Grégoire Chauvot, enregistrements pour la "Forest Atmos" de HAL.
Hal sort une nouvelle banque de sons enregistré par Grégoire Chauvot et Mélia Roger. C'est une occasion de parler avec Grégoire non seulement de l'exercice en soi du "field recordings" mais aussi de l'arbre ATMOS développé par HAL.
EK: C’est un projet en soi l’enregistrement de sons en nature ?
GC : De manière générale, Mélia et moi passons beaucoup de temps à arpenter divers milieux dis “naturels” en essayant de capter ce qui en fait leur essence sonore, et cela, pas tant avec une démarche audiovisuelle que naturaliste. Ainsi depuis quelques années nous nous intéressons particulièrement aux sons du vivant et tâchons de retrouver un lien avec ces milieux que la vie citadine tend à nous faire oublier. Cela passe par des sorties sans micro, seulement avec les jumelles et le « guide ornitho », avec des associations ou simplement entre nous. Une fois que nous avons ouvert cette porte de curiosité sur le vivant, on se rend compte que l’on ne connaît qu’une infime partie de tout ce qu’il est possible de savoir, et passons de plus en plus de temps à apprendre (et réapprendre) des choses sur les chants d’oiseaux, les traces ou l’éthologie en général.
Lorsqu’il a été question que les “Forêts” soient le thème de cette nouvelle sonothèque, nous avions donc à cœur de leur faire honneur, sachant de fait que notre exigence vis à vis de ces sujets rendrait le projet ambitieux.
Le terme “Forêt” implique tout un tas de forêts différentes : résineuses, feuillues ou mixtes, dont les caractéristiques (notamment sonores) varient en fonction des saisons, de la météo, de l’altitude ou de la latitude. Il faut ajouter à cela qu’au cinéma on aime séparer les éléments, ce qui implique de trouver des lieux assez « ouverts » pour ne pas avoir de premiers plans trop prononcés, garder des ponctuels diffus et sentir quelque chose de large. Nous avons passé beaucoup de temps à regarder les cartes de trafic aérien et routier, afin de définir des secteurs forestiers qui pourraient être « préservés » de la pollution sonore. Il faut savoir qu’en France c’est très compliqué (si ce n’est impossible) de trouver encore des lieux où la présence de l’humain ne s’entend pas. En fonction de la topographie, même si nous sommes dans un lieu sans anthropophonie, il suffit qu’une colline emporte avec elle une résonance d’un distant moteur pour que cela parvienne aux membranes des microphones. Depuis 2021, au cours de différentes sessions, nous avons donc arpenté la France (en train et voiture), des Vosges à la Corrèze, en passant par le Morvan, pour tenter d’enregistrer une sonothèque la plus complète possible, tout en sachant qu’il était impossible d’être tout à fait exhaustif !
Sur le terrain puis en post-production avec Rodrigo Sacic, nous avons pris le temps d’identifier toutes les espèces animales présentes dans les sons et nous sommes efforcés de décrire au mieux les différents biotopes, afin qu'il soit possible de respecter la cohérence spatiale et saisonnière des lieux.
Mais comment vous cherchez des lieux et, surtout, comment vous les trouvez, ou plutôt comment décrirais tu les qualités d’un lieu qui mérite l’enregistrement?
Comme dit précédemment, après avoir défini des secteurs potentiellement propices, on se réfère beaucoup aux cartes pour trouver des endroits qui sur le papier semblent proposer de beaux massifs forestiers, loin des nuisances possibles. On vise essentiellement les forêts publiques (domaniales) dont la gestion offre une meilleure biodiversité que les forêts industrielles de culture de bois, en prenant en compte l’accessibilité. Ensuite il faut se rendre sur place et espérer que nos intuitions aient été bonnes. Parfois c’est le cas, parfois non, et c’est à la sortie d’un village dans un bois minuscule ou entre deux coupes rases que l’on trouve le son de feuilles « parfait » que l’on cherchait pour la sonothèque. Le fait de vouloir tout séparer au cinéma nous amène en effet à trouver notre bonheur dans des lieux contre-intuitifs. Le beau fond de forêt grave et neutre par lequel on peut vouloir commencer une séquence de forêt sera plus facile à trouver dans les larges allées de monoculture de Pins Douglas que dans une vieille Hêtraie pleine de vie. Finalement, un lieu forestier mérite assez souvent d’être enregistré, pourvu qu’il n’y ait pas de nuisance anthropique audible et que l’on puisse bien y détailler les sujets : Un beau vent équilibré dans l’espace et sans oiseaux, de beaux oiseaux sans vent ni insectes etc. Et parfois on laisse aussi parler notre fibre audio-naturaliste en s’autorisant à enregistrer des paysages très composés, qui méritent tout autant leurs quart d’heure de gloire et se mettent en place avec beaucoup de naturel.
Pour limiter les déconvenues, on essaye aussi de retourner sur des lieux ayant déjà fait leur preuves ou l’objet de repérages, à des heures et saisons différentes, bien que rien ne sonne jamais deux fois de la même manière. Il suffit d’un rayon de soleil pour que tous les pilotes de bimoteurs du coin s’affolent. Que le sens du vent soit différent et la nationale située à des kilomètres devient audible.
Et pour répondre à la question de façon un peu plus naturaliste, lorsque l’on cherche un lieu à enregistrer, ce sont les traces et indices de sons potentiels que nous guettons. Nous formulons l’hypothèse qu’il puisse se passer telle ou telle chose une fois l’enregistrement lancé, en fonction des indices relevés : Une empreinte, une crotte, la trace d’un passage dans les hautes herbes, un tronc éraflé…
Les milieux non naturels sont aussi riches et narratifs que des milieux naturels (villes, sous sols avec des tuyauteries etc…) quels sont vos autres terrains d’enchantements ?
On se plait à enregistrer des ensembles complexes. Un sous sol plein de tuyaux nous intéresse plus quand on le sait rattaché au musée ou au hall de l’école qui est au-dessus. À l’image d’une forêt que l’on peut détailler, à l’orée, dans une clairière, au bord d’un ruisseau, à l’aube ou à la nuit tombée, par ses insectes, ses oiseaux et végétaux… Cela peut donc être le chantier d’un tunnelier du Grand Paris Express, les rues d’une grande ville à l’occasion d’une fête populaire, ou un musée. Des lieux offrant une certaine richesse sonore et de laquelle peut se tirer une certaine narration.
L’arbre développé par Hal consiste en quoi ? Tu peux nous décrire comment il est constitué?
L’idée de l’arbre fait suite à l’essor du son immersif et répond à la multiplication des productions demandant une livraison de mixages en Atmos.
Nous sommes partis du constat qu’en multicanal, la diffusion d’une ambiance semble toujours plus naturelle et plaisante à partir du moment où il y a autant de sources que de canaux de diffusion, et que ces sources sont corrélées.
L’arbre a donc été pensé pour un environnement Atmos natif, c’est à dire 9 canaux (7.0 plus les 2 tops) et est donc composé de 9 micros disposés de façon comparables à la position des enceintes dans une salle de cinéma. L’arbre a ensuite été conçu avant tout pour l’enregistrement de terrain et nous l’avons donc voulu le plus pratique et rapide à mettre en place possible, avec l’idée de pouvoir l’emmener aux quatre coins du territoire, sans nécessité une heure d’installation pour chaque prise de son. Nous avons alors opté pour un design qui se plie et replie comme un parapluie, similaire aux arbres de Michael Williams.
Concrètement, il est fait de tiges d’aluminiums dont les écartements restent fixes. Ces tiges sont espacées d’une quarantaine de cm chacune pour les L, C, R. Les sides et arrières forment un rectangle de 40cm par 80cm situé un mètre derrière le LCR. Les tops sont 1m au dessus, orientés vers l’avant pour « centrer l’immersion ».
Nous voulions que ces enregistrements permettent aux monteurs et monteuses son de gagner du temps sur la mise en place des ambiances pour du contenu Atmos, en pouvant simplement drag-and-drop les sons 7.0.2 sur des pistes 7.0.2. Évidemment, nous ne sommes pas partisans de l’idée qu’il faut remplir systématiquement tous ces canaux sans réfléchir, mais quand l’immersion a du sens, c’est là que ces sons sont pertinents.
Par la suite, l’arbre s’est révélé utile et convainquant dans de nombreuses situations, notamment en enregistrement de musique, en plateau sur des séquences de foules, ou encore pour l’enregistrement de réponses impulsionnelles pour recréer des acoustiques.
Quelles sont les implications pratiques d’enregistrer en 7.0.2 ?
La première implication évidente est la lourdeur du dispositif. Même si le système est assez léger et ergonomique par rapport au nombre de canaux enregistrés, il pèse tout de même un certain poids et représente un certain encombrement. Il faut aussi un enregistreur disposant d’assez de canaux et préamplis (Sound Devices Scorpio dans notre cas), ce qui ajoute à la charge totale du système.
Ensuite, l’approche de l’enregistrement est un peu différente de lorsque l’on opère avec une simple mono ou stéréo. Dans ce second cas, on peut assez rapidement multiplier les points d’écoute dans un lieu donné en détaillant plus au moins les sujets : Gros plan, plan moyen, Off, désaxé etc. Avec l’arbre, faire des gros plans, multiplier les prises en variant les axes à quelques mètres près ou en se retournant n’est pas possible. La captation étant large et à 360°, toutes ces variations auraient finalement tendance à sonner pareil. Après un enregistrement, il faut donc beaucoup s’éloigner si l’on veut enregistrer quelque chose de réellement différent.
Ainsi, chaque enregistrement se déclenche après avoir plus ou moins longuement cherché la bonne place, afin de proposer un son équilibré et cinématographique, dans le sens où l’on choisit un emplacement depuis lequel l’essentiel des évènements nous arrive de l’avant, laissant aux surrounds le diffus et les réflexions. Nous n’avons d’ailleurs pas moyen d’écouter sur place ce que le 7.0.2 va rendre, nous écoutons donc successivement chacune des paires stéréos du dispositif pour s’assurer que l’on enregistre quelque chose de cohérent et équilibré.
Il nous arrive également de rajouter un autre LCR pour aller préciser un élément du paysage sonore, offrant ainsi la possibilité de moduler ce dernier au gré de la narration mise en place lors de l’étape de montage son.
Du coup, c’est votre écoute humaine qui imagine ce que va donner l’enregistrement réécouté en audi? Quelles différences entre la nature et l’auditorium ?
Il est difficile de comparer précisément les deux dans la mesure où il peut se passer plusieurs semaines entre un enregistrement et la réécoute en auditorium. Comme pour toute prise de son, le souvenir du moment semble toujours plus pur que ce que l’on a à réécouter. Mais pour ce qui est du système en lui même, c’est le rendu spatial qui est le plus dur à appréhender et qui est toujours une surprise en auditorium, dans le bon sens comme dans le mauvais. L’arbre rend très bien dans les grands espaces et les belles acoustiques, mais il a tendance à grossir ce qui est petit et confiné. Il nous arrive d’enregistrer des sons que l’on imagine très enveloppants, et finalement il ne se passe pas grand chose d’intéressant dans les surrounds. Nous essayons donc de passer régulièrement en studio Atmos afin d’écouter le rendu et confronter cette écoute avec celle que nous avions sur le terrain, oreilles nues ou au casque. C’est comme s’il fallait ré-apprendre à se servir d’un outil, sans pouvoir vraiment écouter la manière dont il enregistre sur le moment. Ces allers-retours sont donc primordiaux pour que nous puissions anticiper les points d’écoutes et les rendus de nos enregistrements de terrain. Les écoutes nous ont notamment poussé à enregistrer de façon un peu plus frontale, et à ne pas se mettre complètement au milieu des actions (dans la logique où nous enregistrons pour de l’image et un écran auquel on fait face).
L’Ircam a travaillé sur le son immersif avec un soft qui travail an Ambisonic, le SPAT, qui peut donc utiliser des micros comme le Eigenmike. Avec vos enregistrements, il y a même la possibilité d’utiliser la sonothèque en Ambisonic, quel intérêt de matricer plutôt que d’utiliser les pistes telles quelles?
L’arbre a été pensé pour un usage essentiellement cinématographique, c’est à dire avec une façade et des surrounds. Pour autant, le son immersif se développe dans de nombreux autres domaines, que ce soit en VR avec le binaural ou dans des installations sonores utilisant un grand nombre d’enceintes avec des dispositions diverses et variées. Lors de la sortie de la sonothèque, nous avons décidé avec Rodrigo Sacic et Antoine Martin, d’exporter une version ambisonique d’ordre 2 afin de s’adresser à un public en dehors du cinéma. L’ambisonique permet alors de dériver les enregistrements fais avec l’arbre dans tout un tas d’autres formats et de ne plus penser les sons dans une logique « devant / derrière ». Il est bien sûr tout à fait possible de sortir ce format là avec les sons 7.0.2, en les convertissant dans son propre DAW.
Pour un usage cinéma il n’y a donc pas vraiment d’intérêt à utiliser cette version, d’autant que ces sons 7.0.2 font aussi de très bon LCR, Quad, 5.0 ou 7.0 et qu’avec un bon panner comme Move-it (le dernier plugin de HAL) on peut les arranger dans l’espace comme on le souhaite.
En revanche dès que l’on sort de ce cadre rigide qu’est la diffusion cinéma, partir de l’ambisonique pour aller vers un dispositif de diffusion particulier peut se révéler intéressant.
Il y a d’autres projets en cours ?
D’autres sonothèques sont dans les tuyaux, qu’elles en soient à l’état de projet ou en post-production, il reste une multitude de sujet à couvrir avec ce format !
L’arbre à également commencé sa vie sur les plateaux. Il a en effet été mis à contribution sur une grande partie des scènes de figuration du film Monsieur Aznavour. En parallèle du tournage quand cela était possible, ou au moment des sons seuls, en plus du dispositif de Thomas Lascar, le chef opérateur son du film. À la base, nous pensions couvrir uniquement les plus grosses séquences de concert, enregistrer un peu plus et espérer avoir de la matière utilisable pour les autres séquences du film. Au final, nous avons pu utiliser l’arbre sur pratiquement toutes les grosses séquences de figuration, intérieur comme extérieur, ce qui nous a permis de construire une palette d’ambiances extrêmement riche et adaptée aux différentes scènes.
Ces sons ont alors servi de base pour la majorité des séquences de figuration et ont permis de rendre avec beaucoup de naturel l’énergie et la masse de ces foules.
Nous espérons donc pouvoir continuer à rejoindre ce genre de projets à l’avenir.
Enfin, l’arbre continue sa carrière musicale après avoir déjà été utilisé sur un certain nombre de captations de concerts, d’enregistrements de musiques de films ou encore pour tout un tas de musiques relatives au Jeux Olympiques de Paris.
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