Rencontre avec Mélissa Petitjean, César 2014
Comment te présenter ?
J’ai un parcours très simple j’ai fait la FEMIS en son. Après ma sortie, je n’ai quasiment fait que du mixage et un peu de montage son. Quelques mois de prise de son, quelques piges en télé mais quasiment jamais de tournage. En sortant de la FEMIS j’ai travaillé pour énormément de courts métrages, beaucoup de fictions. Le documentaire est venu ensuite par mes réseaux de fiction.
Comment articules-tu ton travail avec le montage son ?
Cela dépend des films : le montage son est différent selon les monteurs son et selon les réalisateurs. J’essaie tout d’abord de comprendre comment le monteur son a articulé son travail et pourquoi les choses sont comme elles sont. La plupart du temps le travail est bien fait, donc je me dis que si les choses sont comme elles sont c’est qu’il y a une raison soit technique (il n’a pas été possible de faire autrement) soit artistique (il y a eu une demande particulière). Chaque monteur son a également sa patte. Je commence par essayer de comprendre comment il a fonctionné. Le monteur son a passé plus de temps avec le réalisateur ou la réalisatrice. Je suppose donc qu’il connaît plus de choses sur la narration et les besoins du film que moi. Je m’appuie alors sur son travail pour rebondir.
On se parle toujours un peu avant le mixage : il y a des projections, des réunions de post production et souvent on s’appelle ou je passe au montage son. Je demande quelques petits détails d’organisation mais généralement des choses très simples. Les questions sont souvent : est qu’il décode les MS ou pas, est qu’il met des pistes 5.1 ou 5.0, est ce qu’il sépare les 5.0 en deux stéréos et un mono ? La réponse dépend beaucoup de l’auditorium et de comment je vais mixer le film ensuite.
Comment travailles-tu avec le réalisateur ? Est-il présent tout le temps ?
Là encore tout dépend des réalisateurs. Le plus compliqué c’est d’essayer de comprendre comment le réalisateur entend : qu’est ce qui le gène, quels sont les sons qu’il aime bien, les couleurs qu’il aime bien, les choses sur lesquelles il va être précis ou méticuleux ou si des choses lui importent peu .
Par exemple est ce qu’il entend les sons qui se baladent en stéréo ? est ce qu’il préfère que cela soit plus central et mono ? En multicanal, il y a des réalisateurs qui ne supportent pas les arrières et d’autres qui ne les entendent même pas ! Quand je ne connais pas le réalisateur je passe les premiers jours à essayer de comprendre comment il fonctionne et quels sont ses problèmes de narration. Pour certains ce sont les voix et les musiques, pour d’autres ce sont sur les sensations d’ambiances. Il y a des gens qui vont être très vite agressé par les voix, sur le niveau aussi … Il y a un temps d’adaptation pour comprendre ce dont il a envie. Ensuite je fais des propositions. Je peux me battre pour imposer ma sensibilité, mes idées mais je considère tout de même que c’est le film du réalisateur : c’est lui qui a toujours le dernier mot.
La seule chose sur laquelle je ne lâche pas c’est l’intelligibilité des dialogues. Les réalisateurs sont parfois persuadés qu’on comprend les paroles car eux connaissent très bien les dialogues. Les monteurs sons, eux aussi, connaissent tellement le film qu’il ne se rendent pas toujours compte des problèmes d’intelligibilité. Il m’arrive de faire venir des personnes extérieurs en auditorium pour tester s’ils comprennent ou pas.
Il y a des réalisateurs qui restent tout le temps au mixage, mais je leur demande parfois de me laisser un peu de temps pour poser une séquence. Certains ne l’acceptent pas. D’autres ne viennent qu’au déjeuner font une écoute. On corrige ensuite le travail. C’est parfois pas mal quand on les connaît bien. Quand ce sont des réalisateurs que l’on n’a pas encore bien cernés, cela peut-être une perte de temps.
Est ce que tu mixes tout d’un coup ou est ce que tu commences par un mixage paroles ?
La plupart du temps je mixe tout de front. A moins d’y être contrainte, cela fait un moment que je ne fais plus de pré-mix paroles. Je me suis aperçue que c’était une perte de temps : on passe du temps pour raccorder des choses qui finalement raccordent très bien dès qu’on ajoute les montage son ou la musique, et d’ailleurs on change souvent des choses avec la musique et le montage son.
Dernièrement, pour des raison d’organisation d’auditorium, je ne pouvais pas tout mixer de front et les musiques et le montage son n’étant pas fini, j’ai alors mixé pour un film d’abord les paroles. Il y a des films où cela peut être nécessaire : il y a tellement de travail sur les paroles que l’on s'épuise et l'on a plus de recul. Dans ce cas ajouter les musiques et le montage son plus tard donne le recul. Cela dépend donc des films.
Comment appréhendes tu les sons directs ? Utilises tu plutôt le mixage de tournage ou les pistes éclatés ?
La plupart du temps la question mixdown ou pistes séparées est réglée par le montage paroles. Cela fait une éternité que je n’ai pas eu de mixdown, parfois il est en dessous pour vérifier que la confo est bonne mais la plupart du temps on récupère les pistes éclatées. Il y a quand même pas mal d’ingénieurs du son qui font des mixdown raccords avec les pistes éclatées à plat. Si on a beaucoup des pistes, beaucoup de micros, c’est que les choix n’ont pas été forcément faits. Avoir deux pistes nous oblige à respecter le choix de l’ingénieur du son, ce qu’il a mis en place. Parfois il y a une perche, un couple, un HF par personnage et un micro d’appoint. Si on ouvre tout à plat ca ne marche pas il faut refaire une proposition. Ce n’est plus la proposition du tournage, c’est la mienne. Ca nous laisse plus de marge de manœuvre notamment sur les HF qu’on peut nettoyer mais en revanche on regrette parfois qu’il n’y ait pas de choix de fait au tournage. C’est pas mal d’avoir des propositions.
Il y a parfois des conflits entre le tournage et la post production, les chefs op son direct trouvent qu’on ne respectent pas leur travail. Dans ce cas je dis : « mais qu’est ce que tu m’as proposé ? ». Ce sont des conflits qu’on ne règlera pas toujours, mais j’aime bien quand il y a une proposition qui fonctionne. Bien sur, si je ne dois pas ensuite pour rattraper…
Sur "Michael Kohlhaas", il n’y a pas eu une seul post synchro alors que la plupart du temps les personnages sont dehors, et parfois à cheval ! Parce que le réalisateur n’aime pas ca, ne sait pas comment les appréhender et que les acteurs sont aussi étrangers. Si on avait pu, on aurait peut être envisagé une ou deux post synchro. Mais il n’y avait pas vraiment besoin. Jean-Pierre Duret a été capable de faire des directs avec du vent, à cheval, des comédiens qui parlent mal français et dans un film d’époque donc sans avion, sans voiture : c'est une vraie performance !
J’avais les pistes éclatées, Arnaud des Pallières travaille beaucoup le montage image et son, mais dans les directs de Jean Pierre il y avait toujours une proposition. En gros je savais que d’abord j’essayais la perche et que si la perche n’était pas tout à fait dedans c’est qu’il y avait un problème technique par rapport au plan et dans ce cas j’allais chercher dans les HF. Mais on sentait que sa perche est toujours dessus, donc la proposition était là. Il y avait quasiment tous le temps des HF, il avait travaillé avec la costumière. Il n’y pas eu besoin de beaucoup les nettoyer. La proposition était la perche, avant de commencer à aller voir dans les HF.
Certains réalisateurs adorent les HFs : ils trouvent que cela rapprochent des comédiens. Ils ont envie de ce son là et vont même jusqu'à enregistrer des post synchro avec des HF. Ils nous demandent alors au mixage d’être plus sur les HF. Certains n’aiment pas les plans sonores, l’acoustique de la perche les dérange. Ils sont rares. En général moi je m’appuie sur la perche.
Chaque film est différent on ne peut donner des généralités sur le travail post ou pré fader, avec ou sans HF. Parfois on peut s’en passer parfois pas.
Comment te positionnes tu par rapport à la post synchro, les bruitages ?
Si j’ai un avis sur la post synchro que je donne souvent au réalisateur c’est que je préfère des directs un peu crades sur lesquels je galère, avec des bons comédiens plutôt que de mettre en péril les comédiens . S’ils jouent bien, même avec un camion poubelle en fond, ça emportera plus le spectateur qu’un son super propre de post synchro. Souvent je demande au monteur son de rallumer les directs pour vérifier. Certains comédiens sont très bons en post synchro, d’autre pas. Un spectateur se moque d’une soufflerie un peu derrière mais pas de l‘émotion que peut procurer un comédien. Je fais attention à cela en post synchro, pour qu’il n’y ait pas de perte au niveau du jeu !
Quel est ton approche sur le multicanal ?
Encore une fois ca dépend. Certains multicanaux faits sur le tournage sont très beaux, bien pensé mais ne vont pas aller. D’autres vont très bien fonctionner. Les monteurs sons recréent des multicanaux très chouettes. En fait je n’ai pas tellement d’avis sur comment un multicanal est fait. En tous cas en ce qui concerne les sons seuls et les ambiances : plus l’ingénieur du son donnent de matière au monteur mieux c’est. Un multicanal peut aussi ne s’utiliser qu’en stéréo.
Je ne suis pas une grande adepte d’un 5.1 audible. Souvent je réinjecte de l’avant dans les arrières et de l’arrière dans les avants. C’est un gout personnel, j’entend qu’on me re-fabrique un son, je cherche une cohérence, même dans des sons enregistrés en multicanal dès l’origine. J’ai souvent envie de recoller tout cela à l’image, ce qui est quand même le but du cinéma. Ceci dit cela dépend de ce qu’on voit à l’image.
De ma génération de mixeur on me dit souvent que c’est un truc de vieux de ne pas trop utiliser le 5.1, moi je pense que ca dépend des films et du gout des réalisateurs. Je travaille avec des réalisateurs qui sont très attachés à leur direct et à ce qui ce passe au centre. Tout ce qui va les sortir de cela va les gêner. C’est peut être une histoire de catégorie de films.
A quel moment de la fabrication du film entres tu en jeu ?
Ca dépend des films. Généralement les productions m'appellent quand elles font le planning de post production donc souvent en fin de tournage. Ou quand le montage image commence, souvent le monteur image a besoin de savoir avec qui il va travailler.
Un réalisateur comme Emmanuel Mouret avec lequel je travaille beaucoup, me fait lire le scénario dès la fin de l’écriture quand il est en recherche de financement et parfois même quand on mixe le film précédent. C’est assez rare un réalisateur qui fait un film tous les 18 mois ! Il arrive aussi avec des producteurs ou réalisateurs avec lesquels j’ai l’habitude de travailler qu’on me fasse lire le scénario avant le tournage. Quand il y a une réunion avant le tournage c’est chouette, on parle autour du scénario avec l’ingénieur du son, la scripte, la monteuse et cela permet de tirer les sonnettes d’alarme sur les problèmes éventuels. Cela arrive de plus de plus, mais cela vient peut être du type de films pour lesquels je travaille.
Même si les films changent ensuite au montage, cela permet aussi d’estimer le temps de travail. C’est comme le tournage : plus il y a de décors plus cela nous prend du temps. Mais il est déjà arrivé qu’on m’appelle au dernier moment.
Comment réparti ton travail entre partie technique et la partie artistique ?
Souvent, la technique est un outil, même un nettoyage de direct peut être artistique. Il faut décider jusqu’où l’on va. On travaille avec le jeu des comédiens. J’essaie en tous cas de ne pas perdre de temps avec la technique et d’embêter le moins possible les réalisateurs avec cela.
Il est rare qu’il fasse sauver les directs. Ca m’est arrivé il y a pas longtemps : zéro sons seuls, zéro ambiances…Et même zéro sons directs. Cela a été très compliqué et très frustrant pour le réalisateur : on a passé 99% du temps pour faire en sorte qu’on entende quelque chose ! Mais c’est rare.
Quels conseils donnerais tu à une personne qui arrive dans le métier ?
D’accepter un projet pour les bonnes raisons. La première étant d’avoir envie de le faire. Ne pas chercher juste à faire ses heures. L’idée n’est pas d’être intermittent mais d’être ingénieur du son, même si je me bats sur le dossier de l’intermittence. Intermittent est un statut, pas un métier. Nos métiers sont : ingénieur du son, monteur son, mixeurs. Je vois beaucoup de gens qui sortent de la FEMIS ou de Louis Lumière et qui cherchent avant tout à faire leurs heures. Il faut chercher autre chose, des moyens de travailler, d’apprendre, de prendre du plaisir à faire son métier. On a tous galéré au début, on a tous encore des périodes difficiles, mais plus que de calculer il faut chercher le plaisir. Est ce qu’on a du plaisir à passer 10 heures par jour dans un auditorium, dans le noir avec des sons forts dans les oreilles ? Ce n’est pas seulement un métier, avec lequel on gagne notre vie : c’est parfois aussi un sacerdoce (surtout en ce moment avec le Festival de Cannes qui approche).
Savoir ce que l’on vaut et ne pas se brader. Enfin ne pas lâcher sur les choses qui ont des conséquences sur le film : ne pas accepter de mixer un long métrage en 15 jours, dans un audi qu’on ne connaît pas sans savoir comment il sonne, ne pas faire un mixage dans une cave. Avec les DCP on pourrait presque mixer un film au casque !
Il est très important de savoir ce qu’on peut faire et de savoir ce qui aura des conséquences sur le film. Accepter un salaire pas élevé et de mixer dans une cave c’est se couper l’herbe sous le pied. Ca dévalorise le métier et ca enlève de la valeur à celui qui l’accepte.
Comment vois tu l’évolution du métier et de la diffusion sonore ?
Il y a des jours où je suis très optimiste car je travaille sur des films où tout se passe bien, où l'énergie est bien répartie et d’autres où je suis très pessimiste. Le manque d’argent des productions fait qu’on nous laisse de moins en moins de temps pour travailler. Je suis assez inquiète sur la valorisation de la collaboration. Les productions vont chercher des gens parce qu’ils sont moins chers, parce qu’ils acceptent des conditions moins onéreuses, parce que les taxes sont moins chères. Ils vont oublier qu’à la base notre travail est une collaboration avec un réalisateur.
Un réalisateur n’a pas forcement besoin d’un mixeur en qui la production a confiance, mais en qui il a lui confiance. Il y a une dévalorisation de cela, de ce qu’on peut s’apporter mutuellement. On n’est pas un bon ou un mauvais mixeur dans l’absolu. On est vraiment en rapport avec un film, avec un réalisateur. Le plus important est quand même que le réalisateur ait le film qu’il voulait avoir. Il y a un vrai problème : on dévalorise ce contact pour que cela coute le moins cher possible. II y a une dévalorisation des équipes. Avec Emmanuel Mouret et sa production, il y a une équipe qu’il a monté progressivement en 8 films, et pour lui ce n’est pas négociable. Il veut pouvoir sortir de l’auditorium et savoir que le film sera toujours le même quand il reviendra.
Pour l’évolution technique. On va mixer de plus en plus dans les petits auditoriums pour ne passer que quelques jours dans des auditoriums plus grands, la frontière entre le montage son et le mixage se réduit. Le métier va évoluer, mais comme il a déjà évolué. Adapter la technique aux productions c’est là que doit se jouer en terme d’économie, en revanche, adapter l’humain aux enjeux de productions risque de faire des films tous pareils, d’avoir des réalisateurs qui auront moins confiance en leurs collaborateurs.
Sur la diffusion sonore, beaucoup de salles sont mal réglées. Il y a un problème avec le niveau sonore. Il y a une norme mais elle n’est pas respectée. On doit mixer à 7 mais les films sont souvent diffusés à 5, 5 et demi. Du coup on mixe plutôt à 6 ou 6,5…J'ai du mal à comprendre pourquoi les exploitants ne respectent pas cette norme. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. Je teste alors plusieurs niveaux mais c’est très compliqué. Certains mixeurs mixent à 7 d’autres essayent de compenser.
Avoir un césar, quelle impression ?
C’est valorisant. (Même si avec Jean Pierre et Jean nous avons bénéficié du fait qu’il n’y avait pas de films musicaux cette année. Les Césars vont souvent aux films musicaux). Ca fait vraiment plaisir. Pour moi, ce n’est pas vraiment une reconnaissance, c’est juste une preuve qu’on est à notre place.
Mais l’euphorie retombe très vite car en post production cette période est très chargée. On n’a pas le temps de s’extasier. Je ne sais pas si cela va changer grand chose l'avenir me le dira, je sais simplement que je suis fière d'ouvrir la voie aux femmes qui douteraient de pouvoir faire ce métier et que je me sens autorisée à continuer.
L'AFSI prépare un atelier rencontre avec l'équipe son du film "Michael Kohlhaas" ( la date n'est pas encore arrêtée), tenez vous informé dans la rubrique Activité.
Photo François Quiqueré©: Mélissa Petitjean durant le mixage de Le Grand Homme de Sarah Léonor
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