A l'écoute du vivant avec l'audio-naturaliste Marc Namblard
Marc Namblard, audio-naturaliste dépeint dans le documentaire L'esprit des lieux (S. Manchematin et S. Steyer, 2019) revient sur sa profession, son rapport aux sons de la nature, les problèmes liés à la pollution sonore... Et c'est passionnant !
Article original consultable sur le site: goodplanet.info .
Marc Namblard a développé au fil des ans une passion pour les sons de la nature et les bruits du Vivant. De son activité d’audio-naturaliste, il en a fait un métier. Il parle de sa passion pour les sons de la nature dans un élégant petit ouvrage publié début 2023 chez Bayard, « À l’écoute du vivant ». Le livre, à lire et à écouter, surprend sans cesse tout en questionnant la perception qu’on a du Vivant. L’occasion pour nous d’interviewer ce passionné lancé dans une insatiable recherche et collecte de tous ces bruits qui font la vie de la nature.
Avant tout chose, pour celles et ceux qui ne le savent pas encore, qu’est-ce qu’un audio-naturaliste ?
L’activité de l’audio-naturaliste consiste en premier lieu à passer beaucoup de temps dans la nature avec ses oreilles pour écouter tous les phénomènes sonores qu’on peut y rencontrer. On écoute et on tente de capter non seulement le bruit des animaux, des insectes et des végétaux mais aussi celui des phénomènes naturels comme la pluie, l’écoulement d’une rivière ou la glace qui craque.
L’activité de l’audio-naturaliste est d’abord une passion. Assez peu de personnes la pratiquent de manière professionnelle. Dans le prolongement de l’écoute et de la captation s’ajoute alors un travail sur les enregistrements en fonction de ce qu’on veut obtenir et produire. On peut ainsi valoriser tous ces documents dans des projets variés qu’ils soient artistiques, culturels ou scientifiques, comme la constitution d’une sonothèque, le cinéma, les documentaires, le travail avec des musiciens, la muséographie ou l’élaboration d’outils pédagogiques ou encore la recherche scientifique.
À la lecture du livre et l’écoute des extraits sonores [à retrouver sur le lien suivant en S16 et S17), j’ai été particulièrement étonné par le son des amphibiens suivants : grenouilles rieuses (S16) et le chœur de sonneurs à ventre de feu (S17). Pouvons-nous revenir un peu dessus ?
Les amphibiens nous amènent dans un univers sonore rempli de surprises. Ce sont des espèces qui émettent des sons qu’on n’attend pas de leur part. Le sonore à ventre de feu utilise son corps pour amplifier son chant. Chaque espèce d’amphibien possède son propre chant, très loin du coassement stéréotypé qui nous vient tout de suite en tête. Certaines espèces ont des chants qui évoquent celui des oiseaux ou bien des insectes. Dans les zones tropicales, chaque espèce produit des sons très différents, il arrive que leur multitude et leur variété confèrent des tonalités quais électroniques aux sons des amphibiens.
La nature offre d’innombrables variations dont les sons ne se limitent pas qu’aux animaux…
Dans mon travail et dans le livre, je fais le choix de me concentrer sur la nature de proximité. Au début, je craignais d’en avoir rapidement fait le tour. Je constate pourtant jour après jour que la nature offre d’infinies variations phoniques au sein des mêmes lieux et des mêmes espaces, selon les moments et les saisons. Je me rends régulièrement dans le même vallon proche de chez moi dans les Vosges, et à chaque fois, c’est différent. Il y a les animaux, mais au sein d’une même espèce on a affaire à des individus avec leurs timbres et leurs spécificités sonores propres. Chacun est différent. Même à petite échelle, ce travail d’audio-naturaliste peut m’occuper une vie entière pour documenter les sons d’un seul recoin de nature au fil des saisons et des années. C’est une source sans cesse renouvelée de découvertes, d’explorations et de plaisirs sans fin. C’est également une source d’émerveillement accessible depuis le pas de ma porte.
Qu’est-ce qu’aller à la rencontre du vivant signifie pour vous ?
Cette démarche consiste à se décentrer vraiment, c’est-à-dire à savoir partager du temps et s’ouvrir aux autres êtres vivants dans un lieu qu’on partage. Dans mon cas, c’est les Vosges, car je voyage assez peu. Être, dans la forêt des Vosges, à l’écoute du vivant conduit aussi à penser à autre chose qu’à sa propre existence. Ce qui me procure beaucoup de satisfaction et m’enrichit. L’activité d’audio-naturaliste se nourrit et alimente dans le même temps un désir de découverte immense et une curiosité sans fin. La nature offre un infini de variations qui me fascine.
Qu’est-ce qui vous plait le plus dans cette quête incessante des bruits du Vivant ?
J’apprécie l’alternance entre les moments de solitude dans la nature pour aller chercher tous ces éléments sonores et les rencontres, qui se font grâce au partage des enregistrements. Ma passion pour la captation remonte à très loin puisque j’y étais très tôt sensibilisé par mon père qui n’était pas naturalise. Il réalisait des enregistrements de famille. Les micros, les haut-parleurs, les bandes magnétiques me plaisaient. Puis après mes études dans le domaine du son, c’est ma rencontre au début des années 2000 avec le preneur de son naturaliste Fernand Deroussen qui a donné une tournure plus naturaliste à ma pratique. Auparavant, je prenais des sons de paysage sans trop me questionner sur ce que je collectais.
Quel est votre souvenir le plus émouvant de vos pérégrinations d’audio-naturaliste ?
Beaucoup de ces souvenirs sont de micro-événements difficiles à partager car ils peuvent sembler très tenus et fugaces. Ces longs moment d’attente durant lesquels de nombreux petits événements se produisent procurent une sensation de bien-être voire de plénitude. Cela peut être un moment de silence dans un sous-bois dans les Vosges ou encore la surprise de voir un animal apparaître ou se manifester tout près alors qu’on est à l’affut et qu’on ne l’attend pas.
Avez-vous un conseil pour celles et ceux que la discipline pourrait intéresser ? pour se lancer ?
Il faut avoir un certain tempérament et savoir se montrer patient car il est très difficile d’obtenir rapidement des résultats. La discipline d’audio-naturalise par le temps qu’elle demande et la dimension aléatoire des enregistrements, qui peuvent être perturbés par de nombreux sons parasites externes, implique de savoir et d’apprendre à gérer ses frustrations. De plus, c’est en pratiquant sur le terrain qu’on progresse puisque la plupart des guides sur la prise de son se révèlent inadaptés à la pratique dans la nature. Ils concernent des captations en intérieur et traitent donc rarement de la prise de son en extérieur.
Enfin, j’invite surtout tous ceux que la discipline intéresse à se rapprocher de ceux qui pratiquent déjà, notamment par le biais de l’association Sonatura. Elle regroupe des audio-naturalistes amateurs pour la plupart. Ils orientent très bien les nocives et organisent des rencontres et des sorties.
Qu’en est-il de l’impact de la pollution sonore dans votre activité ?
À partir du moment où on sort avec un casque et des micros, on est toujours confronté à la pollution sonore, même dans de endroits qu’on imagine sauvage. Le bruit des moteurs occupe une place énorme dans le paysage acoustique du fait des déplacements incessants des humains sur terre, sur mer et dans le ciel. Les nuisances sonores sont une contrainte très forte dans le travail d’audio-naturaliste qui oblige à passer du temps en amont pour repérer des endroits où travailler sans être dérangé.
Faut-il, comme les vagues ou le ciel étoilé, considérer « le silence de la nature », ou du moins un environnement sonore naturel, comme un patrimoine à préserver ?
Bien sûr qu’il faut préserver le « silence de la nature ». Il faut bien comprendre que les animaux émettent autant de sons dans la nature, c’est que cela répond à des besoins vitaux. Si les animaux n’arrivent plus à s’entendre et à transmettre des messages, leur vie devient compliquée. Ils échangent des messages pour s’alerter, se retrouver, s’accoupler et perpétrer l’espèce. La situation s’avère ainsi extrêmement problématique pour eux. Il faut donc préserver les espaces naturels de ces bruits trop envahissants pour permettre aux êtres vivants de continuer à vivre correctement.
Comment parvenir à limiter les nuisances sonores dans les espaces naturels ?
Il faut sensibiliser le public et les décideurs. Il est vital de mettre en valeur et de montrer la beauté de la nature par ce qu’elle produit sur le plan sonore. En effet, la nature est aussi belle à écouter, pas seulement à voir. Faire entendre la beauté du vivant pour susciter des émotions est une de nos missions comme audio-naturaliste. En raison de cette approche esthétique, elle nous distingue des chercheurs, bio ou éco-acousticien qui ont une approche scientifique des sons du vivant et des milieux.
Pensez-vous qu’il soit possible qu’à la fin du siècle l’humanité se voit réconcilier avec le Vivant et que ce dernier se reconstitue ? comment ?
C’est un désir profond au fond de chacun d’entre nous. On sent bien que les esprits évoluent et que les initiatives se développent. On n’a pas le choix. Toutefois, on n’y parviendra pas en mettant la nature sous cloche pour la préserver. C’est nécessaire, mais pas suffisant. On doit créer des oasis de biodiversité, mais il faut aller plus loin et ne pas évacuer la question de la place de l’Homme. Il faut prendre en compte la manière dont on partage l’espace avec les autres vivants et revoir notre façon de vivre. L’enjeu n’est pas de préserver les autres êtres vivants mais plutôt d’apprendre à vivre avec eux.
Propos recueillis par Julien Leprovost
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