À propos de "Nouvelle vague"
Entretien avec Jean Minondo, chef opérateur du son du film Nouvelle Vague de Richard Linklater.
Nouvelle Vague est un biopic qui reconstitue la naissance du film À bout de souffle, film emblématique de la Nouvelle Vague du non moins emblématique réalisateur Jean-Luc Godard. Son réalisateur, Richard Linklater, est américain et le film a été tourné principalement à Paris.
Richard Linklater : « Je pense que tout réalisateur en activité depuis un certain temps devrait, à un moment de sa carrière, réaliser un film sur la fabrication d’un film. C’est légitime de vouloir aborder ce sujet compliqué et obsédant auquel on consacre sa passion et sa créativité. Mais quelle est la bonne approche, comment trouver le bon ton ? Est-ce possible de faire mieux que « La nuit américaine » ? C’est peu probable. » [1]
Nouvelle Vague est-il un film américain ou un film français ?
Jean Minondo : C’est un film français avec une petite part de production américaine. Il est produit par ARP Sélection, Michèle Halberstadt et Laurent Pétin. Et il y avait John Sloss, qui est un ami de Richard Linklater et en même temps coproducteur.
Est-ce que tu étais sur un tournage dont la méthodologie de travail était plutôt française ou américaine, ou un subtil mélange des deux, sachant que le réalisateur avait déjà tourné à Paris et que l’équipe est globalement française ?
J.M. Il est vrai que Richard Linklater a tourné à Paris, notamment pour Before Sunset [2004]. Sur Nouvelle Vague, dont le chef opérateur est David Chambille, l’équipe était vraiment française. La méthodologie de travail était française. Le subtil mélange venait du fait que ce film, français, était dirigé par un Américain non francophone, ce qui faisait qu’il y avait un travail de transmission du sens opéré par Michèle Halberstadt, productrice [également créditée comme scénariste], qui était vraiment hyper présente sur le plateau et comme un bras droit de Richard Linklater. Mais la langue n’a jamais été un obstacle.
Est-ce que tu as travaillé comme tu as l’habitude de faire ou tu avais des demandes en dehors de tes habitudes ? Sur le plan matériel par exemple.
J.M. J’ai travaillé comme j’ai l’habitude de faire. Il n’y avait aucune demande spécifique pour ce tournage de la part du metteur en scène ou même de la production.
Je pense que c’était la première fois que j’utilisais les Wysicom à la place des Lectrosonics. J’avais un Octopack avec les Wysicom et des A10 pour les perches. Donc j’ai vraiment fait ce que je voulais. Je n’ai rien changé et la seule demande au départ, c’était qu’on ait un système d’intercom de liaison entre notre productrice, Michèle Halberstadt, et Richard Linklater. On a essayé tous les systèmes les moins contraignants pour Richard. Et, ma foi, au bout de deux jours, c’était réglé. Il a déposé son écoute dans un coin et n’en voulait plus. Il voulait pouvoir être en champ libre et en conversation directe, ce qui n’a posé aucun problème. Effectivement, c’était beaucoup plus souple.
Comment ça se passait avec le réalisateur qui ne parle pas le français ?
J.M. J’avais eu un long entretien préliminaire avec le réalisateur. Il m’a demandé ce que j’avais fait et disons que j’ai compris très vite qu’il me laisserait libre cours à mes décisions et à ma perception du plateau. C’était sans contrainte. Disons qu’il laisse le champ libre aux interprétations du travail. Il ne parle pas le français, certes, moi je baragouine gentiment l’anglais, mais je n’ai eu aucun problème de compréhension avec lui, ni dans un sens ni dans l’autre.
Est-ce que tu avais un rôle plus important vis-à-vis du jeu des comédiens ? Y avait-il une personne dédiée à cela ou un travail collectif ?
J.M. Évidemment, je suis très attentif à ce que les textes soient conformes à ce qui est écrit. Mais les comédiens étaient tous des jeunes comédiens très attentifs, très attentionnés à l’exactitude du texte, ce qui fait qu’il n’y avait aucun problème à ce niveau-là.
Il y avait toujours la présence de Michèle Halberstadt, qui était très attentive au jeu, à l’exactitude des textes et à l’intelligibilité. Donc j’ai fait comme d’habitude, mais encore plus que d’habitude, du point de vue du sens et de l’agrément du jeu. Quand je parle de la précision du texte, en fait, c’est plutôt la précision du sens de ce qui est écrit. Cela n’empêchait pas une part d’interprétation du texte par les comédiens. Il fallait juste veiller à ce qu’il n’y ait pas trop de modernisme et que le sens du texte soit préservé et porté pour le film. Il y a une liberté de jeu, mais sans qu’on ne perde rien du sens de ce qui est écrit.
En plus, on a veillé avec Michèle à éviter toutes sortes d’anachronismes de vocabulaire, de musique, du phrasé et d’expressions ou de tics de langage [comme « en fait », « genre », « du coup »]. Il fallait remonter à cette modernité des années 1960, qui a été balayée ensuite par toutes sortes de modes extrêmement datées.
Comment tourne-t-on aujourd’hui en plein Paris un film qui se déroule en 1959 ? Aviez-vous les moyens de contrôler un minimum la pollution sonore sur les décors ?
J.M. D’un point de vue de l’image, déjà, c’était difficile. Contraindre et maîtriser le flux des touristes et de la circulation, c’est compliqué. Donc on a inversé les choses. On n’a pas tourné sur les Champs-Élysées, par exemple, on a tourné sur l’avenue de la Grande Armée, qui est une voie de dégagement des Champs-Élysées. Mais si on regarde bien, la perspective est la même. On a l’Arc de Triomphe au sommet, et ensuite on peut, disons, manipuler un peu les choses de façon à ce qu’on retrouve ces trottoirs des Champs-Élysées en 1959, avec le moins de choses à rectifier visuellement.
Du point de vue de la pollution sonore, bien évidemment, on a forcément recours aux HF pour récupérer un signal sur bruit suffisant et qu’on puisse reporter les nuisances sonores modernes un peu plus loin dans le spectre, puis recréer, disons, un "background" plausible pour 1959.
Quand on voit À bout de souffle, il y a une espèce de désordre sonore qui s’arrange plutôt bien avec les nuisances d’aujourd’hui, ramenées à un niveau plus bas, grâce à l’utilisation des HF. Donc on a fait comme on a pu, certes en évitant des nuisances très remarquables et modernes comme les petits carillons de bus, les feux rouges parlants ou d’autres éléments assez modernes qui dénonceraient le tournage de 2024. Et comme, de toute façon, il n’y avait pas de son direct à l’époque, on a un peu carte blanche pour faire au mieux, même dans un inconfort acoustique, pour arracher des dialogues dans des milieux hostiles, comme cela a pu l’être recréé en post-production à l’époque d’À bout de souffle.
Richard Linklater : "Pour que l’illusion soit totale, il fallait trouver des acteurs qui ressemblent à leurs personnages, et qui soient inconnus afin de ne pas gâcher l’illusion d’être réellement avec Godard et ses contemporains. Et bien sûr trouver quelqu’un qui pourrait incarner ce metteur en scène insolent, tourmenté, fragile et arrogant. Le casting a pris plus de six mois. Quand j’ai réuni pour la première fois notre Godard, notre Truffaut, notre Chabrol et notre Schiffman, je me suis dit : « Voilà, je peux faire ce film comme je l’ai imaginé, ils sont là devant moi, heureux d’être ensemble en 1959 »". [1]
De même que le réalisateur a choisi son casting pour sa ressemblance physique avec les personnages réels, on est frappé, en particulier pour Guillaume Marbeck, de la ressemblance de sa voix avec celle de Godard. Y a-t-il eu utilisation de l’IA pour arriver à un tel résultat, ou est-ce le travail des comédiens et de la réalisation ?
J.M. Il n’y a pas eu d’utilisation de l’IA pour les voix sur le film. La ressemblance physique, c’était une préoccupation, mais en même temps, il ne s’agissait pas de faire un copié-collé ou un travail de recherche de sosie. C’était une évocation plus qu’une ressemblance parfaite. Notamment pour ce qui est de Belmondo. Ils ont fait venir deux fois Victor Belmondo, qui est quand même une copie de son grand-père. Et ils ne l’ont pas pris. Le Belmondo du film lui ressemble de loin. Il n’a pas la même carrure et n’a pas vraiment la même voix. C’est une transposition, on va dire, plutôt qu’un copié-collé.
Et pour ce qui est de la voix, j’ai remarqué sur le plateau qu’il y avait un souci de conformation de leur voix à ce que les comédiens imaginaient être les voix de l’époque, en tout cas, à ce qu’était le rendu des voix en post-synchronisation de l’époque.
Ce qui fait qu’on arrive avec tous ces acteurs qui réduisent leur spectre vocal à un résultat très médium, proche des voix du cinéma de l’époque et des voix de post-synchronisation. Et ça, c’est assez étonnant. Enfin, moi, j’ai été parfois étonné du résultat que j’avais à l’oreille.
Guillaume Malbec, lui, a fait vraiment un travail sur Godard lui-même. Il était assez étonnant dans la mesure où il n’était pas Godard que pendant les prises, mais il était Godard en permanence sur le plateau, c’est-à-dire qu’il ne parlait que comme Godard, et ses préoccupations n’étaient que celles de Godard. Et dans son humour, avec nous, techniciens off du film, on avait un rapport comme avec Godard. Ça, c’était assez étonnant.
D’autre part, il m’est arrivé, pendant le tournage, un espèce d’accident technique très inédit. Pour moi, en tout cas. C’est que, de but en blanc, au cours d’une journée, je trouvais que le rendu sonore de ce que je faisais était très médium, très médium aigu, même avec plus de basses du tout. Et donc je me suis mis à incriminer les perches, puis à incriminer les HF, puis à incriminer l’enregistreur. J’ai changé d’enregistreur, ça ne changeait rien du tout. Et puis j’ai tout changé, le matériel. Je suis reparti comme en 1940, et tout était résolu. Donc je n’ai jamais su le fin mot de l’histoire. Et comme la post-production était prévue beaucoup plus tard, je n’avais pas de retour, personne pour m’envoyer un feedback. Ce n’est que plus tard, en post-production, qu’ils ont pu faire des mesures et constater qu’il y a, sur ces moments d’accident, une déperdition des basses. Comme si, à ces moments-là, le matériel aussi se conformait au rendu sonore des années 1950. C’était assez étonnant. Je me demandais si, tout d’un coup, il n’y avait pas une collusion entre les acteurs, qui jouaient comme Arletty dans Hôtel du Nord, et mon matériel aussi, qui se mettait à faire du cinéma sonore en camion, comme dans les années 1940 ou 1950.
Il n’y avait donc pas une direction artistique particulière pour arriver à ce résultat ?
J.M. Ce n’était pas une décision collégiale de jouer comme ça. C’était juste une réalité collective, perçue comme consensuelle, mais sans que ce soit clairement dit. Du point de vue de Richard Linklater, ça sonnait comme ce qu’il attendait. Donc, il n’y a pas eu de réaction pour modifier cette tendance collective à adopter cette couleur sonore des comédiens.
Pour Richard Linklater, l’important n’était pas vraiment une ressemblance hyper obsessionnelle, mais il était important que les comédiens et l’âge des personnages de l’époque aient à peu près l’âge de Godard en 1959, du vrai Truffaut en 1959, de Chabrol, etc. C’était ça l’important pour retrouver cette insouciance et cette énergie qui pouvait paraître irrationnelle, mais en même temps déterminée. Et donc, ça s’est très justement fait dans le film, parce que ces comédiens sont pleins d’appétit, de cinéma. Et c’est ça qui les fait fonctionner à merveille.
Richard Linklater : "Il ne s’agit pas de refaire « À bout de souffle », mais de le regarder sous un autre angle. Je veux plonger ma caméra en 1959 et recréer l’époque, les gens, l’ambiance. Je veux traîner avec la bande de la Nouvelle Vague. Je l’ai dit à tous les acteurs : « Vous ne faites PAS un film d’époque. Vous vivez l’instant présent. Godard est un critique reconnu, mais c’est un réalisateur qui débute. Vous vous amusez à tourner avec lui, mais vous vous demandez si ce film sortira un jour… " [1]
Dans les colonnes du Monde, Murielle Joudet, journaliste, enfonce le clou en écrivant : « Nouvelle Vague, de Richard Linklater, s’avère être la première occurrence de ce qui pourrait être un biopic entièrement du côté de la vie, préférant célébrer le présent plutôt que d’ériger des mausolées. »
Ce n’est effectivement pas l’une de ses moindres qualités, le film a un regard sans concession sur Jean-Luc Godard, qui se révèle égocentré et au comportement souvent immature. Mais surtout, ce qui nous intéresse ici, c’est cette contradiction apparente entre la recherche de réalisme, poussée parfois à l’extrême, et un tournage muet qui nécessite de refaire les voix, et donc le jeu, en studio. La Nouvelle Vague a mis du temps à adopter le son direct [1]. Comment vois-tu cette contradiction ?
J.M. Je ne trouve pas de contradiction, parce que, à mon sens, la réalité n’est pas réaliste au cinéma. Je pense que ce qui intéresse Godard, c’est cette espèce de brutalité du jeu des corps d’une personne qui dit un texte sans l’avoir intellectualisé et reconstitue une espèce de… comme je le dis, de brutalité du moment présent. Ce n’est qu’après coup que le son participait non pas d’un réalisme, mais d’une façon d’être réaliste à la Godard. Les répliques ne sont pas vraiment jouées, elles sont lancées. Elles sont ludiques. Elles sont souvent à plat ou restent en l’air, ce qui n’est pas évident à sortir spontanément sur un plateau. Et là, il fabrique sa réalité à lui, grâce à ça. Pour ce qui est des autres réalisateurs de la Nouvelle Vague, je pense que cette envie de légèreté sur le plateau, de souplesse de caméra mobile, de caméra qui roule, que l’on porte, qui tourne dans tous les sens, ça ne peut pas fonctionner avec l’équipement sonore très lourd de l’époque. C’étaient des camions son ou c’était un équipement qui n’était pas portable et qui n’était pas souple. Donc, je pense qu’on sacrifiait cette lourdeur de l’équipement sonore au profit d’une légèreté de l’image. Mais pour Godard, je pense que ce n’est pas ça qui prévaut. C’est plutôt ce besoin de construire un autre rapport au texte et du jeu à l’image, en tout cas à cette époque.
Outre les voix, l’esthétique sonore du film semble se rapprocher de celle d’À bout de souffle, entièrement post-synchronisé. Est-ce une volonté artistique ou le résultat des contraintes liées à la reconstitution d’un film d’époque ?
J.M. Oui, je pense qu’il y a une volonté de couleur sonore approchante. Mais peut-être que le fait de s’affranchir des bruits d’aujourd’hui, c’était aussi une nécessité de sortir les voix de l’environnement sonore. Et donc il y a une extraction de ces voix, déjà très médiums, qui donnent cette sensation de voix post-synchronisées. On m’a déjà posé la question de savoir si ce film n’était pas post-synchronisé. Nous, on a fait un son direct qui est très soigné et très méticuleux. C’est l’extraction de ces sons-là qui fait qu’on a une sensation de voix posée sur une nappe de vide. Et donc ça participe à cette cohérence avec l’idée que l’on se fait du son de l’époque et de la, comment dire, de la filiation directe avec À bout de souffle.
Richard Linklater : "N’oubliez jamais que faire un film est une démarche optimiste. Et, comme le disait François Truffaut à l’époque : « Le film du futur sera un acte d’amour.» Alors maintenant, let’s rock and roll !" [1]
[1] Richard Linklater, extrait du dossier de presse du film
[2] Voir ou revoir le témoignage de Bernard Chaumeil, perchman, dans le film Voir les oreilles d’Olivier Villette.
[3] Photos de plateau de Jean-Louis Fernandez.
NOUVELLE VAGUE I Dossier de presse.pdf
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