Entretien avec Maxime Berland à propos de "Jour de gloire"
Sport et évènementiel en tête, la télévision est coutumière des émissions diffusées en direct mais il est plus rare que cela concerne la fiction. Le film Jour de Gloire, écrit et réalisé par Jeanne Frankel et Cosme Castro, est donc en cela un essai original, puisque joué, tourné et diffusé en direct le 24 avril dernier (soir du second tour de l'élection présidentielle) sur Arte, Facebook, Youtube ainsi que dans une trentaine de salles de cinéma en France.
Utilisant comme fil rouge le contexte du second tour, le tournage a eu lieu dans différents décors extérieurs et intérieurs au sein d'un village du Lot-et-Garonne.
En utilisant les moyens techniques du direct au service de choix narratifs forts, cette performance a ouvert une voie en faisant se rencontrer brillamment le monde de la fiction et le monde du broadcast. Et pose en creux la question de l'équilibre à trouver entre technique et artistique.
Le chef opérateur du son Maxime Berland nous raconte son expérience.
Résumé : Alors que la France attend le résultat de la présidentielle 2022, Félix et Julien se retrouvent à Laroque-Timbaut, leur village natal, après le décès de leur mère. Tout les oppose désormais et l’humeur des retrouvailles est suspendue à cette heure fatidique : 20h. L’annonce d’un nouveau président. Pendant ce moment historique, les deux frères vont vivre une aventure poétique et déchirante.
Voir le film en replay (jusqu’au 23/04/2025) ici
Quel est ton parcours (formation et expérience pro) ?
J’ai fait un BTS audiovisuel option métier du son sur Bordeaux (2008-2010) puis j’ai commencé mes premiers petits tournages pendant la seconde année. J'ai enchaîné avec un stage long sur Famille d’accueil (France3), mon réseau s'est créé petit à petit et j’ai commencé mes premiers tournages payés en tant que chef.
J’ai alterné documentaires et fictions comme perchman mais aussi en tant que chef (nous étions assez peu en région Aquitaine), jusqu’au moment où l’on m’a appelé principalement en tant que chef de poste. Ensuite sont venus les plus gros projets : des longs-métrages documentaires et fictions (La nuée, Rascals).
Comment es-tu arrivé sur Jour de Gloire ?
La personne qui m'a contacté était le directeur de production, Rémi Veyrié, avec qui j'avais déjà travaillé auparavant. On m'a en premier lieu parlé d'un projet de fiction en direct autour du résultat du second tour des élections présidentielles. N'ayant eu le scénario que la veille des premiers repérages techniques, j'avais d'abord pensé à un format type sketch ou discussion dans un bar-tabac, avec l'intervention de différents consommateurs (comédiens) commentant les résultats et parlant des différents candidats, et la télé en fond qui diffuse les news, avec possiblement un passage dehors devant ce bar-tabac mais un tournage principalement en huis-clos. J'étais très loin du compte.
J’ai rencontré Jeanne et Cosme (les réalisateurs) lors de mes premiers repérages à Laroque-Timbaut. Ils m'ont fait faire le tour de leur décors en commençant par le trajet qu'allait effectuer la voiture lors d'une séquence rouling dont je reparlerai plus tard. C'est à ce moment que j'ai compris la complexité du projet. C’était une première pour moi, un réel défi technique. J’avais déjà fait un plan séquence d’une demi-heure dans une grande maison avec beaucoup de comédiens mais jamais avec de telles contraintes : plusieurs lieux de tournage (routes de campagne, un bar, une place de village, un bureau de vote, une grande maison à étages), de la distance entre chaque lieu, cette séquence en voiture et la durée totale du film (1h30).
J'avais cependant des solutions à proposer. La seule inconnue était le dispositif de diffusion TV en direct. Personne sur place n'était capable de me donner ces informations. Ce n'est qu'en discutant plus tard avec Cyril Mazouer de chez BOB (Boîte à Outils Broadcast), qui s'occupait de l'ensemble de la diffusion et de l'installation broadcast, que j'ai eu enfin connaissance des moyens techniques mis en œuvre.
Enfin, nous n'avions qu'un peu plus d'un mois pour préparer le tout.
Les réalisateurs t’ont-ils fait des demandes particulières en terme de couleur sonore du film ?
Ils m’ont transmis leurs envies et leurs visions, toujours de manière très ressentie, toujours dans l’émotion. J’avais carte blanche concernant la couleur sonore du film, le principal étant que la diffusion puisse se faire en direct et que le tout soit bien évidemment audible.
Ceci dit, je n'avais pas la main sur tout, l'équipe de diffusion avait aussi placé des micros un peu partout dans tous les décors pour avoir l'ambiance des lieux, travaillée ensuite par le mixeur du direct.
Nous avions au final assez peu de temps de prépa et seulement 6 jours d’installation, tests, mise en place, répétitions, jusqu’au tournage. Donc nous étions davantage focalisés sur l'obligation que cela fonctionne. Nous comptions bien peaufiner nos envies artistiques une fois que tout aurait été techniquement opérationnel.
Le générique de fin nous donne le détail de l’équipe son : un chef opérateur du son (toi), un opérateur son rouling (Matthieu Schricke), deux perchmans (Luc Mariette et Bastian Paumier), une assistante son (Émilie Fantin), un ingénieur du son direct (Bruno Morisseau), un mixeur pour la chanson de Flavien Berger L’horaire et le temps (Étienne Colin), ainsi que l’équipe du direct : Olivier Steiner (technicien HF), Christophe Jobard (assistant), Pierre Guillemette (assistant son).
Quel a été le rôle de chacun ?
Nous étions 6 au son, à savoir 5 pour l’équipe de prise de son fiction et un mixeur du direct.
En qualité de chef opérateur du son, je m’occupais des décisions techniques, placements des micros et mixage des différentes pistes à fournir au mixeur.
Bastian Paumier perchait lors de la séquence rouling (d'abord la séquence en bord de route au début du film, puis il montait dans un utilitaire électrique de 16m3 qui suivait la voiture des comédiens en déplacement et lorsque celle-ci s'arrêtait, il ressortait de l'utilitaire pour percher les comédiens à l'extérieur de leur voiture).
Mathieu Schricke était opérateur son lors du rouling, il était logé dans l'utilitaire qui suivait la voiture des comédiens avec une 688 et une CL12 pour faire un mixdown stéréo des micros dans la voiture, perche et HFs, le tout envoyé avec l’image en régie.
Luc Mariette perchait la séquence du début sur la place du village avec le “narrateur” Kamel et la reporter interprétée par Julia Faure, ainsi que tous les intérieurs.
Emilie Fantin se chargeait de me seconder sur toutes les installations, les soudures de câbles et donnait des indications via des intercoms à Luc et Bastian lors du direct.
En régie, Bruno Morisseau récupérait ces différentes sources et les mixait pour la diffusion en direct. Il s’occupait aussi de mixer les divergés de la musique jouée par Flavien Berger.
Olivier Steiner et Christophe Jobard étaient techniciens HF, ils s’occupaient de câbler tout le village et faire en sorte de recevoir le signal de la caméra sur l’ensemble du trajet, comme par exemple lors de la séquence rouling avec une antenne dirigée à la main en haut d’une nacelle de 30m.
Pierre Guillemette s’occupait de placer des micros d’ambiances dans les différents décors, il travaillait pour BOB.
Le générique nous renseigne également sur les différents partenaires techniques : West Motion pour le son, Boîte à Outils Broadcast (BOB) pour la transmission HF et direct, Sabbah Communication pour la radio, JM Son. As-tu un mot à dire sur ces partenaires ?
West Motion est ma société via laquelle je suis passé pour la location du matériel son, elle sous-louait le matériel complémentaire à DCA et AEI. BOB s’occupait de tout ce qui était diffusion, installation des fibres et gestion du parc matériel et équipe technique pour le direct. Sabbah (je n’ai pas le souvenir d’eux directement) devait s’occuper de la transmission hertzienne, JM du passage des câbles.
Vers quel choix de micros t’es-tu tourné ? Quel(s) enregistreur(s) as-tu privilégié(s) ?
Les micros choisis étaient ceux que j’utilise habituellement en fiction, à savoir MKH pour les extérieur et Schoeps pour les intérieurs. Nous avions donc un MKH50 en extérieur dans une pianissimo, et un Schoeps CMC6 + MK41 dans une Cosi de Cinela. Le choix de la Cosi s’est fait pour la sécurité, car avec des mouvements possiblement rapides, la complexité de percher en intérieur et aussi beaucoup d’ouverture sur l’extérieur, j’avais besoin d’une résistance au vent plus que correcte ainsi que d’une excellente suspension. Et la Cosi est, à mon sens, la plus sûre en terme de suspension, tout en restant très légère, maniable et compacte pour les intérieurs.
Les comédiens avaient tous un HF sur eux. La décision de mettre en avant les perches ou les HF ne me revenait pas. Et dans ces conditions de direct, Bruno a préféré ouvrir d’avantage les HF, ce qui est plutôt compréhensible : d'abord par ses habitudes de travail en tant que mixeur de direct, mais surtout car depuis la régie, il lui était difficile de deviner à quel moment la perche serait plus lointaine ou amènerait du bruit de l’équipe. On a aussi installé un Schoeps BLM dans la voiture (micro de surface qui sonne très bien lors d'un rouling).
Pour l'enregistrement, le rouling s’est fait avec une 688 afin de pouvoir être épaulé par le Dungan automix. Sur la seconde partie du tournage, j’avais un Cantar X3 à l’épaule. C’est une machine formidable que j’utilise depuis sa sortie et il m'est aujourd'hui difficile de travailler avec autre chose. Surtout dans ces conditions, avoir la main sur les faders de la machine directement était un gros plus.
BOB avait aussi installé des micros d’ambiance un peu sur tous les sets de tournage, disons par habitude, mais ça permettait de rapporter des infos supplémentaires suivant les lieux.
Les téléviseurs dans le bar diffusaient le véritable direct d’une de nos caméras ainsi que des différentes chaînes d'info en continu (les habituelles émissions de plateau en attendant la première estimation du vote à 20h) mais le son qu'on entend était en réalité envoyé directement depuis la régie, afin d’avoir la mains sur les délais. Même chose pour le son de l'émission de radio (France Inter) qui est censée sortir de l'autoradio dans la voiture, mais qui en réalité était géré par Bruno depuis la régie. La maîtrise des délais entre les différentes sources audio (sons directs du plateau, sons des émissions télé et radio) et vidéo était primordiale.
Comment s’est déroulée la phase de préparation du tournage ?
La préparation fut très intense. À l'issue de notre premier repérage, nous avions déjà une première idée : prendre un utilitaire électrique de 16 m3 qui se déplacerait sur tous les décors du projet, faire appel à deux perchmen (un pour les extérieurs et un pour les intérieurs), plus une seconde assistante qui sortirait à deux moments afin de déporter une antenne dans le bar et dans la maison.
Mais ça, c’était avant de me rendre compte que le dispositif pour le direct allait être bien plus important que ce que j’imaginais. Car la grosse inconnue à ce moment-là fut de ne pas connaître les conditions de transmission des sons vers la régie, et les contraintes de diffusion en régie.
Lors de notre rencontre avec Cyril Mazoyer (BOB), j’ai pu avoir ces réponses, ce qui nous a imposé de devoir gonfler notre configuration et donc la liste du matériel, de beaucoup. À savoir : nous étions partis sur un rack Wisycom MRK16 avec 4 antennes Wisycom LFA et ADFA, ainsi que 4 MCR54 (pour 16 liaisons HF). Nous avons gardé cela mais nous avons rajouté 8 boîtiers fibres MFL-TTRR ainsi qu’une douzaine d’antennes, toutes des Wisycom, un multiplexeur MAT288, le tout en DANTE directement dans le Cantar et via Wisycom Manager sur un PC, afin de couvrir le village ainsi que les différents lieux de tournage hors rouling.
À cela se rajoutait, dans l'utilitaire électrique, une seconde unité (Sound Devices 688 + CL12 + 3 MCR42 + 2 antennes BETSO Sharkie) gérée par un autre opérateur son, et perchée par l’un des deux perchmans du projet. Il s’occupait de toute la première partie, à partir du moment où Félix Moati attend son frère sur le bord de route, puis la séquence rouling jusqu’à l'arrivée de la voiture des deux frères sur la place du village une quinzaine de minutes plus tard. À ce moment-là, je reprenais la main sur les micros, et envoyais depuis la régie un divergé ainsi que des prémix de HF à Bruno Morisseau qui s’occupait du mixage du direct pour la diffusion.
J’ai beaucoup été aidé par Julien Fabbri de AEI pour le dispositif à utiliser ainsi que pour l’équipement nécessaire à la réalisation du projet. Nous nous sommes beaucoup vus et parlé au téléphone pour établir les plans de l’ensemble. Marie, Cédric et Nicolas de DCA se sont aussi occupés de mon dossier pour tout ce qui était sous-location supplémentaire (la base de tournage venait de ma société West Motion mais il me manquait évidemment tout ce qui était matériel fibre).
Nous avons consacré plus de trois jours à tirer des câbles, installer 14 antennes dans le village, et configurer cette installation. Puis il a fallu sans tarder que tous les postes fassent les tests sur un filage une fois que tout a été branché : comédiens, scripte, machinerie, caméra, lumière, MES, diffusion, …. Or n’ayant pas de technicien HF dans mon équipe, je devais gérer l’ensemble en simultané. C'est pourquoi nous n'avons pas eu la possibilité de faire des tests de portée avant de nous lancer dans ce premier filage technique.
Pour la partie rouling, le son transitait directement dans le signal « embeddé » avec la caméra, avec un mix Perche en L et HF en R effectué par l’opérateur son du rouling, et récupéré directement en régie par Bruno. Lors de l’arrivée dans le village, je devais commencer à capter l’ensemble avec mon unité de tournage.
À quelles difficultés techniques t’es-tu confronté ?
Tout aurait dû bien se passer mais je me suis rendu compte assez rapidement que ce ne serait pas le cas. À certains moments, je ne captais plus rien à 3m d’une antenne, pourtant branchée en direct dans le multiplexeur. Il y a eu beaucoup d’aberrations de cet ordre-là. Nous avons donc tout revu entièrement, refaisant les calculs d’atténuation des différents câbles (autant les BNC 50Ω que les Cellflex en N), nous avons modifié les gains d’antennes et de boîtiers fibre en fonction de nos installations, fait de nouveaux scans de fréquences, etc. Cela deux jours durant. 3 autres filages plus tard, toujours rien ne fonctionnait parfaitement. J’ai eu de nombreuses communications téléphoniques avec Julien Fabbri de AEI pour reprendre tout depuis le début, un technicien de chez Fréquence (loueur d'une bonne partie du matériel fibre par AEI) qui avait fait la prépa du matériel que j'utilisais. Lui-même ne comprenait pas ce qui se passait.
J’ai changé plusieurs câbles au niveau du rack Wisycom MRK16 et du multiplexeur MAT288 mais j’avais de la friture permanente. Comme si un des éléments de la chaîne ne pouvait s’empêcher de récupérer des fuites. Pourtant lors de la prépa dans mon local à Bordeaux, tout fonctionnait parfaitement. Ensuite nous étions tellement pressés d'enchaîner les filages (il a plu toute la journée) qu’il était difficile de se poser convenablement et faire tous les tests nécessaires. Nous n'avons pas compté nos heures, cependant nous n'avons pas été en mesure de comprendre d’où cela venait. Nous avons découvert un matin qu’une des antennes de contrôle de la caméra bombardait à 30W dans l’UHF autour des 400MHz, donc très proche de nos fréquences audio et avec une puissance considérable. Mais j’avais choisi les systèmes Wisycom justement car leurs antennes et leurs boîtiers fibre ont des filtres glissants intégrés permettant de réduire ce genre de problème. Les utilisant depuis plus d’un an maintenant en fiction, je sais à quel point ils sont performants. Nous avons obtenu de faire couper ce boîtier de contrôle caméra car il ne suffisait pas de toute façon à couvrir tout le tournage. Ce fut un premier compromis. Ensuite, premier test la veille de la diffusion et là, j’avais enfin quelque chose qui semble fonctionner normalement, victoire !
Nous n'avons pas eu le temps de faire de tests complémentaires car le reste de l'équipe est arrivé et nous devions nous préparer pour un nouveau filage. Et là, nous avons à nouveau été confrontés au même phénomène…
Savoir que l’on sera en direct dans un peu plus de 24 heures et que rien ne fonctionne, et ce sans comprendre pourquoi, a été très compliqué à vivre. Encore une fois, j’ai passé de nombreuses heures au téléphone et à des horaires pas évidents à accepter (je parle de 2h du matin par exemple) avec Julien qui était parti à Las Vegas, ainsi que Christian Vellin de BSRF. Ils ont pris le temps de réfléchir avec moi, sans trop savoir eux-mêmes comment cerner le problème. Je les remercie infiniment pour tout ce temps qu’ils m’ont accordé et pour leur bienveillance. Les producteurs et les réalisateurs, que la situation inquiétait fortement, m’ont toujours soutenu mais la pression était vraiment très forte. Mes assistants ont fait un travail formidable à tout point de vue. Ils m’ont été d’un soutien hors-norme.
Quelles solutions as-tu trouvées ?
Le soir, la veille du direct, après une réunion de crise avec tous les postes techniques, j'ai soumis une idée que j'avais gardée en réserve : passer en portable et suivre toute la partie après rouling en envoyant un mixdown à la caméra que recevrait la régie. Pour le coup, cette solution ne pouvait que fonctionner : limitation du matériel et simplification à l’extrême (Cantar à l’épaule, 2 antennes LFA et 12 canaux HF sous les doigts, et suivre moi-même l’équipe de tournage à pied). Donc à moins de 18h du direct, j’ai pris 2h pour tout démonter et passer en sacoche, configurer récepteurs et alimentation pour la caméra, souder les câbles qui nous manquaient.
Le lendemain matin, après une très courte nuit, nous avons refait une synchro son/image à cause des nouveaux délais à recalculer car on passait d’une liaison directe avec la régie à un signal embbedé. 3h de réglages ont été nécessaires puis nous étions prêts pour un dernier filage avant le direct.
N’étant pas en régie, je ne savais pas si notre transmission fonctionnait. Je n’avais que très peu mis les pieds sur le plateau, un peu au début pour discuter de nos différentes contraintes avec mes assistants, mais je n’avais encore jamais fait de déambulation avec toute l’équipe technique. J’ai dû improviser. Mais de cela j’ai l’habitude : même si je travaille en roulante, nous devons parfois partir en sacoche et mixer à la volée tout en improvisant nos déplacements, en documentaire toujours et en fiction parfois.
J’ai donc fait ce dernier filage avant la diffusion en improvisant mes déplacements, et mixant toutes mes sources pour n'envoyer plus qu'un mix Perches L / HF R sur la caméra, en lieu et place d'un divergé comme demandé par le mixeur en prépa. À moins de 6H du live.
À la fin, en remontant à la régie pour savoir si cela s’était bien déroulé les producteurs m’ont pris dans les bras, tout avait parfaitement fonctionné. Nous étions prêts pour le direct. Victoire définitive cette fois-ci !
D'un côté, je m’en voulais beaucoup de ne pas avoir réussi à faire fonctionner le dispositif initial. Mais de l'autre, au moins avions-nous fait ce qu’il fallait pour que le tournage puisse avoir lieu, sans sacrifier une quelconque décision concernant la mise en scène ou la diffusion.
Aujourd’hui, après de nombreuses autres conversations, je n’ai toujours aucune réponse aux problèmes que j’ai rencontrés. Je pense à un probable connecteur qui devait perturber l’ensemble. Mais le peu de temps passé sur place et la difficulté à mettre sur pied une installation complexe ne nous ont pas permis de vérifier correctement chaque élément comme nous aurions dû le faire dans des conditions optimales. Encore une fois, la pluie, les filages, etc…
L’important est que le tournage ait eu lieu, et en soit c’est une réussite. Mais aujourd’hui je suis toujours frustré de ne pas connaître la cause de tous nos problèmes.
Au début du film, un plan-séquence assez complexe commence par un extérieur voiture avec les deux personnages principaux, enchaîne sur un intérieur voiture en mouvement pendant un long moment, puis la voiture s’arrête, les deux personnages sortent de la voiture, poursuivent leur conversation dehors et retournent dans la voiture qui redémarre. Ce plan s'arrête quand, arrivés sur la place du village, Félix sort du véhicule. Comment avez-vous assuré la continuité sonore sur l’ensemble de ce plan-séquence ?
Bastian attendait dehors avec la caméra 1, puis lors de leur montée en voiture, il se mettait dans le 16m3 électrique qui suivait de près, et le Schoeps BLM dans la voiture installé en HF prenait le relai. C’était à chaque fois une course de relais entre chaque passage.
Sur cette séquence, notamment dans la voiture en rouling, il me semble avoir entendu de courts mais réguliers décrochages de fréquence. La gestion du plan de fréquences a-t-elle été problématique ? De manière plus générale, combien de micros HF et de liaisons HF as-tu eu à gérer ?
Il y a eu des petits décrochages effectivement lors du rouling pendant le direct, liés aux HF des comédiens (l’émetteur du BLM était à l’extérieur du véhicule donc la réception de celui-ci était optimale). Les comédiens étant assis dans la voiture, le signal émis par leurs émetteurs risquait d'être amoindri, mais aussi et surtout parce que le 16m3 suiveur devait rester à moins de 5 mètres derrière (élément défini lors des premier repérages et des premiers tests préliminaires) afin d’optimiser la réception du signal. Or cette distance était compliquée à gérer d’un point de vue sécurité. Lors des filages, nous n’avons pas eu de problème, hormis un seul et très léger décrochage, lié à la route et au vent qui menaient la vie dure à notre installation. Donc en termes de perturbation, tout en restant soumis aux aléas du direct (surtout avec les émetteurs et récepteurs vidéo HF qui étaient à proximité des antennes audio HF), nous étions confiants. Mais cette distance de 5 mètres n’ayant pas pu être scrupuleusement respectée, nous avons eu effectivement de petits décrochages.
J’avais établi plusieurs plans de fréquence lors des différents réglages les jours précédents avec le calcul des intermodulations. En tout, une quinzaine de HF ont permis de couvrir l’ensemble, ce qui fait assez peu compte-tenu du projet. La simplification de certains passages voulue par les réalisateurs a aussi aidé à cette réduction, il y avait un peu plus de personnages tiers dans la version initiale du scénario.
Dans cette même séquence intérieur voiture, apparaît la voix-off de Kamel, le personnage ‘fil rouge’ du film qui se trouve à ce moment sur la place du village. On entend aussi en fond sonore la musique que Flavien Berger joue en direct de son food-truck. Comment avez-vous coordonné les différents plateaux pour que tout s’enchaîne de manière parfaitement fluide ?
Cela a été géré par la scripte depuis la régie, tout ceci était écrit en terme de timing. Les interventions de Kamel pour la voix-off devaient aussi, si cela était nécessaire, devoir couvrir des potentiels avances ou problèmes techniques afin de « meubler » mais nous n’avons pas eu besoin de ça. Donc ses voix-off ont été dites à chaque fois tel que cela était prévu.
Lors d’une des dernières séquences, on suit deux personnages à l’étage de la maison familiale. On entend l’écho d’une chanson, qui devient de plus en plus présente au fur et à mesure que les deux personnages se rapprochent de la source sonore, au rez-de-chaussée. Comment le play-back et l’effet sonore a-t-il été géré en direct ?
Il y avait dans la salle où ils dansent une enceinte qui diffusait la chanson pour les comédiens mais aussi pour l’entendre de loin. Puis cette musique devenait extradiégétique, durant la séquence, donc plus de IN, simplement la musique en brut, jusqu’à la fin de cette séquence.
Comment était organisée la communication entre la régie générale et les techniciens de plateau ? Les acteurs étaient-ils équipés d’oreillettes afin d’être dirigés par les réalisateurs ou recevoir une aide en cas d’oubli du texte ?
Les comédiens n’avaient pas d’oreillettes. Les assistants mise en scène faisaient des signes en cas de retard ou d’avance sur le timing prévu, afin que les comédiens puissent s’adapter et improviser. Grâce à un système de communication Clearcom, la scripte donnait des indications depuis la régie, à la fois à tous les techniciens du plateau, mais aussi à Bruno le mixeur pour l’envoi des musiques ou de la voix-off de Kamel dite en direct, et aux techniciens de la diffusion, pour les cartons ou les changements de caméra par exemple.
Comment as-tu vécu ce tournage ?
Pour moi ce tournage fut très dur d’un point de vue mental. D’un point de vue technique j’étais prêt, et je connaissais le matériel utilisé, j’avais appris à utiliser les boitiers fibre Wisycom MFL ainsi que le multiplexeur MAT288, j’ai l’habitude aussi des placements des antennes ainsi que leur optimisation. Les roulings sont quelque chose que nous vivons quotidiennement, et nous savons nous adapter aux différentes problématiques.
Mais comme expliqué plus haut, les problèmes de réception avec l’installation fibre du village ont tout remis en question, car nous n’avions pas le temps de tout tester après l’installation, et l’heure de diffusion avançait à grand pas. Sans compter la pluie lors de la semaine de préparation qui ralentissait toute modification.
Donc lorsque l’on allume l’ensemble et que rien ne fonctionne normalement, il faut savoir tout remettre en question, tenter différentes choses, faire des réglages supplémentaires, gérer les surmodulations HF possibles, et en quelques heures devoir refaire toute la préparation d’un mois en changeant tout plusieurs fois durant la semaine, voire même deux à trois fois par jour, afin de tout tester. Cette configuration aurait dû fonctionner et nous sommes toujours aujourd’hui face à un mystère, ce qui est assez frustrant.
Le problème peut venir de plusieurs choses à la fois :
-Les différents éléments en régie qui rayonnaient à proximité de mes racks de réception
-Un élément, adaptateur ou un câble défectueux non authentifié
-La fibre qui n’était pas au bon format (ce qui reste peu probable car sinon nous n’aurions pas eu de signal entre les boitiers MFL, et ce signal était bon).
Et même épaulé à distance par tous les plus grands techniciens HF rompus à ce genre d’installation, rien n’y a fait. La pression du direct qui s’approchait, celle du reste de l’équipe technique et artistique aussi qui étaient dans l’attente que cela fonctionne, cela fut très compliqué à gérer. Mais tout le monde est resté bienveillant et m'a fait confiance. Sans cela, je ne pense pas que cela aurait été possible et je les en remercie. Ça m’a valu une centaine d’heures de travail cette semaine-là et quelques cheveux blancs supplémentaires.
Quelle expérience en as-tu retiré ?
Je referai avec grand plaisir ce genre d’installation, j'ai même hâte en vérité, mais je m'y prendrais différemment. La fibre apporte tellement de possibilités que je compte m’en équiper pour mes futurs projets. Mais pour une installation similaire, je ferai appel à un technicien spécialisé avec lequel nous réfléchirons sur place et non plus à distance sur le dispositif et la mise en place, et qui sera dédié à l’installation, aux tests et aux résolutions de ces différents problèmes. Car pour le coup, pendant toute cette semaine, je ne peux pas dire avoir fait du son mais plutôt de l’installation.
J’aurais aimé pouvoir prendre davantage de temps pour discuter de certaines séquences, travailler sur des ambiances en amont afin de pouvoir les diffuser le jour J, améliorer le rouling, …
Mais encore une fois, je suis tout de même heureux d’avoir vécu tout cela. Ça en valait la peine. Nous avons pour habitude de nous adapter à chaque situation et de trouver des solutions. Apprendre à remettre en question ses choix, à prendre le problème sous un autre angle et revenir en arrière afin de le résoudre ou le contourner. La technique nous permet tellement de choses, il faut toutefois aussi savoir la connaître pour mieux s’en détacher pour trouver d'autres manières de faire. C’est aussi en cela que je suis content de cette expérience, j’en ressors grandi. Nous en reparlons souvent avec mes assistants et nous sommes tous fiers d’avoir participer à cela, autant que je le suis de les avoir eus avec moi.
De manière plus globale, cette expérience de tournage associant des techniciens issus de la fiction à d'autres venant du broadcast ne pose-t-elle la question de la potentielle limitation du travail des chefs opérateurs du son à un espace purement technique, avec de nouvelles technologies et des techniciens hyper-spécialisés (HF Fibre, etc.) ? C'est-à-dire, ne perd-on pas en route une partie de la prise de son cinéma ?
Disons que nous avons dû nous adapter à ces contraintes, à savoir fournir un divergé à un mixeur, mettre de la fibre partout, des intercoms, ... Pas mal d'éléments techniques que nous ne voyons que très peu en fiction. En soit, je ne voyais ça que comme un élément technique à intégrer dans mon travail habituel. Nous devions avancer de concert et être efficaces, ça s'est donc fait sans réflexion particulière sur les limitations artistiques de mon poste sur ce projet.
Avec un peu de recul, je peux dire que notre travail consistait davantage à capter les différents micros des comédiens et à les fournir au mixeur. Mes assistants vivaient le projet comme une fiction ordinaire : ils connaissaient leurs perches, les dialogues ainsi que les mouvements sur le trajet. Mais en un sens, mon propre travail s'est retrouvé limité à un espace purement technique : il fallait avant tout que ça marche.
Lors de la phase de préparation, le mixeur et moi avions parlé d'enregistrer les filages afin de les réécouter, que je passe derrière sa console pour travailler avec lui sur les équilibres perche et HF, lui exprimer ma vision de la prise de son fiction sur ce projet et lui la sienne. Nous le souhaitions tous les deux mais les problèmes techniques rencontrés ne nous ont pas donné le temps de faire ce travail-là.
Ce mélange Broadcast/Fiction est très intéressant mais nécessiterait d'avantage de temps et de réflexion afin de créer quelque chose de nouveau, trouver une identité propre. Car chacun (l'équipe fiction et l'équipe broadcast) a fait son travail comme il sait le faire habituellement (et c'était ce qui nous était demandé). Je pense qu'il aurait été intéressant d'intégrer d'avantage de gens de la fiction dans les équipes broadcast et inversement : un mixeur cinéma avec le mixeur des directs, un technicien RF avec moi pour la fibre et l'installation, par exemple, afin d'avoir plus de temps à consacrer à la question artistique par rapport à la technique.
Je pense sincèrement qu'il y a un équilibre à trouver pouvant allier les deux plutôt que de cloîtrer les choses. Malgré tout, l'entente était là, tout le monde s'appréciait et était curieux du travail de l'autre. Je trouve que malgré toutes ces péripéties nous avons bien travaillé. Et je ne regrette rien. Vivement le prochain !
As-tu vu le film en replay ?
Oui et effectivement, comme nous l'avions pressenti, la perche est très peu présente dans le mix. Nous avions eu uniquement la dernière répétition à 4h du direct pour nous accorder, ce qui ne nous donnait pas la marge de manœuvre suffisante pour concevoir un rendu sonore plus cinématographique. Mais, encore une fois, je suis satisfait de ce que nous avons fait. Et fier d’avoir pu participer à ce magnifique projet.
Entretien mené par Vincent Reignier.
Remerciements les conseils et la relecture : Laure-Anne Darras, David Rit, Erwan Kerzanet et Pierre-Antoine Coutant.
Photos : © Maxime Berland (sauf captures d'écran).
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