Marc-Olivier Brulle et Pierre Bariaud parlent de "L'histoire de Souleymane"
D'abord, bravo pour avoir reçu le Prix de l'Excellence pour le Son aux European Film Awards.
Marco: Merci, ça fait plaisir ! Ce qui est aussi très gratifiant est de recevoir beaucoup de retours de personnes qui ne travaillent pas nécessairement dans le cinéma et ont été très sensibles au travail sonore sur le projet. C'est la première fois qu’on me parle autant du son d’un film sur lequel j’ai travaillé.
Marco, tu as fait la prise de son...
Marco: Et une partie du montage son que l'on s'est réparti avec Pierre (Bariaud) et Charlotte Butrak. Je me suis plus spécifiquement occupé du montage paroles et de l’enregistrement des post-synchros. Pierre et Charlotte se sont occupés du montage son dans son ensemble.
Pierre: il y a une frontière montage parole/montage son qui est très poreuse dans la manière qu'on a d'aborder le montage son (on travaille souvent ensemble) mais encore plus sur ce film-là.
Comment le film vous est arrivé entre les mains?
Marco: Après être sorti de la Fémis (promo 2011) où j'ai rencontré Pierre et Charlotte, j'ai fait la connaissance de Boris Lojkine en 2013 pour son premier long métrage, "Hope", qui abordait déjà la question migratoire mais de l’autre côté de la Méditerranée. Boris venait du documentaire et n'avait jamais travaillé avec un ingénieur du son. Il a donc décidé de rencontrer plusieurs personnes, puis est finalement parti avec moi. Je crois que ce qui l’a convaincu à l’époque est que j’étais jeune, avec beaucoup d’envie, prêt à vivre un tournage éprouvant et fatiguant. Suite à ce tournage, qui restera une expérience marquante à vie, il m’a proposé le montage son car il avait envie d'une continuité de par le rapport de confiance qui s’était établi entre nous et de par aussi la spécificité du film qui nécessitait une connaissance accrue du contexte de tournage (avec beaucoup de langues étrangères, d’accents mais aussi un univers très singulier dans son ensemble). Ensuite, nous avons à nouveau collaboré sur "Camille", en 2018, son second long-métrage tourné en République Centrafricaine. J’ai aussi pris en charge la prise de son et cette fois le montage parole uniquement. Pierre a assuré le montage son et Samuel Aïchoun le mixage. C’est la première fois que Boris travaillait avec eux et que nous travaillions tous les trois au son sur un même long-métrage. Sur "L’Histoire de Souleymane", Boris est reparti avec la même équipe son, avec Charlotte Butrak en plus ; le montage son devant se faire dans un délai resserré, nous avions besoin d’être trois pour cette étape.
Est ce qu'il y avait une demande particulière du réalisateur concernant votre collaboration sur ce film ?
Marco: Boris et son producteur (Bruno Nahon) ont convenu qu’il fallait une équipe extrêmement mobile, la plus légère possible pour pouvoir être la plus réactive face au réel. Sur ses précédents films, des contraintes liées au contexte du projet, donc au scénario, faisaient qu’il était compliqué de s'affranchir d’un minimum de moyens humains. Boris se retrouvait finalement avec des équipes de tournage, certes petites, mais quand même plus grosses que ce qu'il souhaitait. Sur "Souleymane", c'est la première fois qu'il y a cette économie de personnes qui permet d'être beaucoup plus souple en terme d'organisation, de s'adapter à un changement de décor, à une réécriture de dernière minute. Une des clés de la justesse de mise en scène et de la réussite du film, est que pour la première fois, Boris a tourné avec les moyens qu'il rêvait. Et pour répondre à ta question sur le son, dès le départ, il y avait une volonté forte : qu’il n’y ait pas de musique dans le film, ou que la musicalité de la bande-son soit prise en charge par le son de la ville, par Paris, et sa propre partition. Ça, il l'avait clairement formulé.
Pierre: Boris avait envie sur ce film de revenir à l'essence même d'une équipe de documentaire. Donc il a fantasmé l'idée de faire le film avec deux personnes seulement : une personne à l'image et une personne au son. Et ça, il nous l'a exposé très rapidement. On en a discuté avec Marco et on a essayé d'inventer pour lui le meilleur dispositif, c'est à dire celui qui répondrait à la fois à cette attente, mais qui répondrait aussi aux besoins techniques du film. Et la question principale revenait : Boris avait envie que Marco soit tout seul pour faire la prise de son. Pour Marco et moi, ça nous semblait discutable. C'est sûr que ça allait répondre à l'envie de Boris en terme de flexibilité, de mobilité sur le tournage. Mais en terme de son, ça voulait dire que Marco n'aurait pas les mains libres pour faire plein de choses, il allait être dans une configuration très documentaire. Nous nous sommes vraiment demandés si c'est ce dont le film avait besoin. Et les mêmes questions se posaient à l’image : est ce qu'il fallait un pointeur ? Nous avons donc décidé de faire une journée d’essais à deux techniciens Marco, et Tristan Galand (le chef-opérateur image) pour voir ce que ça donnerait d’avoir l'équipe la plus réduite possible. Ils ont tourné des scènes de rouling vélo ainsi que des scènes de comédie pure extraites du scénario, avec les comédiens sur les Grands Boulevards, puis nous sommes allés ensemble en salle de projection pour voir et écouter tout ça. Typiquement, c’était un son monophonique très basé sur le HF car Marco, avec la perche et l'enregistreur en bandoulière, n'avait pas les mains libres. Cela voulait dire aussi une utilisation de la stéréo synchrone beaucoup moins flexible voire impossible. Et ça donnait une écriture sonore intéressante mais qui fixait une esthétique sur le film. On a pu tous en parler. Là, on a réussi à convaincre Boris d'inclure un perchman et ça a donné à Marco la possibilité de faire une prise de son vraiment super sur les directs et aussi très riche dans la récolte de toute la partition sonore dont Boris avait envie : il ne voulait pas juste récupérer les voix, il voulait capter une puissance sonore de la ville. Je lui ai dit : si Marco part tout seul, il va falloir que je reconstruise beaucoup de choses en montage-son puisque je ne pourrai pas m'appuyer sur de la stéréo/multi-phonie synchrone ou sur d'autres dispositifs de prise de son. Il faudra que je fabrique. C’était en contradiction avec son écriture et même sa vision du cinéma. Collectivement on s'est convaincu qu'il fallait ramener un maximum de choses du tournage et c'est ce qui s'est passé au final.
Marco: Ces essais ont été déterminants pour nous mais aussi pour l'image. Très vite on s'est dit qu’il était très important d'avoir chacun un assistant (Rodrigo Diaz au son et Haruyo Yokota à l’image) pour répondre à cette volonté esthétique et formelle de ne pas être dans du docu trop brut, mais aussi, contre-intuitivement, d’offrir une mobilité et une flexibilité encore plus grande que si l’on était seul à chaque poste. Nous avons également tourné avec un premier assistant exceptionnel et très polyvalent à la mise en scène (Vincent Prades) parfois aidé d’un second, un machino pour les séquences vélo, trois ou quatre régisseurs, et des véhicules techniques de très petite taille pour transporter le matériel et l’équipe.
Le film a été tourné en combien de temps ?
Marco: Le film a été tourné de mémoire du 23 octobre à mi-décembre. On avait entre sept et huit semaines, assez classique mais plutôt confort.
Quelle était ta configuration en tournage ?
Marco: D’un point de vue matériel, j’ai opté pour un enregistreur Sound Devices Scorpio avec le rack de récepteurs HFs SL-6. J'avais besoin d'un enregistreur qui était plus compact et moins lourd que le Cantar-X3. Je pouvais porter celui-ci pendant des heures sans trop me fatiguer, je pouvais même courir avec. Côté micros, j’ai utilisé la série 8000 de chez Sennheiser et des liaisons HFs Lectrosonics (jusqu’à 8)
Côté configurations de tournage, il y en a eu de trois types :
-dans la rue ou dans les transports, nous tournions avec très peu de maitrise de l’environnement : mis à part demander à des passants de changer de trottoir ou de se taire, nous avions très peu de marge de manœuvre, même chose pour la circulation automobile, nous ne pouvions quasiment rien maitriser, et c’était l’enjeu même de la mise en scène que de tourner dans les flux et des endroits extrêmement vivants : les 9ème et 10ème arrondissements de Paris. A l’image c’était la même chose, quasiment aucune intervention lumière sur les ¾ des décors, donc des lieux choisis pour leur lumière. Le travail de repérages a été primordial, tant au son qu’à l’image.
Pour cette configuration « rue », Rodrigo Diaz n’utilisait que la perche en HF. Comme vous pouvez l’imaginer, sans ou avec très peu d’intervention lumière, percher était très complexe et cela se rapprochait vraiment à un travail de documentaire. En outre, même avec un micro directif très bien placé au-dessus d’un comédien en plan serré au milieu des Grands Boulevards, le rapport signal/bruit était parfois très critique.
Grâce au choix des costumes et à une attention accrue portée à la pose des micros, on a réussi à assurer systématiquement de belles voix sur les HFs même dans les environnements sonores les plus chargés.
Concernant la multiphonie, j’utilisais parfois un tripiste LCR MKH8040 en bonnette Albert, dans l’axe de la caméra mais quelques mètres derrière, afin d’avoir le son du plan et sa juste spatialisation. Lorsque c’était impossible et que j’avais trop de micros à mixer pour pouvoir tenir une perchette, j'avais monté trois DPA 6060 sur mon casque de monitoring afin de pouvoir systématiquement enregistrer de la multiphonie raccord, les mains libres. Je me plaçais le plus possible dans l’axe de la cam pour pouvoir être au plan. Ce second dispositif a été extrêmement précieux sur beaucoup de séquences : notamment toutes celles où le personnage court pour attraper le bus, le métro, où dans toutes les séquences où tout va très vite, et où on le suit dans la ville et ses flux. Pour ces séquences, le montage son s'est vraiment reposé sur cette prise de son polyphonique en premier lieu. Ca a super bien marché.
La seconde configuration est celle qui concerne les roulings vélo: pour celle-ci, nous avions caché deux micros lavaliers sur le vélo, l'un à l'arrière et l'un au niveau du guidon, et le comédien portait un bandeau autour de la tête avec deux autres capsules dessus, le tout caché par son bonnet. Nous avions donc 4 émetteurs HFS sur vélo. Pour le bandeau, c'était de la stéréo faite par HFs, un truc qui n'est pas du tout théoriquement valide en terme de phase (comme le casque tripiste) mais qui a très bien fonctionné dans les faits.
Voyant que cela fonctionnait bien, j’ai parfois poussé le vice jusqu'à mettre un second bandeau identique et deux émetteurs HF sur notre chef opérateur Tristan (Galand) qui, en nous permettant cela, nous a été d'une aide extrêmement précieuse, notamment sur les roulings vélo, pour pouvoir avoir une stéréo au plan. Je ne peux que saluer son rapport au son, son écoute et son aide sur le film...
Côte « locomotion », il y avait le vélo de jeu, conduit par Abou Sangaré (l’interprète de Souleymane) ainsi que deux vélos techniques : un pour filmer et un pour nous.
A l’image, pour les plans de suivi, nous utilisions un vélo cargo (avec 1 place passager « devant le guidon »), et pour les plans de face, un long-tail (avec porte bagage rallongé) ; Tristan tenait donc la caméra assis à l’avant ou à l’arrière et un machino conduisait le vélo.
Pour le son, nous étions toujours sur un long tail, ce qui me permettait d'être assis derrière le conducteur (souvent Boris lui-même ou notre premier assistant mise en scène Vincent) avec l'enregistreur sur les genoux et une antenne fixée sur un pied.
Nous circulions comme ça dans le trafic mais on était 90 % du temps sur des pistes cyclables. C’était parfois un peu chaud, mais on n'a pas fait n'importe quoi non plus.
Les 4 micros lavalier sur le vélo de Souleymane étaient reliés à des émetteurs HFS et étaient reçus par deux enregistreurs : l’enregistreur A, que j’avais avec moi sur le vélo technique qui précédait et suivait et un enregistreur B (SoundDevices 833) caché dans le sac de livraison sur le porte bagage du vélo de Souleymane, au cas où on rencontre des problèmes de portée depuis le mien.
Enfin, la dernière configuration, et la plus classique pourrait-on dire, concerne la plupart des décors intérieurs, que l’on a investi ou reconstitué. Je pense notamment aux séquences dans le recueil social qui est totalement reconstitué. Pour ce décor, nous avions une vraie maitrise du lieu de tournage et la possibilité d’intervenir dessus. Nous travaillions également avec des figurants (même si ce n'étaient pas des professionnels). Le chef op pouvait travailler sa lumière (il y avait d’ailleurs un chef élec et quelques électros ces quelques jours) et le rapport à la perche était donc très différent ; au son, nous étions plus posés, avec notamment une petite roulante.
Il y a eu une vraie collaboration avec la chef costumière et avec le réalisateur sur les choix de costumes pour permettre cette prise de son ?
Marco: Oui tout à fait, lorsque Boris m’a proposé le projet, je lui ai tout de suite dit que l’une des clefs de la prise de son du film reposerait sur les costumes et que les bonnets, cache-cous, et écharpes seraient des alliés indispensables vu le vacarme des lieux où il voulait tourner.
Il a très vite été convenu que nos personnages principaux en porteraient le plus possible, et le fait que le film se passe en automne/hiver, dans le froid, a été un immense avantage.
Marine Peyraud, la costumière, a été très attentive à cela en prépa, et pour chaque personnage, elle nous avait fourni un sac d’accessoires qui nous permettait de pouvoir choisir, à l’image et au son, entre différents accessoires de chaud qui permettaient aussi d’équiper correctement en HF.
La question du Kway a été un vrai dossier, car il a été validé tard, et je ne l’ai découvert que le premier jour de tournage contrairement à la plupart des costumes, je ne l'avais pas encore écouté en vrai, je l'avais juste vu en photos, et il était très bruyant. Au bout de la première demi-journée, j’étais extrêmement inquiet car je pensais que dès qu'on allait devoir enlever le bonnet, ou passer en intérieur, dans des décors classiques, « calmes », où les comédiens devraient jouer à un niveau plus bas, il deviendrait vraiment problématique. J’ai remis en cause ce choix de kway pendant pas mal d'heures, lors du premier jour de tournage, jusqu’à même retourner dans un stock de costumes pour essayer de trouver une alternative. En vain, finalement nous avons continué avec celui choisi pour une question de réalisme mais aussi pour l’image, il fonctionnait vraiment très bien ; moi j'ai continué à avoir peur qu’il nous pose des problèmes pendant longtemps...
Au final, ce que je n’avais pas anticipé, c'est que le niveau sonore était tel dans les rues de Paris, que le son de ce k-way ne paraissait pas si exagéré dans la perche et que comme Souleymane portait son bonnet et donc son HF sous le bonnet presque tout le temps, nous nous en sommes vraiment bien sortis.
Dans la plupart des autres situations, sans bonnet, le k-way et ses frottements étaient contenus par les lanières du sac à dos que porte Souleymane, et notre comédien était très attentif à être délicat pendant le texte. Dans certaines scènes, on a même intégré qu’il soit enlevé au cours de l’action pour qu’il ne nuise pas à la prise de son.
Pour résumer, on a vraiment dû composer avec ce kway, mais sans bonnet, et sans prise en compte globale de nos problématiques techniques par la mise en scène, la prise de son aurait été un calvaire avec ce costume qui est de presque tous les plans.
En voyant le film, je me suis posé la question de la gestion des appels téléphoniques.
Marco: Ils ont quasiment tous été faits en direct : les comédiens qui étaient les interlocuteurs à distance étaient présents sur le décor. Quand on était en ville, en extérieur, ils étaient dans des camionnettes/voiture garées à proximité et quand on était dans des décors plus classiques, ils étaient dans des pièces adjacentes. Ils parlaient à la fois dans un micro dynamique qu'ils tenaient en main et dans le micro du téléphone qu’ils écoutaient avec un casque.
Tu avais le temps de faire des sons en plus ?
Marco: Pas tant que ça, les journées étaient tellement denses que l'on n'avait très peu de temps pour faire des choses à côté. Dès qu'on était sur des décors où on n'était pas en mouvement, qu'on restait pendant plusieurs heures au même endroit avec la petite roulante, ça permettait d'aller lancer des LCR avec des grandes longueurs pour ne pas avoir de reprise de direct dedans. Ca a permis de fournir beaucoup de matière sans prendre de temps à la mise en scène.
Je me souviens quand même avoir fait quelques longs retours à la maison tard dans la nuit avec le vélo de jeu équipé de HFs et d’un bandeau stéréo afin d’enregistrer des sons seuls de roulings avec la roue endommagée pour avoir la matière nécessaire en post prod.
La séquence dans le RER, c'était un peu à la sauvage ?
Marco: On avait une autorisation de la RATP et une équipe de chez eux encadrée par la référente tournage. On disposait d’un étage de wagon dans lequel on pouvait mettre nos figurants pour qu'il n'y ait pas de problème de continuité à l'image. On avait l’autorisation de faire des allers retours entre Marne la Vallée et Val de Fontenay pour quelques heures dans des rames qui transportaient réellement des passagers, nous devions changer de rame à chaque fois qu'on arrivait au bout et on repartait dans l’autre sens... Ca a été très sport pour rentrer cette séquence. Personnellement, ce qui m'inquiétait beaucoup, c'est qu'on ne pourrait pas caler les dialogues en fonction du régime « moteur » du RER, il y avait vraiment cette hantise du faux raccord entre les prises par rapport à la vitesse du RER, de ses phases d’accélération et de ralentissement…
Il y a eu toute une réflexion avec Boris et le chef op Tristan sur ce que ça impliquait de découper cette séquence. On s'est vite rendu compte que c'était insoluble, qu’on n’allait pas tourner en plan séquence, qu’on aurait forcément besoin de plusieurs valeurs et axes...
Jusqu’à ce qu’on se mette à tourner, je n’avais aucune certitude que nous pourrions garder les directs mais encore une fois, ce sont les HFs dans les bonnets qui nous ont permis de la rentrer, les voix étaient suffisamment proches et portées pour que le bruit de fond reste relativement faible. Avec une passe de « de-noise » derrière, le tour était joué et nous pouvions garder la continuité de la parole sans avoir de problèmes de raccords de rouling entre les plans.
On s’est même affranchi de la perche sur cette séquence, à la place, j’ai préféré que nous assurions l’enregistrement d’un rouling raccord depuis l’étage inférieur où Rodrigo tenait un LCR sur perchette.
Vous dialoguiez Marco et Pierre pendant le tournage ?
Pierre: Il y a eu un dialogue au long cours avec Marco, d'abord cette journée d'essai mais ensuite, des réflexions sur le dispositif où Marco m'interrogeait sur ce que je pouvais penser de ce qu'il inventait. Il a été très entreprenant et tenace comme il l'a dit sur les costumes, sur le vélo... on ne le remerciera jamais assez. C'est vrai que c'était une chance le bonnet sur ce film, on en rigolait un peu tous ensemble. Boris aussi. Ça aurait été un film d'été, sans bonnet, la prise de son aurait été très différente. Les circonstances saisonnières ont induit une possibilité au son qui était très vertueuse. La collaboration costumes, mise en scène, son, image a été complète. On a aussi beaucoup parlé du Workflow en amont parce qu'il y avait un deuxième enregistreur sur le vélo qui tournait un peu au long cours et qu'il fallait synchroniser. Donc il y a eu toute une phase de test pour être sûr que je pouvais récupérer les métadonnées. Pour parler de collaboration : j'ai toujours pour habitude de faire un dépouillement assez précis à partir du scénario même si au final il est toujours très loin de la réalité parce qu'il méconnait forcément les aléas du tournage. C'est un dépouillement un peu idéal qui nous permet de recenser toutes les matières dont on aurait besoin. Comme le dispositif choisi permettait à Marco de récupérer plein de matière, j'étais extrêmement rassuré à l'idée qu'il allait pouvoir condenser une forme de sonothèque, dessiner le portrait de la ville, du vélo et des décors. Avant le début du tournage, je pensais, comme j'arrive à le faire sur certains films, que j'allais venir sur le plateau à certains moments judicieux pour renforcer l'équipe en faisant des prises de son avec la figuration ou sur un décor particulier. Ça ne s'est pas fait parce que le film avançant, on sentait que le besoin n'était pas aussi grand que ce qu'on avait pu imaginer. Comme le film se tournait à Paris et que la post-prod avait aussi lieu à Paris, on s’est dit que si il nous manquait quelques sons, on retournerait des choses pendant la post-prod. Ce qu'on a fait à la marge.
Comment s’est organisé le montage son ?
Pierre: Le premier travail qui a été fait, c’est la sonothèque du film, c'est à dire de dérusher tous les enregistrements de Marco. C'est Joris Derradj qui a pris ça en main, puis nous en complément. On a essayé de balayer l'ensemble des rushes du film pour aller isoler des choses, des éléments, des longueurs d'ambiances, mais surtout des événements. Ce dont on avait discuté avec Joris, c'était surtout d'aller isoler plein de sons assez caractéristiques : des événements sonores ponctuels, des voix, des freins, des klaxons, des choses qui pourraient rythmiquement renforcer le tempo du film. Ça a été hyper précieux. L'énorme majorité des matières montées dans le film vient du tournage. Ensuite la collaboration avec Marco, Charlotte, Boris et moi s'est très bien passée parce que très fluide humainement. La postproduction sonore a été assez courte (en partie dû aux échéances de festivals) comme un petit laboratoire avec trois personnes qui bossent ensemble. Ça a répondu à un désir inconscient de Boris : il s’est rendu compte qu'il avait envie de travailler comme ça, dans une forme d'urgence plutôt que de se poser avec une seule personne au long cours pendant des mois. Il aime l’émulation de groupe, la prise de décisions rapide et une forme d'adrénaline, d'intuition. Ça convenait complètement au film, à ce que raconte le film. Pour moi aussi ça répondait complètement à un endroit où j'aime bien me situer : à la frontière du flux classique de la post-prod, qui est bien pensé mais qui peut créer des automatismes, des contraintes, et où le réalisateur peut se retrouver parfois mis sur des rails. Là, ça venait tout réinterroger. Par exemple, les post-synchros n’ont pas été envisagées de manière classique, à la fois pour des raisons de production, des raisons de temps, mais aussi pour des raisons presque politiques : qu'est-ce que ça veut dire de faire venir ces personnes dans le cérémonial que l'on connaît (bandes rythmo...), qui nous semblait très loin du film. Marco a pris en charge cette partie-là avec une détection vraiment ciblée sur des choses très précises, très nécessaires, dans le studio à la Ruche...
Marco: C'est vrai que ça a été déterminant aussi. On était dans un lieu que Pierre a créé avec d'autres collègues. On était dans trois salles de montage son attenantes, à quelques mètres les uns des autres...
Pierre: On avait une configuration technique qui nous permettait de faire venir Sangaré (le comédien principal) de manière beaucoup moins formelle qu'en post-synchro classique et ça nous a permis d'essayer, de se planter, de le faire revenir juste pour une réplique ou deux.
Marco: Il y a eu très peu de post synchros, mais il y en a qui sont déterminantes.
Pierre: Il y a le coup de fil à la mère qui a dû être refait...
Marco: toutes les séquences en peul, on ne les comprenait pas sur le plateau, ça passait par une traduction approximative des comédiens. Et en post-prod, suite à vraie traduction, on s’est rendu compte qu’il y avait parfois des incohérences dans les dialogues ou des soucis de formulation : on a donc dû réenregistrer entièrement le personnage de la mère de Souleymane au téléphone par exemple. Et reprendre quelques petites phrases ou mots de certains personnages par ci par là.
Il y a aussi eu une synchro très déterminante, quasiment la dernière phrase de Souleymane, lorsqu’il pleure lors de l’entretien à l’OFPRA, là nous avions trop de retours de spectateurs en cours de montage qui ne comprenaient pas ce qu’il disait. Ca a été compliqué de remplacer l’original et retrouver une émotion similaire mais le comédien été vraiment très bon.
Pierre: C'est aussi un film qui est sans bruitage. Ça, c'est assez inédit. Il y a quelques moments qui manquaient de précision pour lequels on a sorti les micros dans la rue pour faire des prises de son quasi in situ.
Et le vélo ?
Pierre: Tout le vélo est fabriqué avec les sons de Marco. Comme il avait poussé le vice, à mettre deux micros en permanence sur le vélo, il y a des kilomètres de matière. Le vélo à un moment est cassé dans le film et ils l’avaient effectivement aussi endommagé pour le tournage. Le son du vélo a beaucoup évolué au fil des prises de son, ça a été une base. Je ne dis pas que je n'ai pas rajouté des choses, mais à la marge.
Pierre tu voulais dire quelque chose sur les musiques?
Pierre: Boris voulait un film sans musique extra diégétique. C'était radical. C'est le montage son qui prendra en charge tout le tempo, tout le rythme, toute l'intériorité du personnage, par des mouvements de dynamique, de focalisation et par l'utilisation du chaos de la ville. C'était très clair pour Boris. On s'y est tous tenus parce que c'était une ligne directrice assez limpide, éclairante pour le travail. Par contre, dans le portrait sonore de la ville, il y a de la musique. Certains lieux sont caractérisés par des musiques qui y sont diffusées. C'est Xavier Sirven le monteur image, qui est le premier à avoir travaillé le son du film et à avoir posé des directions très claires et très fortes sur lesquelles on a surfé. Il a trouvé les principales musiques qui ont vraiment un enjeu dramatique. Je pense en particulier à celle du kebab quand Souleymane se retrouve tout seul à la fin de sa nuit avant d'aller trouver un endroit pour dormir et d'appeler son ami en Guinée : elle est très importante pour l'état du personnage et du spectateur.
Vous voulez parler du travail de mixage ?
Pierre: Ce n'est pas facile de parler à la place de Samuel, mais l'idée c'était de construire une partition et donc de s'attarder plus que jamais à la question du tempo, du rythme, des ruptures de rythme. Ça donne un mixage très dynamique. Samuel n'a pas hésité à aller du plus petit pianissimo à des moments où on est « vraiment à fond » (c'était les termes de Boris).
Marco: La question de la dynamique est primordiale dans le film, Chaque coupe a été pensée en fonction du son, et il faut souligner que le monteur est un collègue et collaborateur régulier, que le dialogue avec lui a également commencé dès le scénario, s’est poursuivi durant les essais, le tournage et la post-prod. C’est un acteur à part entière du travail du son dans le film.
Vous voulez ajouter quelque chose ?
Marco: J’ai à nouveau eu la confirmation, à travers les films de Boris entre autre, que pour un certain nombres d’aspects techniques, il est parfois plus aisé de travailler avec des comédiens non professionnels. Equiper de manière récurrente un bonnet, ce n’est pas rien, mais pour notre film, c’était absolument indispensable. Et je pense que cela aurait généré une forme de pression de demander la même chose à un professionnel sur autant de jours et autant de temps (même si je tiens à dire que je l’ai déjà fait sur un autre film avec 2 pros pour de longues durées également). J’ai été frappé par le fait qu’Abou Sangaré, pour qui c’était la première expérience de cinéma, nous faisait une confiance totale. On lui avait expliqué à quel point cela était important pour le film et il ne l’a jamais remis en question.
Pierre : Quand il est venu découvrir le film pour la première fois, sa toute première réaction en sortant a été de remercier l'équipe technique très humblement et de manière extrêmement sensible. Il a eu cette phrase : « un comédien sans équipe technique, il ne sert à rien ». Il comprenait qu’on était tous, chacun à nos endroits, au service du film.
Visite chez VDB à PAU
Stéphane et Abder nous ont accueillis dans l'atelier d'assemblage des fameuses perches VDB, et...
Rencontre avec l'équipe technique de Tapages
Rencontre avec les préparateurs et testeurs de chez Tapages. Lucie Marty: préparatrice fiction,...
Jean-Pierre Duret à France Culture et en Projections/débat pour son film "S
Jean-Pierre DURET nous raconte dans cette émission de France culture ses rencontres avec Maurice...
Rencontre avec Nicolas Naegelen, dirigeant de Poly Son.
Rencontre avec Nicolas Naegelen, dirigeant de Poly Son, à l'occasion du César Technique...
Rencontre avec Pierre Lenoir.
AFSI, le 17 octobre 2011.Projection de deux extraits en 35 mm SRD:Le Crime est notre affaire...
Interview de Frédéric Dubois
Interview de Frédéric Dubois
Au sein de sa salle de montage, entouré d'écrans et de...