En se limitant à 60-70 km/h, les cadences moteurs et changements de régime suffisent souvent à donner ce ressenti.
Enfin, un des gros écueils des sons de cascade concerne les sons d’intérieur : tout d’abord, la voiture est soumise à des mouvements non-prévus par les concepteurs qui font que l’habitacle résonne des bruits diverses et variées qui viennent gâcher la prise de son. Ensuite, pour des raisons de sécurité et de précision, les cascadeurs communiquent entre eux, en annonçant par exemple certaines distances, etc. Si l’on ajoute à cela les sons de l’ordinateur de bord de la voiture qui prévient de faux problèmes ou de la surchauffe du moteur, on se retrouve avec une multitude d’éléments parasites. La BMW série 4 du tournage avait carrément le pont soudé pour faciliter les dérapages, sauf qu’en basse vitesse les roulings s’en sont retrouvés parasités par les bruits de la carlingue.
En ce qui concerne la prise de son à proprement parler, de nombreuses routines avaient été préparées pour maximiser le temps d’enregistrement. L’une d’elles permettait par exemple d’enregistrer en une seule et même prise et dans l’ordre cité : un départ, un passage proche, un drift, un passage lointain, un virage puis une arrivée. Il suffisait ensuite de demander au cascadeur d’aller plus vite à chaque nouvelle boucle. Car si certaines voitures étaient disponible une journée entière (comme la Porsche), d’autres n'étaient accessibles que quelques heures. De la même manière, les configurations intérieure et extérieure étaient distinctes au niveau du matériel, pour pouvoir aller plus vite à l’installation et tourner les deux types de matière en même temps :
- configuration extérieure : 2 enregistreurs avec trois couples stéréo MS et une perche
- configuration intérieure : 8 capsules DPA 4061 (car elles encaissent bien), emballées dans des couvertures de survie et de la mousse ignifugée contre la chaleur. Toutes ces capsules étaient en liaison HF pour ne pas être tributaire de câbles et procéder plus rapidement à l’équipement des véhicules, qui a pris en moyenne ½ heure par voiture. Attention cependant aux réglages du niveau des émetteurs, qu’il est conseillé de mettre au minimum pour éviter la saturation en proximité sur des hautes vitesses ou des figures dérapées !
Exemple de routines imaginées par Cédric Denooz et son équipe
Au vu des figures réalisées et du soucis des collectionneurs pour la peinture de leur carrosserie, le placement des micros était complètement tributaire de cette dernière. Cédric Denooz et son équipe ont même dû concevoir une sorte de suspension pour les micros bas de caisse/pot, faite à partir d’une Rycote Cyclone avec 2 capsules DPA et leurs émetteurs SMDB gaffés à l’intérieur (voir les photos ci-dessous).
2.4 Burn Out (2017), Yann Gozlan
- Intervenant : Nicolas Provost (chef opérateur du son)
Burn Out est un film immersif sur l’univers de la moto de course. On y suit un pilote amateur qui cherche à passer professionnel. Plusieurs motos sont utilisées au cours du film (Honda, Suzuki, Ducati) mais toutes les séquences les mettant en scène ont été tournées en parallèle du tournage, avec une seconde équipe sans ingénieur du son. Le peu de matière sonore ramenée par cette seconde équipe image n’était même pas exploitable pour le montage image... Comme le réalisateur souhaitait malgré tout qu’elles aient un son réaliste et très travaillé, il a fallu les ré-enregistrer sur circuit (1 journée et demie de prise de son) et sur banc de puissance (kits de 4 motos enregistrés en ½ journée). Si le circuit était obligatoire pour réaliser certaines figures et mouvements, le banc de puissance s’est également imposé pour pouvoir parer au vent et produire des kits véhicules plus précis et complets, qui permettent de ramener de la présence et de dynamiser les séquences de moto.
La configuration de prise de son sur banc de puissance ne comprenait que des micros statiques omnidirectionnels : deux Sennheiser MKH 8020 pour le pot et le moteur, plus un LCR également en 8020 placé dans l’axe ou à l’arrière pour élargir l’image. De plus, comme la plupart des motos avait une bulle déflectrice de vent, un couple de DPA 4099 col de cygne a été caché derrière le déflecteur pour essayer de reproduire le point d’écoute du pilote embarqué ; cette matière pouvant potentiellement servir à illustrer les nombreux plans du film qui se placent soit en vision subjective, soit très près du casque du personnage principal. Il était ainsi possible de respecter la dynamique du montage image et même de raccorder aux différents axes d’accroche caméra sur la moto. De la même manière, tous les micros étaient placés en relative proximité, à la fois pour mater le plus possible l’acoustique du lieu mais également pour coller aux plans serrés des courses de moto.
Un Ducati 1299 équipée sur banc de puissance
Le choix des micros s’est naturellement porté vers des omnis statiques car ils encaissent bien, il est donc possible de monter facilement en énergie. De plus, leur couleur est intéressante pour de la moto de course, avec un timbre plus profond dans le bas, moins « sec » (et donc moins fatigant) dans l’aigu. La configuration de prise de son devait également être rapide à mettre en place et à utiliser car les 4 motos du film devaient être bouclées en une ½ journée. À noter qu’il est pratique de procéder aux enregistrements par palier : on va par exemple monter par intervalle de 20 à 30 km/h pour avoir les montées, et rester sur la longueur à chaque palier pour avoir les régimes constants.
La configuration sur circuit était également très simple : un couple de DPA 4099 sous la bulle pour éviter le vent (voir la photo ci-dessous), plus les traditionnels micros pot et moteur aussi en 4099. Tous étaient en HF car le pilote ne pouvait se permettre pour des raisons de confort et de sécurité d’être tributaire de câbles qui courent sur la carlingue de la moto. Il portait donc un petit enregistreur ainsi que les récepteurs HF dans un sac sur le dos. Le kit de chaque moto était réalisé en faisant faire au pilote des tours de piste à différentes vitesses, avec des régimes constants mais aussi des accélérations et décélérations. À noter que les HF décrochaient parfois, surtout quand la moto monte au-dessus de 200 km/h, car ces motos de course sont très mal anti-parasitées.
Tous les sons enregistrés ont été utilisés quasiment bruts dans le montage son, avec juste quelques pitchs pour soutenir certains régimes vitesse. Les deux kits « banc de puissance » et « circuit » se sont bien mélangées au mixage : si le premier permet de ramener de la puissance sans perdre en définition (en évitant de rajouter du rouling et du vent), c’est le second kit qui permet d’ajouter un aspect plus « brut » et réaliste au son du film, en jouant sur la sensation de vitesse.
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