Appel à des états généraux du cinéma
Nous avons assisté Graciela Barrault, Michel Casang et moi même à la journée d’appel à des états généraux du cinéma à l’Institut du Monde Arabe à Paris le 6 octobre dernier.
Cette journée fait suite à la tribune parue le 17 mai 2022 dans les pages du Monde (ici en pièce jointe). Elle était organisée par une partie non-négligeable des professionnels du cinéma, mais une partie seulement.
La crise conjoncturelle que traverse le cinéma avec la baisse de la fréquentation en salle a fait apparaître une crise structurelle plus profonde : Où sont passés les spectateurs ?
Introduit par une allocution de Monsieur Jack Lang en qualité d’hôte et d’ancien ministre de la culture, la journée était articulée en trois grands chapitres : la crise est-elle insurmontable ? Quelles sont les menaces qui pèsent sur la création ? Et quelles conséquences pour les salles ?
Les intervenants de toute la chaine cinématographique, scénaristes, réalisateurs, producteurs, distributeurs et exploitants se sont longuement attardés sur des constats que tout le monde connaît. De nombreuses portes ouvertes ont été enfoncées mais il est bon parfois de se l’entendre dire à nouveau par les acteurs eux mêmes de ce cinéma qui se sent en danger.
Un risque sur la diversité de la création
D’après les intervenants, et la salle semblait souvent en accord, c’est la liberté de création qui est attaquée par cette culture libérale ou néo-libérale sous jacente à toute décision politique. Or le cinéma, en tant qu’art, ne peut se réduire à un bien marchand comme les autres. La création ne peut se réduire à la fourniture de programmes pour les plateformes et/ou la télévision (la confusion entre les deux persiste) et un film de cinéma doit se voir en salle.
Les intervenants ont voulu rappeler la richesse de notre cinématographie même si on parle surtout de quantité de films produits, sans oublier bien sûr le vaste réseau de salles et d’écrans, probablement l’un des plus dense du monde.
La création du CNC et ses missions ont également été rappelées. C’est un système vertueux que tout le monde nous envie, même si au final très peu de pays l’ont imité, mais qui a permis de sauvegarder une production cinématographique française conséquente [1]
La création cinématographique ne serait donc plus défendue dans le pays qui s’est pourtant battu pour imposer le principe de l’exception culturelle à l’Europe. Il y aurait un glissement, qu’on perçoit également dans la sémantique, pour que les aides aillent plus vers une industrie audiovisuelle, économiquement plus rentable, que vers le cinéma économiquement plus fragile.
Si tout le monde s’accordera pour défendre l’exception culturelle, les intervenants ont aussi réussi à mettre en avant des arguments "techniques" en faveur du cinéma et de la création cinématographique : Chaque film reste un prototype, un objet unique. Il faut produire beaucoup de films pour faire apparaître les talents de demain. Les plateformes de streaming qui puisent dans ce vivier ne jouent absolument pas ce rôle d’incubateur. Elles en ont besoin mais ne l’alimentent pas.
Enfin le cinéma fait partie de la panoplie du soft-power. Si les intervenants ne se sont pas directement exprimés là-dessus, ils ont rappelé combien notre cinématographie nationale jouait un rôle important dans la coproduction internationale traduisant ainsi l’influence que peuvent avoir la France et sa culture dans le Monde.
Au final les responsables de la crise étaient nommés : Les plateformes numériques d’une part, et le gouvernement d’autre part, coupable au mieux d’une inertie volontaire, au pire d’un changement de dogme sur l’exception culturelle.
Les lignes rouges
Pour autant l’exercice a montré aussi ses limites et ses contradictions. Il a été rappelé par exemple que l’argent du CNC n’est autre que l’argent du cinéma qui va au cinéma, mais on oublie d’évoquer le crédit d’impôt qui émarge sur le budget de l'État. On regrette que les films ne bénéficient pas d’un temps long [ d’exploitation en salle ] mais comment faire quand plus de 15 films sortent chaque semaine ? On attaque les cartes illimitées en les accusant de transformer le cinéma en marchandise, alors qu’elles permettent au contraire de décorréler le prix de la place avec les films et qu’elles fonctionnent dans toutes les salles d’art et d’essai…
Il y a aussi eu un quasi-absent de ces débats, c’est le désir. Certes le désir de faire des films était là en filigrane, mais celui du spectateur il n’en a pas été question. Si les exploitants sont intervenus pour rappeler toutes les actions qu’ils mènent auprès du public, il n’a pas été dit que le cinéma fonctionnait dans une économie de l’offre et donc qu’il fallait susciter ce désir.
L’intervention d’Agnès Jaoui [ pertinente et intelligente, faut-il s’en étonner ] a quand même voulu rassurer en disant que notre désir d’histoires était intacte voire grandissant. Mais elle s’est fait reprendre par deux fois par un spectateur dans la salle qui lui reprochait ce vocable : « on parle de films, pas d’histoires »… donc le cinéma n’aurait rien à voir avec la dramaturgie !!??
Ainsi au fil de la journée deux lignes rouges sont donc apparues : il n’y a pas trop de films en salle et il n’est pas question de parler de qualité.
La crise était prévue
Malheureusement cette crise - en dehors de la parenthèse Covid - était écrite. Olivier Donnat, ancien sociologue au ministère de la culture l’avait parfaitement prévue et détaillée. Lors d’un entretien au Monde datant de 2018, il déclarait : [ les plus gros consommateurs de notre culture d’Etat sont les baby-boomers – ils ont du temps, de l’argent, lisent beaucoup, vont intensément au spectacle. Sauf qu’ils ont 60 ans et plus. « Dans dix ou vingt ans, ils ne seront plus là, et nos études montrent qu’ils ne seront pas remplacés », dit Olivier Donnat, qui annonce un avenir noir pour le théâtre classique ou contemporain, les films français d’auteurs ou la lecture de romans.]
[l’Etat culturel s’est construit sur l’illusoire thèse du ruissellement : plus l’offre culturelle sera riche, plus elle sera partagée par tous. Aussi le ministère et les créateurs ont longtemps nié [l’]étude] du sociologue. [« Il y a eu des tensions, se souvient Olivier Donnat. J’ai été vu comme un rabat-joie, on me disait que j’avais tort. »] [2].
Non seulement il aurait fallu tenir compte de ces signaux d’alertes, mais à force de ne pas vouloir prendre en compte certaines données il y a un risque de s’enfermer dans un élitisme ou une ghettoïsation qui sera non seulement contreproductive mais probablement fatale à la cause qu’on veut défendre.
Heureusement de tout cela une idée a pu émerger. Il s’agit de l’éducation au cinéma qui aurait potentiellement un impact à long terme. Tous les intervenants à cette journée d’appel s’accordent sur ce point : il faut montrer, éduquer, expliquer, surmonter les barrières pour susciter l’envie d’aller vers un cinéma plus exigeant et moins facile d’accès.
A la fin de la journée on repense aux mots de Jack Lang en introduction : « ne pas céder à la panique ». Passées ces 4 heures d’échanges, on comprend mieux ce qu’il voulait dire.
Notes :
- [1] 2019: 240 / 2021: 265 films d’initiative française, films dont le financement est 100 % ou majoritairement français. Source CNC.
- [2] A LIRE ABSOLUMENT : « La thèse du ruissellement, selon laquelle plus l’offre culturelle sera riche, plus elle sera partagée par tous est illusoire » Michel Guerin, Le Monde - 26 octobre 2018
Pour en savoir +
- Le Monde 7 octobre 2022, Michel Guerrin : « Les frondeurs du cinéma d’auteur ne se demandent pas si leurs films font partie du problème »
- Le Monde 7 octobre 2022, Clarisse Fabre : Plongé dans la crise, le cinéma français demande au gouvernement l’organisation d’Etats généraux
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