Atelier : Valérian - 02/12/2017
L’atelier organisé par l’AFSI le 02 décembre 2017 a été l’occasion de revenir sur Valérian et la Cité des mille planètes, le dernier film de Luc Besson (sorti en salles le 26 juillet 2017).
Pour cela, nous avons eu la chance d’accueillir différents intervenants qui ont travaillé à l’élaboration de la bande-son du film, du tournage jusqu’au montage son. Ainsi, étaient présents pour animer la séance (de gauche à droite sur la photo qui suit) :
- Frédérique Liébaut ( gestion des post-synchros ambiances & création des langues)
- Katia Boutin (chef monteuse paroles)
- Aymeric Devoldère (monteur son)
- Guillaume Bouchateau (chef monteur son de l’équipe française)
- Hortense Bailly (coordinatrice de l’équipe française)
- Florent Lavallée (enregistrement des bruitages)
- Stéphane Bucher (chef opérateur du son)
L’atelier avait pour principal objectif d’aborder, à travers leurs témoignages de cette expérience de travail hors norme, la manière dont on conçoit la bande-son d’un film de SF (surtout quand ce dernier est crédité du plus gros budget du cinéma européen, soit environ 200 millions d’euros). La rencontre était également ponctuée d’extraits non-mixés du film qui illustraient un propos particulier et/ou une étape de la fabrication sonore du film.
1. LE TOURNAGE
C’est Stéphane Bucher (au centre sur la photo ci-dessous) qui, le premier, a détaillé la manière dont il a abordé le tournage du film et chaque contrainte inhérente à ce dernier. Ayant déjà travaillé sur une dizaine de films EuropaCorp, c’est son deuxième long avec Luc Besson avec qui il a déjà collaboré sur Lucy. Il était accompagné dans cette aventure par Jérôme Rabu (perchman, à droite sur la photo) et Claire Bernengo (seconde assistante, à gauche sur la photo). L’un des aspects peut-être les plus importants du projet concerne sa production, qui s’est étalée sur plus d’un an (de janvier 2016 à juillet 2017), avec notamment une très grosse préparation du tournage. Cette phase de pré-production a permis à Stéphane et son équipe de résoudre en amont une partie des problèmes liés au film.
Le premier de ces problèmes concernait les costumes et les micros HF. Sur un tournage classique, cet équipement se fait sur le plateau au moment de l’arrivée du comédien. Mais cela n’était pas possible avec Luc Besson, qui demande à être PAT dès que l’acteur entre sur le plateau. De plus, si la méthode de pose d’un HF est bien rodée pour un costume chemise/t-shirt classique, elle l’est beaucoup moins quand il s’agit d’équiper une combinaison spatiale futuriste en plastique ! L’équipe son du tournage a heureusement pu compter sur l’expertise du costume-designer Olivier Bériot, qui avait parfaitement conscience de l’incidence que pouvait avoir le choix d’un matériau sur le son (notamment le synthétique, qui provoque des froissements).
Les space suit étant l’un des costumes principaux de Valérian et Laureline, il fallait trouver un moyen d’intégrer un micro HF en l’isolant assez du costume pour éviter les problèmes de bruit et de réflexion, et en le camouflant suffisamment pour qu’il reste invisible à l’image. Le choix s’est naturellement porté sur la collerette du costume, qui contenait déjà un faux système d’intercom. Ainsi, il était possible d’y placer la capsule du micro comme si c’était un vrai.
Stéphane Bucher avait décidé de travailler avec des micros DPA pour les liaisons HF, dans un soucis de raccorder au mieux avec le son de la perche sur les plans serrés et moyens, équipée elle du MKH 50 de chez Sennheiser. Ces HF servaient surtout de renfort de présence, la perche étant prédominante les trois quarts du temps. Les premiers tests ont donc été effectués avec un DPA 4060 équipé d’une capsule High Boost, qui a la particularité d’être plate et donc de faciliter son intégration dans le costume. Cela ne convenait pourtant pas : la capsule High Boost renforçait l’effet de surface de la collerette et rajoutait donc trop d’aigus. Ils ont donc opté pour une grille de capsule plus bombée, mais le problème des aigus persistait encore et toujours. La solution finale a donc été d’élever un petit peu la capsule puis de l’isoler de la collerette grâce à un joint, pour réduire les bruits mécaniques des déplacements des comédiens. La dernière petite touche consistait à colorier au marqueur les capsules dorées des 4060 en noir, afin qu’elles s’adaptent avec le costume aussi bien du point de vue de la couleur que de la forme !
D’autres astuces ont également dû être mises au point ; par exemple pour les costumes d’été de Valérian et Laureline dans la séquence du Big Market. Transparents et en matière plastique, il a fallu passer par une doublure en coton dans le col pour isoler les micros des comédiens.
Le deuxième gros challenge était les décors du film. L’utilisation du fond bleu était finalement assez réduite car 60 à 75 % des décors ont réellement été construits sur les 9 plateaux de la Cité du Cinéma (27 décors réels au total). On pense notamment à l’intérieur de l’Intruder (le vaisseau des deux agents secrets) ou encore au bus de la course-poursuite suivant la séquence du Big Market. Pour l’Intruder justement, Luc Besson souhaitait spécifiquement que l’intelligence artificielle qui commande le vaisseau soit incarnée par une voix, qui devait donc être diffusée dans le décor pour donner la réplique aux comédiens présents sur le plateau. Stéphane Bucher a travaillé en collaboration avec le décorateur Hugues Tissandier pour trouver les solutions de diffusion : près de 40 enceintes ont ainsi été intégrées dans les couloirs du vaisseau. Ce dialogue avec le chef décorateur ou l’équipe lumière était très important car il a permis de résoudre de nombreux problèmes, que ce soit l’isolation du sol des couloirs du vaisseau pour éviter les résonances des déplacements des comédiens ou le démontage des circuits des space light pour atténuer le buzz particulièrement bruyant qu’ils provoquent.
Enfin, la dernière problématique importante est liée aux SFX. L’équipe son a en effet dû cohabiter avec les équipes d’ILM et Weta Digital qui étaient présentes physiquement sur le plateau, notamment pour la partie du tournage en motion capture avec des personnages entièrement modélisés qui ont du dialogue. Ces équipes ont ramené avec elles tout un tas d’ordinateurs, qui servaient à calculer en temps réel la position ainsi que les différents mouvements des personnages. Cela représentait donc des racks entiers d’ordinateurs qui, bien évidemment, font du bruit et ventilent…
D’énormes panneaux absorbants de 2 mètres de haut ont donc été disposés autour de l’espace VFX pour atténuer au maximum cette pollution sonore inhabituelle sur un plateau de tournage. Le tissu du fond bleu, tendu du sol au plafond en passant par les murs, a également joué un rôle d’isolant bienvenu sur un plateau où pouvaient graviter jusqu’à une centaine de personnes.
Autre nouvel élément perturbateur, la capture extrêmement précise des mouvements du visage : une petite caméra va venir filmer les différents mouvements des muscles faciaux pour ensuite les interpoler grâce aux « dots », des petits points disposés sur le visage des acteurs. Pour pouvoir enregistrer cette caméra, ces derniers ont sur eux un petit recorder qui va conserver les images plutôt que de les diffuser on air, ce qui impliquerait énormément de bande passante. Hors, ce système d’enregistrement comporte des ventilateurs qui soufflent très fort. Leurs ingénieurs ont donc travaillé 3 nuits entières sur le logiciel pour trouver un moyen d’arrêter les ventilateurs à distance pendant les prises.
La somme de travail que représente un film de cette ampleur impose d’utiliser une configuration de tournage inversement simple, avec du matériel « basique » que l’on connaît sur le bout des doigts. Ce n’est pas le moment de faire des expériences ou de tester du nouveau matériel ! En plus du MKH 50 sur une ou deux perches (selon les situations de tournage), la roulante de Stéphane Bucher comportait donc simplement 3 récepteurs HF et un Cantar X2.
Hormis quelques rares plans ou scènes comportant deux caméras couvrant différents axes, le film a principalement été tourné avec une seule caméra. Comme pour le placement des HF, le plus important sur le plateau était donc d’anticiper. Il n’y avait jamais une seconde d’attente et à défaut de répéter chaque plan, Luc Besson en tournait en moyenne 15 à 17 prises. Cependant, pour plus de confort et de rapidité de travail, et afin d’éviter les perches dans le cadre (qu’honnit Luc Besson, cadreur de ses propres films), les perchmans étaient équipés d’iPod qui leur servaient de retour vidéo. Ce dernier était streamé via Wi-Fi et permettait notamment de switcher entre les 2 caméras quand cela était nécessaire.
Pour les perches dans le cadre, les scènes sur fond bleu font office d’exception puisque que l’utilisation d’une simple bonnette blanche suffisait à faciliter l’effacement de la perche en post-production. Ces scènes étaient malgré tout rares, car, si le fond bleu a souvent été utilisé sur Valérian, c'est surtout à travers les découvertes du décor réel : ainsi, seule la scène à l’extérieur du Big Market permettait vraiment d’utiliser cette astuce.
2. L’ORGANISATION DE LA POST-PRODUCTION SON
L’organisation de la post-production son de Valérian a été en partie chaotique. Luc Besson voulait un son « à l’américaine », il a donc décidé de re-travailler avec Shannon Mills (sound designer et chef monteur son de chez Skywalker Sound qui a déjà officié sur certaines séquences de Lucy), en faisant de ce dernier le superviseur de l’équipe américaine. Mais, jusqu’au début du montage son, la répartition du travail fut incertaine. Il était initialement prévu que l’équipe française s’occupe uniquement du design sonore des vaisseaux, du montage paroles et des bruitages, le tout sous la direction de l’équipe américaine qui superviserait, elle, le montage son et le mix.
Pourtant, Guillaume Bouchateau, qui a déjà travaillé sur plusieurs films de Luc Besson (dont l’avant-dernier en date, Lucy), avait déjà commencé à fabriquer et donner des sons au monteur image à sa demande pour l’aider à monter les séquences contenant beaucoup de fonds bleus et de VFX. De plus, à la demande de Luc Besson, il a assisté via Skype au spotting que ce dernier organisait avec Shannon Mills à Los Angeles. Comme Luc Besson souhaitait finalement que l’équipe française participe activement au montage son, Shannon a alors proposé de découper le film selon les décors, car chaque monde est vraiment différent et distinct des autres. Ainsi, chaque équipe s’est vu attribuée quatre bobines de travail, soit environ la moitié du film.
Les deux équipes étaient composées d’un superviseur du monteur son (supervising sound editor), d’un chef monteur son, d’un assistant monteur son et d’un sound designer. Pour ce dernier poste, Gurwal Coïc-Gallas et Alexis Place se sont relayés 3 semaines chacun au sein de l’équipe française, qui a également bénéficié pendant 6 semaines d’un renfort montage son en la personne de Alexandre Hernandez. Le calendrier de post-production son comportait, pour chacune des deux équipes :
- 17 semaines de travail pour le superviseur du montage son
- 15 semaines de travail pour le chef monteur son
- 9 semaines de travail pour le renfort montage son (seulement 6 pour l’équipe française)
- 6 semaines de sound design
- quasiment 9 semaines de montage paroles et 6 semaines de bruitages pour l’équipe française (plus les semaines allouées aux sessions ADR organisées par Clémence Stoloff)
- la présence continue d’un(e) l’assistant(e) qui coordonne chaque équipe
Les deux équipes se sont mis au travail début novembre 2016, au Skywalker Ranch pour les américains et chez Digital Factory à la Cité du Cinéma pour les français. L’équipe américaine est ensuite arrivée en janvier à la Cité, pour commencer les pré-dub mi-février. Il y a eu une semaine et demi de pré-mix paroles dans un audi classique et, pendant ce temps, 4 semaines de pré-mix effets (dont 3 jours de pré-mix bruits) dans l’audi Atmos de Digital Factory (construit pendant le montage son et terminé seulement 15 jours avant le début du mix).
Étaient initialement prévues 4 semaines de mix en France, suivies de 4 semaines de finalisation et de vérification du mixage aux États-Unis dans leur propre audi Atmos. Le tout se terminait par 2 semaines en France pour les masters. Le mixage s’est fait à l’américaine, avec donc 2 mixeurs américains (Tom Johnson pour les paroles et Juan Peralta pour les effets/bruits) et un français, Didier Lozahic pour la musique. Ainsi, le template qui a été choisi dès le montage son était celui d’une session type de Shannon Mills, ce qui a induit des changements de méthode de travail sur lesquels nous reviendront plus tard. Mais par exemple, contrairement à ce qui se fait beaucoup en France, les américains montent uniquement avec des sons mono et stéréo. Il a donc fallu mettre en place un code couleur pour leur signifier où étaient les sons LCR et 5.0 dans les stems FX et AMB.
Si les américains avaient l’impression de travailler en équipe réduite, ces proportions inhabituelles pour une production de l’hexagone impliquaient une manière de fonctionner nouvelle et différente pour l’équipe française. C’est Hortense Bailly qui a eu la responsabilité d’encadrer les différents allers-retours entre l’image et le son, la production et le son et même entre les deux équipes de montage son. Son objectif principal était que les monteurs puissent se concentrer sur leur travail sans avoir à gérer les à-côtés de la post-production. Quand ils entraient dans leur salle de montage, tous les changements de version et de VFX devaient être le plus transparent possible. Elle a donc commencé par leur imposer une sonothèque commune à tous, avec la même arborescence de projet sur chaque poste de travail. Ainsi, il suffisait de s’échanger les sessions avec seulement les nouveaux fichiers audios créés, sans jamais avoir besoin de faire de relink.
Les conformations de montage image étant finalement relativement peu nombreuses (ce dernier ayant débuté très tôt dès le tournage), c’est essentiellement l’avancement des VFX qui a demandé beaucoup de travail (même si la rigueur des équipes d’ILM et de Weta a fait que tout s’est passé sans trop de problèmes).
Puisqu’il était impossible pour Hortense de vérifier les 200 à 250 nouveaux plans reçus quotidiennement par la production, elle s’est arrangée avec l’assistante image (avec qui elle avait déjà mis en place une méthode similaire sur Lucy) pour recevoir tous les lundis matins les VFX de la semaine précédente. Cela permettait déjà d’éliminer toutes les modifications qui auraient pu intervenir sur un même plan durant la semaine. L’assistante image exportait donc un AAF vidéo avec uniquement les nouveaux plans ; AAF à partir duquel Hortense déterminait si les changements de VFX étaient significatifs pour le son ou pas. S’ils l’étaient, elle effectuait elle-même les changements de synchro ou de calage quand elle possédaient la session correspondante. Sinon, elle envoyait à chaque monteur les modifications qui le concernaient puis les vérifiait avec lui, en lui indiquant le TC correspondant et la nature de la modification. Cela impliquait forcément de savoir à tout moment sur quelle séquence travaille ou a travaillé chaque monteur son.
Elle était la seule avec Guillaume Bouchateau à posséder un ProTools HDX2 pour pouvoir ouvrir et lire toute la session de montage son ambiances et effets. Cette dernière comportait 12 stems FX (32 pistes chacun, 12 mono et 10 stéréo) et 6 stems AMB (24 pistes chacun). Les autres monteurs étaient sur un simple système HDX : Hortense leur donnait donc le nombre maximum de stems qu’ils avaient le droit d’utiliser pour leur montage, pour ensuite ré-assembler toute la matière sonore dans la même session. Elle décidait donc in fine qui monte quoi, sur quel stem et sur combien de pistes.
3. LE MONTAGE PAROLES
Dans sa manière de travailler sur Valérian, la chef monteuse paroles Katia Boutin n’a pas vu de grosses différences par rapport à d’habitude ; elle l’a abordé comme un film classique. En l’occurrence, le plus compliqué concernait le revoice des personnages en images de synthèse (notamment les Pearls). Ils étaient joués pendant le tournage par des acteurs faisant office de silhouettes pour la motion capture. À partir du son témoin pris pendant le tournage, il fallait donc ré-enregistrer les voix au fur-et-à-mesure (avec les mêmes comédiens ou non) pour ensuite les envoyer aux VFX, afin que ces derniers puissent ajuster la synchronisation labiale de leurs modèles 3D.
Pour chacun de ces personnages, Katia devait ainsi s’assurer que la voix qu’elle montait et traitait dans sa session était bien définitive, et sinon prévoir son (ré)enregistrement. Elle était aussi responsable du calage final des voix : en effet, l’animation des muscles faciaux et des lèvres d’un personnage en images de synthèse a ses limites et ne peut pas toujours rendre parfaitement compte du rythme de la voix et des respirations. Elle devait donc continuellement vérifier si la synchro labiale était bonne ou pas, et modifier le cas échéant le montage paroles pour assurer le synchronisme !
Tout ce travail sur les post-synchro a débuté très tôt, dès le mois d’octobre 2016 pour les Doghan Daguis. Sans passer par une séance de détection (il n’y avait besoin d’aucune post-synchro « technique »), Katia et son assistante Clémence Stoloff ont établi la liste des revoices manquants, ainsi que des rajouts de texte demandés par Luc Besson. Puis les sessions ADR (Automated Dialogue Replacement) ont été préparées par Clémence, avec un relevé des dialogues et des timecodes correspondants, avant d’être envoyées à travers le monde aux différents comédiens pour leur enregistrement. Elle réceptionnait ensuite les rushes des voix, qu’elle recalait à l’image pour finalement les rendre à Katia, qui pouvait donc les incorporer à sa session puis les envoyer aux VFX. Ces allers-retours ont continué pendant toute la durée du montage son, puisque certaines voix ont été refaites plusieurs fois.
On peut prendre l’exemple d’Igon Siruss (voir l’image ci-dessous), à qui John Goodman prête sa voix. Pour ce contrebandier intergalactique, Katia voulait vraiment incarner le physique du personnage, un peu à la manière de Jabba le Hutt dans Star Wars. Sa corpulence et son faciès l’ont donc naturellement amenée à travailler sur la respiration et les souffles du personnage, en allant piocher dans des prises non gardées pour enrichir le jeu de l’acteur. Elle a également agrémenté le tout par des sons de grognements et de souffles de bêtes sauvages tirés de la sonothèque Ferocious Creatures (éditée par Tonsturm), afin d’accentuer et de marquer la prononciation en sous-couche. Shannon Mills a apporté la touche finale en rajoutant des souffles de chevaux pitchés vers le bas entre les répliques.
Le bruiteur Philippe Penot a également fourni de la matière sonore, notamment pour incarner la bouche et la déglutition du truand. Puis, pour figurer le gigantisme et le poids du personnage, Katia Boutin a beaucoup travaillé sur les graves de la voix de John Goodman, en jouant par exemple avec le pitch et différents autres paramètres du plug-in Ircam Trax, édité par Flux:: pour la suite Ircam Tools (voir l’image ci-dessous). Le mixeur paroles Tom Johnson a enfin rajouté une dernière couche de traitements au mix en retravaillant le pitch des extrêmes graves.
Cette voix est certes l’une des plus traitées et montées du film, mais elle montre parfaitement toute l’amplitude et la richesse sonore qu’il est possible d’apporter avec un bestiaire d’aliens et de monstres aussi diversifié que celui de Valérian et la Cité des mille planètes.
Toutes ces strates d’effets et de traitements ont été assemblées lors du pré-mix paroles, sur une période relativement resserrée pour un film de plus de 2h où la parole est prédominante. Ce temps de pré-mix a donc essentiellement servi à ventiler au maximum la matière disponible, pour se donner une latitude la plus grande possible lors du mixage final en présence du réalisateur. Par exemple, Luc Besson voulait rendre les Pearls (voir l’image ci-dessous) les plus androgynes possibles. Ainsi, il n’a pas arrêté de demander à pitcher la voix des hommes vers le haut et celle des femmes vers le bas, et ce jusqu’aux dernières rectifications de mixage.
4. POST-SYNCHROS AMBIANCES & CRÉATION DES LANGUES ORIGINALES
C’est Frédérique Liébaut qui était en charge des post-synchros ambiances. S’il s’agissait concrètement d’enregistrer des walla et des dialogues additionnels pour « habiter » les foules et la figuration, l’objectif principal restait malgré tout et surtout de créer librement de la matière sonore à disposition des monteurs son et du réalisateur.
Les deux décors principalement concernés par ces post-synchros sont la Cité des mille planètes Alpha et le Big Market (voir l’image ci-dessous). Par exemple, Luc Besson a imaginé ce dernier comme une gigantesque tour de Babel où espèces et langues s’entremêlent ! Frédérique a donc choisi de travailler avec des comédiens qui parlent chacun plusieurs langues différentes. Il y avait ainsi sur le plateau une dizaine de langues représentées, avec 2 locuteurs pour chacune d’entre elles (condition sine qua non pour créer un dialogue crédible entre deux figurants) : chinois, japonais, arabe, serbe, anglais, espagnol, russe, portugais, créole, allemand et évidemment français. Tous ces comédiens ont travaillé en impro sous sa direction, avec l’idée de recréer ce sentiment de diversité humano-extraterrestre par la diversité des langues et des situations dialoguées.
Les 20 acteurs qu’elle a choisi étaient donc présents pour 3 jours d’enregistrement, le casting changeant en fonction des séquences (une seule demi-journée de correction et de rajouts a été nécessaire). Sur le plateau, Frédérique s’occupait principalement de la direction des comédiens, tandis que Katia Boutin représentait Luc Besson et faisait le lien avec le montage son. Anne Maisonhaute était également présente pour dérusher et classer les ambiances enregistrées par Loïc Gourbe, avec Claire Bernengo à la perche.
La seconde mission de Frédérique Liébaut concernait la création des langues originales des extraterrestres peuplant l’univers de Valérian. Les deux plus importantes sont parlées par les Pearls et les Boulan-Bator. Pour les premiers, Luc Besson avait déjà inventé une poignée de mots de vocabulaire. Il voulait représenter les Pearls comme des êtres particulièrement sensibles, presque éthérés. Il fallait donc créer une langue douce et calme, qui ne prenne pas trop d’espace et qui renvoie à leur androgynie. Frédérique a même fait en sorte que la diction de cette langue influe jusque dans l’expression de leurs émotions : face à la destruction de leur planète, les Pearls se mettent à fredonner une sorte de psalmodie… On est très loin des pleurs ou des cris de peur !
L’approche des Boulan-Bator est plus pragmatique. Pour eux, Frédérique a surtout travaillé l’incidence que la corpulence et le faciès (voir l’image du roi Boulan-Bator ci-dessous) peuvent induire sur une langue. Elle s’est par exemple beaucoup appuyée sur le phonème /u/ (son naturel de « ou ») pour construire un glossaire lexical inspiré du latin et de l’anglais. C’est à partir de ce glossaire qu’elle a ensuite pu écrire leurs dialogues, notamment pour la scène du banquet royal.
5. LE BRUITAGE
C’est l’équipe américaine qui a demandé dès le début du projet à ce que les bruitages soient faits en France. En effet, ils reconnaissent un véritable savoir-faire « à la française » pour ce qui est du son direct et du bruitage. Les productions hollywoodiennes, elles, n’hésitent pas à se reposer sur la post-synchronisation ; et même leurs méthodes de travail diffèrent pour ce qui est du bruitage. Par exemple, les bruits sont souvent enregistrés non-synchrones. Puis une équipe de « monteurs bruitages » intervient alors pour les caler, les nettoyer et les traiter.
Les bruitages de Valérian ont été réalisés par Philippe Penot et enregistrés par Florent Lavallée. Le célèbre bruiteur a été assisté par Franck Tassel pendant une semaine, et par son fils Florian Penot pendant 5 autres. Ces 6 semaines de bruitage ont toutes eu lieux dans l’auditorium de bruitage de Digital Factory en Normandie. Elles étaient réparties en 2 sessions de 3 semaines chacune sur les mois de novembre 2016 et janvier 2017. La première session de novembre a servi a boucler les effets des 3 premières bobines. La seconde session de janvier leur a permis de terminer les effets, et d’attaquer les pas et les présences. Ça a été l’occasion de travailler sur les costumes, de sonoriser les casques des deux héros, etc. Ils ont eu le loisir et le temps (on pourrait même dire le luxe) de chercher, d’expérimenter des choses, voire même de se tromper et refaire le cas échéant…
L’unique consigne qu’ils ont reçu de Luc Besson était : « Amusez-vous ! ». Cette absence de contraintes ne les a pas empêchés de rester en lien permanent avec le montage son qui se déroulait en parallèle, en s’appuyant sur des bounces du montage paroles et du montage son. Pour chaque nouvelle séquence qui arrivait, les équipes des VFX prenaient soin de systématiquement finaliser au moins quelques secondes (voir un plan entier) de la scène, afin qu’ils puissent se faire une idée assez précise du décor, de la surface sur laquelle les personnages marchent, la texture de leurs vêtements, etc. Cela a permis de guider le bruitage, tout en débutant sereinement le montage son.
La méthode de Florent consiste à enregistrer tous les bruitages en sommation au casque, afin de tout de suite les équilibrer en niveau par rapport au montage son. Avant de les rendre aux monteurs, il passait également par une étape de nettoyage et de spatialisation au pan. L’audi de bruitage étant parfaitement calibré, l’idée était de pouvoir fournir une matière qui soit immédiatement écoutable avec le montage son. Cependant, tout le travail d’acoustique était laissé au mixeur effets. Pour garder cette latitude, ils ont travaillé avec la configuration mate de l’audi, en privilégiant les micros de proximité et d’appoint aux micros d’air. Ils se sont malgré tout autorisés quelques effets de détimbrage. Le parc de micros était composé de deux DPA 4041, un 4006 pour les pas et un AKG C414 en renfort pour les effets. À tout cela s’ajoutent des micros de contact, un tri-piste LCR Schoeps et des U87 disposés dans des configurations invraisemblables (comme dans des interstices), afin d’expérimenter et de chercher de nouvelles textures sonores. Tout cela a finalement permis de gagner quelques jours sur le pré-mix effets ; car si 4 jours sont d’habitude nécessaires pour pré-mixer les bruits, ici, il n’a même pas fallu une journée entière.
6. LE MONTAGE SON
Guillaume Bouchateau et Aymeric Devoldère ont commencé le montage son de Valérian en même temps. Ils ont abordé le travail comme sur un film d’animation : il fallait incarner chaque élément visible à l’écran, et faire en sorte que le spectateur y croie. Luc Besson restait lui très narratif dans son approche du son ; il voulait que tel vaisseau sonne doux, que tel autre soit agressif, etc. Il donnait comme cela des indications liées au ressenti que devait avoir le spectateur par rapport à chaque élément. À charge pour Guillaume et Aymeric d’ensuite traduire ces intentions, c’est-à-dire trouver la manière la plus efficace possible de les retranscrire en son. Cela passe évidemment par la création d’un univers sonore personnel et riche (comme l’est l’univers visuel du film).
Il fallait notamment caractériser les multiples vaisseaux qui parsèment le film, figurer les différentes impressions de vitesse et les matériaux, jouer les mouvements, etc. Tout ce travail passe préalablement par la constitution d’une sonothèque de véhicules que l’on va pouvoir re-modifier et traiter derrière. L’équipe française a pour cela travaillé avec quelques plug-ins de sound design, comme les GRM Tools, Trax (pas uniquement pour le montage paroles donc), Soundtoys et, évidemment, le pitch. Cette expérience leur a permis de conclure que, sur ce genre de film de SF avec beaucoup d’éléments futuristes ponctuels et/ou en mouvement, tu ne peux vraiment faire le sound design qu’à l’image quand tu es en train de monter. Fournir des matières en amont sans avoir le film sous les yeux n’est que peu productif ; même si Gurwal et Alexis ont créé et apporté de cette manière les couches de base des armes, des vaisseaux et des monstres (en partie avec un Kyma).
Sur Valérian, Guillaume et Aymeric ont surtout ressenti un véritable changement d’échelle. Malgré la durée du film, le genre de la science-fiction et l’abondance des scènes d’action en images de synthèse, le travail n’était pas plus compliqué. Tout était juste plus lourd et engendrait un nouveau rapport au temps. Un monteur pouvait par exemple passer plus d’un mois sur une course-poursuite entre deux vaisseaux, en montant difficilement 15 secondes par jour. Mais ils n’ont rencontré aucun vrai problème fondamental de conception, toute la narration étant contenue dans les dialogues et l’image. Leur principale problématique était plus de réussir à hiérarchiser les informations sonores, tellement le visuel est foisonnant dans le film. Chaque problème rencontré était donc abordé seul, ils envisageaient chaque partie à la fois. Cela était d’autant plus difficile qu’ils ont monté sans avoir aucune maquette de la musique originale du film, alors que la musique est prépondérante dans le mix final. C’est d’ailleurs ce dernier qui a permis de finaliser le tout et de donner une vision globale et cohérente à l’ensemble. En effet, les délais de production et la pléthore de décors et de situations font qu’il est quasi-impossible d’avoir une vision globale du son du film, surtout avec deux équipes qui travaillent en parallèle. Le tout était simplement de s’accorder sur une vision parcellaire et de construire le film pas à pas, en fonctionnant par étapes. Il y avait donc régulièrement des échanges de sons entre les deux équipes, par exemple pour l’Intruder qui est présent à la fois dans la bobine 2 pour l’équipe américaine et la 4 pour les français. Malgré cette nécessité de trouver des couleurs similaires, tout s’est passé sans encombre ; et quand les pré-mix ont commencé, il n’y avait aucune différence dans le « ressenti » de chaque partie du film mais une vraie homogénéité des bobines entre elles. La manière de monter de l’équipe américaine était pourtant différente. Sur le travail des couches pour une scène de gun fight par exemple : alors qu’en France on privilégierait l’empilement des différentes textures, eux vont beaucoup plus travailler en bounce pour réunir dès le montage son les différentes matières. Ils n’ont pas cette tendance à tout décomposer ; ils essayent au contraire de fusionner le plus possible les différentes composantes de chaque effet sonore.
Le gigantisme du projet s’illustre de manière assez simple à travers les sessions de montage son, qui brassaient énormément de médias. La session type avait été imposée par l’équipe de Skywalker Sound. Ce template débute par 12 stems d’effets FX (de A à L), de 32 pistes chacun (sans aucune piste de SUB). Puis viennent 6 stems d’ambiance nommés BG, pour backgrounds. Avec 24 pistes chacun, ils sont surtout utilisé pour monter des fonds d’air ou des ambiances monotones unies qui serviront de base et de liant à la séquence. Toutes les ambiances plus ponctuelles comme de la pluie ou du vent dans le feuillage des arbres vont dans les FX. En plus de la sortie Edit RM qui correspond au 5.1 de la salle de montage son, tout cela part dans 3 envois pré-fader (où les automations de volume et de pan du montage son ne sont donc pas prises en compte) : le casque, l’enregistreur et le mix objet ATMOS.
Plus que des stems, ce sont surtout des départs d’enregistrement. En effet, la méthode de pré-mix américaine fait qu’ils n’abordent pas toute la matière montée de front. Ils considèrent le pré-mix non pas comme une vue d’ensemble mais plutôt comme un re-éclatement des sons. C’est avec cette étape qu’ils vont commencer à paner et mettre en espace les sources. Pour cela, ils ne font d’abord rentrer dans la console que les stems A, B et C, et ce, pour toute la bobine. Une fois ces 3 stems pré-mixés, ils les enregistrent en 9.1. Ensuite, ils attaquent D/E/F en gardant le rec d’A/B/C en monitoring, et ainsi de suite. Comme cette méthode de travail fonctionne comme un entonnoir et n’accorde que peu de souplesse, ils se gardent 3 stems de Fixies sous la main au mix final, pour les rajouts et/ou les modifications. Il est donc impératif d’organiser la session selon l’importance des sons (c’était l'un des rôles d'Hortense Bailly). Les sons les plus importants pour la narration (les vaisseaux ou les explosions par exemple) vont dans les premiers stems A/B/C, tandis que les éléments les moins significatifs (comme les bips ou les foules) vont dans les derniers. Le film étant réparti sur 2 équipes, il a également fallu s’accorder sur l’endroit où l’on rangeait les différents types de son pour pouvoir s’y retrouver au mix : par exemple, les whooshs étaient systématiquement montés dans le stem C.
Le final mix est donc construit à partir des enregistrements 9.1 de chaque groupe de stems. C’est au cours de cette dernière étape que vont d’ailleurs être créés les objets Atmos. Pour cela, un assistant découpait tous les multipistes 9.1 enregistrés précédemment en petits morceaux. Cela permettait de rendre à nouveau les médias lisibles et donc de pouvoir choisir ce qu’on désire retirer du bed pour mettre en objet. Le mix final de Valérian est malgré tout très peu « atmosisé ». Ça reste avant tout un 9.1 enrichi : avec du son dans le plafond donc, mais très peu d’objets (le plus important étant la voix de l’Intruder). Le film n’a pas été mixé particulièrement fort, et surtout sans compression des effets ! Ces derniers ont été resserrés autour des médiums au mixage final car cela leur permet de résister à la musique et d’être facilement transportables d’un système à l’autre. Ce n’est pas très beau à écouter seul mais ça se fond très bien dans le mix. A contrario, en France, on travaillerait plus volontiers la masse avec le bas du spectre et le mouvement avec les aigus pour les effets. Toutes les réverbes ont également été traitées comme des effets ; ils n’en ont d’ailleurs utilisés principalement que 3 : une courte, une moyenne et une longue (et ce sans distinction de décor et sans se préoccuper de la cohérence avec le son direct). La parole aussi était très serrée, avec des voix coupées au-dessus de 8 kHz. Cette manière de mixer l’anglais parlé est en partie dû à sa tessiture mais aussi aux habitudes de mixage hollywoodiennes.
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