Le cinéma en salle est-il guéri ?
À l’occasion du festival de Cannes 2022, paraissait le 17 mai une tribune dans Le Monde signée par de nombreux professionnels demandant la convocation à des Etats généraux du cinéma. Face à la difficile reprise de la fréquentation en salle et l’insolant essor des plateformes numériques l’inquiétude pointait dans les rangs du cinéma français.
Egalement sollicitée à l’époque, l’AFSI, partageant le constat, a décidé de rester en retrait tout en soutenant la création et la diversité du cinéma en salle. Pour notre association, les débats auraient nécessité une vraie remise à plat sans que le cinéma français s’exonère de regarder ses propres faiblesses.
Plus d’un an après cet appel et à la veille du congrès 2023 des exploitants à Deauville, où en est-on ?
Pour alimenter le débat et apporter sa contribution, l’AFSI a posé ses questions, y compris celles qui peuvent fâcher, à plusieurs professionnels et associations. Nous les remercions grandement d’avoir jouer le jeu avec nous.
Vous lirez ici les réponses de David Obadia, délégué général et Guillaume Bachy président de l’AFCAE (Association française des cinémas d’art et d’essais) et de Sabine Le Stum, déléguée générale de l’association SCA (Scénariste du cinéma associés). L’ARP n’a pas donné suite à nos sollicitations.
AFSI : Plus d’un an après l’appel à des états généraux du cinéma, la fréquentation en salle, en grande partie à l’origine de cet appel, est revenue à de très bons niveaux (1). Quel est votre sentiment sur la fréquentation des salles aujourd’hui ?
AFCAE : Après la période d’instabilité, de doute, que le marché a connu depuis la dernière réouverture des salles de cinéma, nous pouvons être rassuré.es, et nous réjouir, de voir la fréquentation atteindre un très bon niveau. Et souligner la bonne forme des films recommandés Art et Essai : sur les 6 premiers mois de l’année, en comparaison à cette même période de l’année précédente, les entrées cumulées du top 30 connaissent une augmentation de 89%.
Nous restons toutefois vigilant.es car ce constat réjouissant en cache un autre plus inquiétant : si les films à potentiel trouvent à nouveau leur public, les films plus confidentiels, plus exigeants, ont plus de difficultés à susciter la curiosité des spectateurs comme c’était le cas avant crise.
SCA : Nous nous réjouissons bien sûr du retour des spectateurs en salle et de la bonne fréquentation des cinémas ; à signaler, ce n’est pas le cas partout en Europe, la reprise est encore faible en Espagne et en Italie, par exemple.
Nous sommes en particulier sensibles à la fréquentation des films français… Et nous observons une belle diversité des succès – contrairement à ce que l’on entend parfois, des films français, indépendants, ont souvent enregistrés de bons résultats. Ces réussites encourageantes ne doivent pas masquer la complexité de l’exposition de nombre de films indépendants en salles. Les films quittent très vite l’affiche, leur nombre de séances hebdomadaires les deux premières semaines n’est pas garanti. Il faut à notre sens des engagements de programmation clairs, et surtout encadrer le multi-écran.
AFSI : Nous avons assisté à la journée du 6 octobre pour l’appel à des États généraux du cinéma (2). Il y avait un consensus pour désigner les plateformes numériques comme le « grand satan ». D’après vous, quel serait le plus grand danger dans la cohabitation du cinéma avec les plateformes ?
AFCAE : Il faut faire attention à la facilité de trouver un ennemi commun. Ce ne sont pas les plate-formes en tant que telles qui représentent un danger, mais leur politique agressive face aux films qui, ne voulant pas se soumettre à la chronologie des médias, refusent qu’ils aient une sortie en salle de cinéma. Ils deviennent donc des têtes de gondole pour les plateformes, les films d’auteur.trice utilisés comme des images de marque qualitatives, alors même que les abonné.es ne les regardent pas ; confère les résultats de notre enquête exclusive, commandée à l’Ipsos.
A noter toutefois que certains signes sont encourageants et démontrent que cette politique tend à s’inverser : nous pouvons par exemple citer l’exemple du prochain film de Martin Scorsese, Killers of the Flower Moon, production Apple TV qui sortira en salle sous la bannière Paramount.
SCA : « Cohabitation », le mot est amusant, au regard de notre histoire politique ! Nous n’avons jamais pensé, au SCA, que les plateformes sont les « grand satan », il ne nous semble pas que cela ait été formulé de cette manière. La diabolisation n’est pas notre fort. C’est peut-être davantage l’évolution du cinéma américain dans son ensemble, plutôt que les seules plateformes, qui perturbe le secteur français. Le cinéma indépendant américain souffre d’un grand manque de visibilité, depuis une quinzaine d’année, par exemple, et les plateformes ont renforcé le phénomène. Mais pour répondre à votre question, je citerais trois dangers liés à l’arrivée des plateformes, même si elles ne représentent bien sûr pas que des dangers.
Le premier concerne leur intérêt réel ou supposé pour le cinéma. Le cinéma semble jouer le rôle d’une vitrine, pour un certain type de public, pour des raisons politiques ou d’image, ponctuellement. Mais on peine à déceler une vision, une ligne éditoriale, ou même un intérêt stratégique. On n’a pas observé que les plateformes ont fait émerger de nouveaux cinéastes. Les films de cinéma ne sont pas assez mis en avant, les plateformes peuvent vraiment mieux faire concernant la possibilité de découvrir les films. Les crédits affichés et les informations sont indigents – cherchez par exemple les crédits des scénaristes, voire des réalisateurs sur certaines plateformes... En outre, le cinéma en France est, pour le bien de l’ensemble du secteur, régulé, et notamment diffusé d’abord en salles, conformément à la chronologie des médias… Pour accepter vraiment cette régulation, ou pour contribuer de façon positive à son évolution, il faut adhérer à ce qu’on pourrait appeler « l’intérêt supérieur du cinéma ». Or cet intérêt ne semble pas au cœur du modèle des plateformes.
Le deuxième danger, c’est la disruption majeure que les plateformes représentent dans l’économie de l’audiovisuel et des films. C’est la première fois que le résultat économique d’un projet ne dépend pas du succès. En cascade, toute la chaine de financement et de création en est affectée : pour résumer un peu grossièrement, cela veut dire que les plateformes peuvent se permettre de sous-payer comme de surpayer les productions et les auteurs. Cette logique de « part de marché » plutôt que de succès a pour complément la concentration et l’intégration verticale, qui représente un risque pour la diversité de la production et celle des producteurs. Le maintien du trio du producteur délégué, du réalisateur et du ou des scénaristes est très important pour nous.
Un autre effet délétère, lui aussi corrélé, est l’absence de transparence sur les résultats, les fameux « indicateurs de marché » qui sont essentiels pour toutes les personnes qui travaillent dans l’industrie. Aujourd’hui, les auteurs, grâce à leurs relevés SACD, et grâce à notre système de droit d’auteur, ont connaissance des fameuses minutes de visionnage de leurs œuvres. Mais il n’y a pas d’indicateurs généraux sur les plateformes.
Enfin le troisième danger, pour les auteurs en particulier, c’est la baisse de la rémunération, concernant les droits de diffusion, qui sont une part essentielle des rémunérations des scénaristes. Par rapport aux diffusions en télévision, celle d’un film en plateforme, quand il n’est pas un « original », est beaucoup moins rémunératrice. Le danger, côté auteurs, c’est donc une « cannibalisation », avec des revenus issus de plateformes qui sont parfois dérisoires. Quelques très fortes rémunérations de « têtes d’affiches » ne peuvent masquer ce problème. C’est ce qui est au cœur de la grève historique et très dure des scénaristes américains cette année. Or on sait que la situation des auteurs en France est déjà très, très précaire. Même les scénaristes qui vivent du cinéma n’en vivent pas grassement. Il y a un vrai problème concernant la situation économique des scénaristes.
Pour conclure, nous restons positifs et optimistes. Aucun de ces risques n’est inéluctable, avec de bonnes régulations, et le cinéma français, dans toute sa diversité, a montré ses capacités de résistance et d’adaptation !
AFSI : Étant donné l’absence de visa d’exploitation, administrativement, juridiquement, les films produits par ces plateformes sont des téléfilms. Pourtant on leur reproche de produire des films de cinéma. Si ce n’est pas la salle de cinéma, qu’est-ce qui différencie un film de cinéma, d’une fiction audiovisuelle ?
AFCAE : Produire un film n’est pas offrir un chèque en blanc à un auteur.trice. Plusieurs grands cinéastes, happés par les sirènes des plate-formes, ont réalisé des films décevants au regard de leur précédentes œuvres : ils leur manquaient très certainement un.e producteur.trice. Maillon essentiel de la filière cinéma, il.elle permet à la fois de consolider et tenir le budget du film mais également d’apporter un contre point de vue à l’auteur.trice, partage nécessaire permettant de confronter les regards et répondre aux exigences de la production cinéma.
Pour répondre plus directement à votre question : le film naît, et existe, en salle de cinéma. Sa vie démarre lorsqu’il se confronte à l’expérience collective de la salle, lorsque ses images sont projetées sur le grand écran. Si la mort du cinéma a été mille fois annoncée, et tout autant de fois démentie, c’est bien que la salle reste l’écrin naturel, indispensable, du film. Les plate-formes, de par les contenus sériels qu’elles proposent et sur lesquels elles fidélisent de nombreux abonnés, restent complémentaires à la salle mais ne pourront jamais s’y substituer.
SCA : Il y a une définition juridique très claire, c’est la salle de cinéma qui fait le film de cinéma ! L’immense majorité des auteurs, au SCA, considère que c’est la meilleure définition possible. C’est une définition plus économique qu’artistique puisqu’elle s’appuie sur le critère objectif du canal de distribution. Et en même temps, ce critère s’accorde avec la vision artistique que les auteurs ont du cinéma. Rechercher une définition artistique de ce qui fait un film de cinéma anime bien des conversations sans trouver de réponse définitive, et tant mieux… Mais l’idée que le cinéma doit naître sur grand écran, dans une expérience collective, avec une durée d’exclusivité minimale, fait consensus. Disons qu’on peut considérer les films qui ont été produits par des plateformes sans passer par la salle comme des œuvres orphelines. Il manque quelque chose à leur histoire.
AFSI : Comment prenez-vous l’annonce des plateformes numériques Apple et Amazon, ou encore le revirement de Disney, de sortir leurs films en salle ?
AFCAE : Comme un très bon signe. Signe que ces acteurs ont compris l’importance de la salle de cinéma dans la vie du film. La notoriété acquise en salle n’a pas d’égal. Toutefois, tout n’est pas encore gagné puisqu’Amazon vient d’annoncer que, refusant de se soumettre à la chronologie des médias, le prochain film de Michael Mann, Ferrari, sera directement diffusé sur leur plate-forme. Le chemin reste encore long mais nous avons de bonnes chaussures.
SCA : Ce sont des sociétés américaines qui ont fait l’expérience sur leur marché de cesser de sortir leurs films en salle, pour en conserver l’exclusivité en streaming. Et elles ont constaté que cela ne marchait pas. Les films qui sortent en salle sont davantage visionnés en streaming exclusif que ceux qui ne sont jamais sortis de leur plateforme. Et en plus, ils se privent de l’apport des recettes de la salle. « L’effet salle » est désormais reconnu aux États-Unis comme un facteur de succès, il est admis, de nouveau, que la salle confère notoriété, visibilité et une forme de prestige à un film. Tant mieux !
AFSI : En France, la télévision est une très grande contributrice au financement du cinéma. N’est-ce pas contradictoire de dénoncer les plateformes d’un côté et de se financer par la télévision et maintenant les plateformes de l’autre ?
AFCAE : La complexité du financement audiovisuel est bien plus complexe que ce que ne résume votre question. La différence notable entre chaînes de télévision et plate-formes est que les premières sont de vrais partenaires du cinéma et de son financement et ont compris depuis longtemps l’éco-système vertueux qui existe entre les 2, quand les secondes cherchent par tous les moyens à exister en parallèle, en marge de ce système.
SCA : Je ne vois pas la contradiction, c’est le pilier du système français que de faire contribuer les chaines au financement de la production. Ce sont des préachats et de la coproduction. Tout le monde y gagne. C’est la condition pour opérer sur notre marché. Les questions que nous pouvons nous poser ressortent davantage du financement des films les plus audacieux, qui sortent du lot, qui semblent, à tort ou à raison, risqués. C’est une question qui concerne évidemment les producteurs indépendants mais qui intéresse aussi beaucoup les auteurs, bien sûr – d’où l’intérêt de débats collectifs sur ces questions.
A souligner, le SCA n’a jamais « dénoncé » les plateformes. Nos adhérents sont vigilants sur les modifications que celles-ci importent et imposent, tant pour l’aspect économique que pour l’aspect artistique. Jusqu’à présent, les retours sont contrastés, avec de vraies craintes pour la liberté de création, des craintes de formatage, mais aussi quelques belles expériences.
Ce qui est important, c’est de ne pas importer, sans raison valable, les pratiques de l’audiovisuel vers le cinéma. La multiplication des contrats d’option, par exemple, en est un symptôme.
AFSI : Le 6 octobre 2022, il y a eu deux lignes rouges. La quantité de films et la qualité des films français. Lors des débats certains intervenants ont pourtant dénoncé la durée d’exploitation en salle trop courte de nombreux films. Comment faire vivre tous ces films en salle ?
AFCAE : La réponse à cette question nécessiterait d’écrire une thèse ! C’est un sujet extrêmement complexe, qui anime de nombreux échanges, réunions, tables rondes,… Il n’y a pas de solution miracle. Des réflexions naissent, comme renforcer les engagements de diffusion qui offriraient aux salles une plus grande liberté de programmation, leur permettant ainsi d’adapter les séances sur la durée, et donc offrir une plus grande diversité.
SCA : C’est justement ce qui intéressait beaucoup le SCA dans l’appel à des États-Généraux du cinéma. Nous avons besoin de faire vivre la diversité de notre création, et nous avons besoin d’élaborer collectivement des réponses plus satisfaisantes que le raccourci malthusien, « il y a trop de films ».
Nous avons besoin d’une réflexion collective et organisée pour trouver la meilleure régulation possible. Souvent, les auteurs ont le sentiment que certains films auraient pu rencontrer un plus large public s’ils étaient restés plus longtemps en salle, quitte à y être moins exposés. La rapidité « d’exécution » de certains films nous inquiète. C’est une question vraiment cruciale, pour les auteurs, que celle de l’exposition des films ; il n’y a pas de diversité de la création sans diversité de l’exposition. Les engagements de programmation doivent être revus, ce sera un rendez-vous important.
Bien sûr, cela ne vient pas tout seul : la capacité des productions moins riches à exister sur le marché promotionnel, dans des espaces « marketing » est également posée. La situation des distributeurs indépendants nous inquiète beaucoup, et nous aimerions que leur rôle soit davantage soutenu et valorisé. Ce sont eux, aussi, qui découvrent et font éclore les nouveaux talents, en scénario comme en réalisation, artisans des futurs Palme d’Or ou succès publics.
AFSI : Alberto Barbera, directeur de la Mostra de Venise a déclaré dans une interview dans les Echos que « [en Italie en 2022] On est passé en l'espace d'un an de 120 à 250 films produits cette année. C'est une folie. (…) Nous n'avons pas un marché suffisant pour absorber un tel nombre de titres. » (3) Comment expliquer une telle différence de point de vue avec la France ?
AFCAE : Nous avons en France, grâce à de forts engagements politiques qui perdurent depuis de nombreuses années, un parc de salles de cinéma très dense, réparti sur tout le territoire. Nous possédons un maillage territorial unique au monde, avec près de 1300 cinémas classés Art et Essai. Grâce à cette présence territoriale enviée de par le monde et particulièrement de nos voisin.es, tel que l’Italie, nous pouvons faire exister en salle les productions françaises. En parallèle de ces infrastructures, à nouveau grâce à des engagements très forts des politiques culturelles, il existe en France des dispositifs d’éducation à l’image, de la maternelle jusqu’aux études supérieures, permettant d’éduquer et de former les publics de demain. Il y a donc pour les français, depuis le plus jeune âge, un attachement, un lien, très fort à la salle.
SCA : Il faut le lui demander… La France est le cinquième pays du monde pour le nombre d’écrans et le premier en Europe, 6 298 écrans en France contre 3 412 recensés en Italie, selon les chiffres 2023 de l’Observatoire européen. Cela peut expliquer la différence d’approche.
Mais on peut aussi avancer un autre chiffre, concernant le nombre de films, environ 280 films agréés chaque année, pour 68 millions de Français – sans compter le reste du monde. Cela ne me semble pas excessif au regard de la diversité des goûts, des intérêts, des personnes. La diversité est une valeur essentielle ; par ce terme, on désigne en réalité la vitalité de la création, son renouvellement, la curiosité du public, son droit à tomber sur des œuvres inattendues. Moins il y a de diversité dans la production cinématographique, plus nous risquons d’avoir des films formatés, sans saveur.
Par ailleurs, en 2022 les films français représentent 41% des entrées salles (152 Millions), soit 62 millions, c’est peut-être une autre manière de regarder les chiffres. Ce sera intéressant d’observer si la part des films italiens dans les entrées salle augmente en même temps que la production.
AFSI : Richard Brody, Grand amateur de la Nouvelle Vague et critique pour le New Yorker parle du cinéma français comme d’un cinéma « sclérosé et conformiste » dont « les films se limiteraient à un formatage et un académisme national » (4). En écrivant que « Ils ne se demandent pas si leurs films font partie du problème » Michel Guerrin, rédacteur en chef au Monde enfonce le clou (5). Plus que de diversité des thématiques, le cinéma français ne souffre-t-il pas d’une trop grande uniformité dans la forme aussi bien pour l’image que pour le son ?
AFCAE : La production française est bien plus diversifiée, foisonnante, inventive, que ne le résume les 2 critiques cités. Il suffit de regarder la diversité des films français primés dernièrement dans les plus grands festivals du monde : Titane, film de genre, Palme d’or en 2021 - Saint-Omer, film de procès intimiste doublement primé à Venise – Sur l’Adamant, documentaire, Ours d’or Berlinale 2023 – et dernièrement Anatomie d’une chute, film aux nombreuses thématiques, palme d’Or 2023. Nous pourrions au besoin citer Les 3 Mousquetaires, Mon Crime, Je verrai toujours vos visages, Vincent doit mourir, Linda veut du Poulet !, Chien de la casse,… Autant de films, de thèmes différents. Le cinéma est un art du prototype, vouloir l’uniformiser c’est vouloir le réduire à un produit commercial.
SCA : Richard Brody est un grand « passeur », en particulier du cinéma français. Vu l’ensemble des critiques argumentées et enthousiastes qu’il a publiées ces dernières années, il me semble important de ne pas réduire sa pensée à cet article. Il a souligné, à l’occasion de la parution du documentaire de Claire Simon, Le Concours, en 2016, que l’Académie crée le risque de l’académisme. C’est le souci constant de tous les pédagogues, en particulier en matière d’art : comment éduquer sans formater ? Est-ce que la liberté s’enseigne – à cela les démocraties répondent oui, bien sûr, mais ensuite, la question est : comment ? Apprendre à inventer, c’est un grand paradoxe.
Mais pouvons-nous vraiment parler d’une uniformisation du cinéma français quand la même année (prenons 2022) sortent Saint Omer, Novembre, En corps, L’innocent, Coupez et La Nuit du 12 ?
Le cinéma évolue beaucoup, en fait, mais peut-être dans de nombreux sens différents. L’époque est à l’hybridation, ce n’est pas aussi lisible qu’à l’époque des courants artistiques identifiés, avec des dénominations, comme la nouvelle vague, le nouveau roman, support-surface, le glam-rock…
La raison pour laquelle les critiques, dont Richard Brody, les auteurs, et tous ceux qui créent collectivement le cinéma, sont si passionnés par leurs métiers, c’est que ce que l’on a inventé au XXè siècle avec le cinéma, c’est un Art. Il ne faudrait pas que cette ambition-là se perde en chemin. Alors oui, bien sûr, la recherche esthétique, la lumière, le son, le montage, font entièrement partie de cette ambition !
Au niveau interprofessionnel, il faut poser la question de l’audace formelle, de son financement, de sa diffusion et de sa promotion. Encore une question intéressante à débattre collectivement, avec des projections réalistes.
AFSI : Enfin, on a assez peu entendu parlé du désir des spectateurs, pourtant essentiel dans l’économie de l’offre du cinéma. Or de nombreuses études, dont visiblement on n’a pas voulu tenir compte (6), montrent que les amateurs de culture - théâtre, exposition, littérature et cinéma d’auteur - vieillissent et ne sont pas remplacés. Comment donner envie aux jeunes de prendre le relai de leurs parents dans les salles d’art et d’essais ?
AFCAE : Les jeunes reviennent en salles ! Quelques chiffres valent mieux qu’un long discours : en 2022, près de 20% des entrées étaient faites par des jeunes, les 15-25 ans étant la deuxième catégorie après les 60 et plus à aller au cinéma et, pour parler plus spécifiquement de l’Art et Essai, cette catégorie représente près de 11% des entrées réalisées sur les films recommandés. A l’AFCAE, nous avons mis en place le Comité 15-25 qui identifie et accompagne les films qui peuvent susciter un intérêt pour les publics 15-25 ans. Nous mettons à disposition de nos adhérents des outils et des actions qui leur permettent de valoriser ces films auprès de leurs jeunes spectateurs. Et ça fonctionne !
SCA : Les jeunes aiment le cinéma français quand ils le rencontrent ; mais nous n’avons pas la puissance de feu promotionnelle et marketing des grosses machines américaines.
Pour encourager la diversité culturelle et la cinéphilie, la découverte de films différents, il ne faut rien lâcher sur tous les dispositifs d’accompagnement et de découverte, dès le plus jeune âge. L’éducation à l’image est fondamentale dans un monde bombardé d’images ! Ces réseaux ne bénéficient pas d’un effet de nouveauté, on ne peut pas faire des annonces sur les programmes d’accompagnement qui existent, mais cela marche et on le sait très bien.
Par rapport aux lieux culturels que sont les musées, les théâtres ou les opéras, les salles de cinéma sont plus proches, mieux réparties sur le territoire et moins intimidantes. Le cinéma est un art populaire et à notre sens, il faut faire en sorte qu’il le reste ; et donc examiner tous les moyens qui permettent de fidéliser les publics jeunes, de les entrainer vers des propositions diverses. Là encore le dialogue interprofessionnel est fondamental, pour échanger sur ce qui fonctionne. On se demande par exemple, ce que l’on peut apprendre et améliorer grâce au Passculture, dont nous aimerions connaître plus en détail les effets sur le cinéma.
AFSI : Pour finir, l’expression « cinéma en crise » ne va-t-elle pas devenir un pléonasme ? Est-ce qu’au fond le cinéma n’a-t-il pas toujours su se sortir des crises à répétition ?
AFCAE : A sa naissance, le cinéma était déjà en crise et, à chaque évolution sociétale ou technologique, on lui revêt de nouveau cette expression. Le cinéma reste le loisir préféré et le plus accessible des français, nous travaillons au quotidien pour valoriser nos établissements et les films que l’on aime et nous sommes convaincu.es que notre art a encore de belles décennies devant lui.
SCA : En effet, les historiens du cinéma relèvent que le secteur a su se relever de plusieurs grandes crises, à commencer par celle de l’après-guerre, avec la création du CNC. Ce n’est pas un secteur figé, il est très sensible aux évolutions technologiques, par exemple. Mais la France aussi est en crise, depuis aussi longtemps que je me souvienne. Est-ce que cela ne veut pas simplement dire que le cinéma est toujours en prise avec son époque ? Tout aussi régulièrement, nous savons nous féliciter de nos films, constater que la France demeure un grand pays de cinéma… En ce qui est certainement lié à notre capacité collective à traiter ces crises, ainsi qu’à la persévérance et à la passion de ceux qui le font.
Interviews réalisées par écrit entre juin et aout 2023.
- « La fréquentation cinématographique au mois de juillet 2023 […] atteint 18,38 millions d’entrées, soit une hausse par rapport à juillet 2022 (+33,3%) mais aussi par rapport à la moyenne 2017-2019 (+10,1%). » Ecran Total, 2 aout 2023.
- Appel à des états généraux du cinéma CR de l'AFSI présente à la journée du 6 octobre 2022.
- « Netflix est devenu un des principaux producteurs du cinéma d'auteur dans le monde », estime le patron de la Mostra. Les Echos, 8 septembre 2022, interview d’Alberto Barbera par Pierre de Gasquet
- « Le cinéma français se meurt selon le New Yorker », par Thomas Romanacce, Le Figaro, 17 mars 2017.
- « Les frondeurs du cinéma d’auteur ne se demandent pas si leurs films font partie du problème » par Michel Guerrin, Le Monde, 7 octobre 2022.
- « La thèse du ruissellement, selon laquelle plus l’offre culturelle sera riche, plus elle sera partagée par tous est illusoire » par Michel Guerin, Le Monde, 26 octobre 2018
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