Rencontre avec Patrice Grisolet, monteur son
Monteur son incontournable, Patrice Grisolet a travaillé sur des films emblématiques, dont le son a été récompensé, comme ceux de Luc Besson ou de Régis Wargnier. Egalement récompensé par la MPSE (la guilde des monteurs sons américains) d'une Golden Reel, Patrice est revenu sur sa riche carrière dans cet entretien conduit par Pascal Villard et Aloyse Launay.
Formation initiale
Patrice : Après des études secondaires en grande banlieue parisienne interrompues en fin de classe de seconde littéraire, j'ai consacré les quelques années suivantes à des activités très éloignées du cinéma. Puis en 1975-1976, j'ai fait le Conservatoire Libre du Cinéma Français (CLCF) en section Montage. Ensuite, j'ai entamé le circuit classique avec un stage laboratoire chez CTM à Gennevilliers puis des stages et assistanats en montage image.
Pascal : On peut donc dire que tu viens du montage image.
Patrice : À l’époque, tous les monteurs son venaient du montage image. J'ai alterné des assistanats sur des longs métrage 35 mm d’une part, et d’autre part, assistant puis monteur de documentaires sociaux ou historiques en 16 mm pour Pathé diffusés sur Antenne 2 (l'ancêtre de France 2). J'y ai découvert l’énorme intérêt du montage en documentaire, en particulier l’organisation des informations images et sonores. En fiction, j'ai eu la chance de travailler pour Yann Dedet, Hervé Deluze et Martine Giordano sur des longs métrages. Mon premier film comme assistant monteur, c'était « Passe ton bac d'abord » de Maurice Pialat avec Martine Giordano. T'imagines, Pialat, pour moi, c'était une légende. J'ai travaillé comme assistant sur ses deux films suivants et aussi sur « Je vous aime » de Claude Berri comme assistant d'Hervé Deluze qui montait les sons.
Arrivée au montage son
Patrice : Du temps du son mono, le travail d’assistant monteur long métrage consistait aussi à trouver en sonothèque les quelques sons indispensables à la compréhension de certaines situations ou à préciser l’heure de l’action. Un bon assistant se devait de savoir où trouver le son d’une chouette, d’une jolie mouette et aussi de quelques klaxons, des vents, des cloches et la fameuse mobylette. Il y avait très peu de monteurs son. Maurice Laumain a été l'un des plus importants, véritable créateur sonore à qui l’on doit la bande son d’une multitude de films dont les derniers films de Jacques Tati et Jean-Pierre Melville.
La situation a changé assez brusquement à l’avènement de la stéréophonie dans les salles de cinéma, la stéréo étant plus gourmande en sons que la défunte monophonie. Certains ex-assistants monteur, dont je faisais partie, se sont intéressés au montage son et sont venus grossir les rangs de la bonne dizaine de monteurs son existants (Jean Goudier, Nadine Muse, Gérard Hardy, Jean Gargonne, etc.).
Grâce à ce savoir appris au montage image, quand on est passé au montage son, on savait pourquoi on travaillait. On avait été formé... rythmiquement. On savait ce qu'il fallait fournir à l'image pour améliorer le rythme, la narration. Quand tu abordes le montage, tu abordes le rythme. Au fur et à mesure que l'image se met en place, tu vois les endroits où tu pourrais faire quelque chose... disparaître petit-à-petit (rires). Non, tout ça pour dire qu'en venant du montage, on était formé à monter du son à l'image. C'est l'image qui était notre guide.
Pascal : Aujourd'hui, la majorité des monteurs et monteuses son viennent de la filière son. Leur culture de base est le son et pas forcément l'image.
Patrice : Ça a changé avec ta génération où beaucoup de gens qui ont commencé à faire du montage son - ce n'est pas ton cas - sont arrivés par le son sans être passé par le montage image. Les relations avec les monteurs.euses image n'ont plus été les mêmes, et ceux-ci ont beaucoup bloqué l'avènement de cette génération. Il n'y avait plus de communication. On entendait des commentaires qui critiquaient la venue de ces gens qui n'avaient pas de relation à l'image. En fait, ils ne parlaient pas le même langage. Et ça ne s'est pas arrangé.
Pascal : Pendant longtemps, le montage son était fait par le ou la monteur.euse image, ou bien sous sa supervision par un ou une assistant.e. À partir du moment où il y a eu des monteurs.euses son professionnel.les capables de réaliser des choses qu'eux-même ne savaient pas faire, il y a quelque chose qui leur a échappé et qu'ils ont mal vécu. C'est un truc de pouvoir, un sentiment de dépossession. Ça a été la même réaction quand le montage paroles est passé de l'équipe montage image à l'équipe montage son.
Patrice : Au début, le montage son étant passé au virtuel avant le montage image, les monteurs.euses image traditionnels.les ont trouvé ça bien parce que ça les dépassait un peu et qu'il y avait des volontaires. Super. Mais au bout d'un moment, ils se sont aperçus qu'eux-même ou leurs assistant.es avaient moins de travail, qu'ils ne maîtrisaient pas ces nouvelles technologies et il y a eu de la rancœur. D'autant, qu'avec cette nouvelle génération qui venait du son, il y a eu cette rupture complète de communication. À l'image, ils étaient convaincus que les monteurs.euses son n'avaient plus aucun intérêt pour leur travail. Ils avaient l'impression qu'on s'emparait de leur matériau et qu'on en faisait ce que l'on voulait
Aloyse : Ils n'ont pas vu ça comme un passage de témoin...
Patrice : Non. Ils ont eu très peur. Avant, en post-production, le seul interlocuteur du réalisateur ou de la réalisatrice, c'était le monteur ou la monteuse image. Il ou elle distribuait l'information, les demandes de la réalisation à tel ou tel département. Avec l'arrivée du montage son puis des effets spéciaux, ça a changé. Le réalisateur.rice a commencé à avoir plusieurs interlocuteurs directs pendant la post-production. En fait, ça a commencé dans les années 80, avant même l'arrivée du virtuel. Certaines contraintes financières sont apparues en post-production et le temps de travail consacré au montage image s’est un peu raccourci, ou accéléré. Les monteurs son ont dû travailler parallèlement au montage image comme on le fait encore actuellement, en fonction d’un rétro-planning. Un nouveau métier s’imposait.
Salle de montage de Patrice Grisolet pour Le grand bleu (Luc Besson, 1988)
Configuration de ma salle de montage « traditionnelle », avant l’utilisation des Digital Audio Workstation (station de montage audio numérique) :
- Un magnétophone Revox pour l’écoute des bandes lisses 6,25 (les rushes)
- Un lecteur de cassettes DAT dès que ce média est apparu
- Une écoute bien sûr et une petite console dédiée au monitoring
- Une presse, du scotch, des gants blanc, des crayons gras
Patrice Grisolet dans sa salle de montage
La construction de la bande son
Patrice : Ma méthode, mon organisation vient de l'analogique. Le montage son sur bandes impliquait la nécessité d’ENTENDRE le film avant d’en commencer le montage son.
La recherche sonore en sonothèque obligeait déjà à formuler précisément sa demande. La complicité avec la personne chargée de la recherche sonore était un atout majeur. Marie Guesnier avec ses propositions pertinentes avançait considérablement le travail.
J'écoutais et choisissais les sons en sonothèque. Après écoute et analyse, chaque son était minuté, décrit de manière très complète et détaillée sur un cahier (véritable mémoire du travail). Les sons n’existaient qu’à la sonothèque. Tant qu'ils n'étaient pas repiqués en 35 mm, ils n'étaient pas disponibles dans la salle. Ce travail préalable était indispensable si un retour en arrière était nécessaire. Cette méthode, réflexion, préparation poussée, est restée une habitude de travail avec l’utilisation des stations audio numérique.
Les contraintes du montage son sur bandes : les repiquages étaient limités (en raison du coût), on devait anticiper (en raison des délais de repiquage). Le nombre d'éléments que l'on pouvait écouter en même temps sur une table de montage était très limité : 3 sons mono ou stéréo en raison des 3 têtes sonores. Une mémorisation très importante des éléments montés et de leur complémentarité (attaque, corps, rythme, fréquences, etc.) était nécessaire. Une concentration absolue, une organisation performante indispensable étaient requises... et une grosse fatigue en était le tribut.
Aloyse : Vous avez tous des gants blancs sur la photo...
Patrice : On avait tous des gants. Il ne fallait pas abîmer l'image du film ou laisser des traces de doigts qu'on aurait vu en projection. On partageait la copie travail avec le montage image du film. Tant que le montage n'était pas fini, c'était la seule copie. Il ne fallait pas la rayer ou l'abîmer. On en prenait grand soin.
Pascal : Tu avais, tu as, une méthode pour aborder un film ?
Patrice : Si je suis contacté avant le tournage, je lis le scénario. J'appelle le chef opérateur du son tournage et la production pour une préparation performante. Si le contact se fait après le tournage, j’attend la première projection de montage. Je me documente en fonction du sujet, de l’époque, de l'univers du film, etc.
Ensuite je vois le film. Plusieurs visions sont nécessaires. La première est la plus importante. Il en ressort les premières sensations, émotions. Je prends des notes précieuses et fondamentales pour la suite du travail. Il faut avoir un œil de spectateur. Conserver cet œil de spectateur jusqu’à la fin. Se poser les bonnes questions : que raconte la séquence ? Y a-t-il besoin d’informations sonores supplémentaires ? Si oui, lesquelles ?
Éliminer toute complaisance du son pour le son. Le film n’est pas une bande démo du savoir faire du technicien. Si possible, avant de commencer, j'écoute tous les rushes. Je fais un descriptif, je prends des notes pour mémoriser, ne plus avoir à revenir en arrière. Je recherche les sons utiles contenus dans les rushes. J’extrais les sons seuls « tournage ».
Ensuite, je fais la liste des sons nécessaires au film : sons à enregistrer, recherche sonore à faire en sonothèque ou auprès des amis. Si certains sons « n'existent pas » dans les rushes ou en sonothèque, il faut demander un budget et les autorisations pour les enregistrer. Dans ce cas, il y a un travail commun avec le réalisateur pour scénariser la foule par exemple et préparer le document nécessaire à l’enregistrement, idem pour une scène de cascade auto à reconstituer si la séquence est très découpée.
Il faut regarder le film avec le réalisateur.rice, pour connaître ses demandes, formuler les siennes. Il faut aussi connaître les intentions sonores du monteur.euse image, il.elle est la mémoire du film, c'est celui.celle qui passe le plus de temps avec le réalisateur.rice. Ses informations, ses réflexions sont précieuses.
Quand c'est possible, j'essaye de savoir qui sera le compositeur de la musique, quel genre musical, quel genre de composition, quels seront les instruments prévus, quels seront les moments accompagnés par la musique. Nous recevons rarement des maquettes musique pendant le montage son. Notre travail peut très vite disparaître sous les fréquences musicales qui masquent le montage son.
Pascal : Tu commences par quoi ?
Patrice : En général j’essaie de faire d’abord le travail le plus difficile. La priorité sera de fournir au montage les éléments sonores nécessaires au montage de certaines séquences. Avec un passé de montage analogique, je monte peu de sons. Si 150 pistes voire beaucoup plus sont disponibles, il n'y a nul besoin de les utiliser toutes. Dans le passé du montage sur bandes perforées, la limitation des éléments composants la bande son imposait au monteur son d’aller à l’essentiel et souvent, très souvent, c’était suffisant. Aujourd’hui je trouve qu’il y a une surenchère sonore, qui distrait plutôt qu’elle n'enrichit le film et cet apport hyperréaliste sonore n’est pas toujours le bienvenu. J'ai beaucoup d’intérêt personnel pour le choix et le montage des ambiances. Elles donnent de la profondeur et du relief à l’image, une tonalité importante au décor. Je débute souvent mon travail par le choix des ambiances et leur montage.
J’ai souvent sous-traité les effets musicaux, confiés à des gens maîtrisant des logiciels ou des machines appropriées, la Kyma par exemple. On peut facilement se perdre dans la première mouture de ces effets. N’étant pas présent dans cette première fabrication, je bénéficiais du recul nécessaire pour juger du résultat monté à l'image et améliorer la suite.
Au fur et à mesure de l’avancement du montage son, j’invite le réalisateur à venir écouter et réagir.
Avant le bruitage je fais la liste des demandes particulières. Je fais un mélange provisoire du montage son pour l'enregistrement des bruitages. Cela permet au bruiteur.euse de savoir ce qu'il y a déjà et ce qu'il y a besoin de compléter en détail ou dans le spectre sonore.
Utiliser des sonothèques ou enregistrer ses propres sons ?
Patrice : Pour moi ce n’est pas l’un ou l’autre. Avec ses propres ambiances, le problème est qu’on peut avoir tendance à les trouver meilleures, donc d’être trop partial dans ses choix.
Pascal : Et les sonothèques ?
Patrice : Une génération a scié la branche sur laquelle elle était assise en refusant de réclamer aux productions un budget sonothèque, une pratique courante jusque-là.
Pascal : Il y a aussi que jusqu'aux années 2000, ce n'était pas discuté par les productions, c'était « normal ». Du temps du montage « traditionnel », il fallait repiquer le son sur bande 35 mm pour pouvoir le monter à l'image. Ce repiquage se faisait au même endroit que les sonothèques. La sonothèque n'était qu'une ligne dans une (grosse) facture à laquelle les productions ne pouvait pas échapper. En plus, les sons originaux étaient conservés dans ces lieux de repiquage, ce n'étaient pas les monteurs sons qui « gardaient les bandes ».
Patrice : Tout a changé avec l'arrivée du virtuel et la numérisation du son : plus de repiquage, possibilité pour le monteur.euse son d'archiver les sons d'abord sur DAT puis sur divers supports informatiques. Les productions n'ont plus voulu payer pour les sons et beaucoup de monteurs.euses son ont baissé les bras.
Pascal : Sans parler de l'offre croissante de sonothèques commerciales d'abord en CD puis en ligne.
Patrice : Résultat : les sonothèques professionnelles (DCA, Copra, Audio 24-25, etc.) ont totalement disparu. Il n'y a plus aucun budget pour les sons quels qu’ils soient. Il y a un piratage systématique des sonothèques personnelles existantes.
Pascal : Personnellement, je me bats toujours pour avoir un budget sonothèque, ne serait-ce que pour que ça ne me coûte pas d'argent... Aucune production n'aurait l'idée de demander à un chef op' ou à un monteur de venir avec ses images !
Patrice : Enregistrer des sons spécifiques du film devrait revenir au chef opérateur du son du tournage mais souvent ces prises de son doivent se faire quand les séquences concernées sont montées. Souvent, le chef opérateur du son n’est plus disponible. Le monteur son, mieux que quiconque connaît l’image par cœur, son tempo, sa respiration. Il a aussi une idée très précise des besoins sonores et du résultat souhaité. Malheureusement, l’organisation d'enregistrements complémentaires est souvent une grosse perte de temps. Après le tournage, il n'y a pas de régisseur, il y a des problèmes d’autorisations. On est souvent lâché par les productions qui n’en voient pas l’intérêt. Ces sessions ne sont possibles que si elles sont défendues par le réalisateur/réalisatrice auprès de la production.
Pascal : Quand je suis engagé avant le tournage, j'essaye de faire les enregistrements complémentaires pendant ou à côté du tournage pour bénéficier de la logistique et parce qu'une personne ou deux supplémentaires sur une équipe de cent vingt personnes, c'est que dalle... Alors qu'après le tournage, il faut tout « réorganiser », logistique, location de véhicules ou de figurants, autorisations, tout ça « juste pour du son », ça passe moins bien auprès des productions. Mais quand il n'y a pas le choix, il faut être pédagogue, rester calme et convaincre. Il y a des sons qu'on ne peut pas « inventer ». Mais c'est beaucoup d'énergie et de temps qui est souvent pris sur le montage son.
Un passage (précoce) au virtuel : de la Screensound à Pro Tools
Patrice : Il y a eu une vie avant Pro Tools. Je suis très heureux d’avoir vécu cette transition technologique, très heureux d’avoir appris et pratiqué le montage son dans la période analogique et d'avoir bénéficié de cette expérience avant de passer au numérique. Le passage au numérique a été une grande aventure.
En fait, la synchro a été la première mutation technologique du son, avant le passage au numérique. Quand il fallait synchroniser du son en 35 mm avec des images 35 mm, tout allait bien. Mais quand il a fallu synchroniser les enregistreurs au format DASH, les 33-24 Sony – ça valait le prix d'une Porsche - avec l'image 35 mm, ça été plus compliqué. Au début, rien n'était synchrone, sans parler des problèmes de direct/retour (le son, en entrée avant enregistrement dans l'enregistreur / le son « enregistré », en retour de bande). Ça été une période traumatisante pour les monteur.euse image. Une fois, tu voyais synchrone, les trois fois d'après, c'était pas synchrone. Tu ne savais pas ce qui était enregistré. Synchrone, ou pas synchrone ? La marge d'erreur était dans les interfaces de synchro.
Pascal : Sans compter que ces premières machines fonctionnaient toutes avec un time-code à 25 images/seconde alors que l'image analogique défilait à 24 images/seconde. En cas de changement d'image et donc de conformation pendant le mixage, la synchro pouvait devenir un poil « flottante » (une demi-image, voire plus si cumul d'opérations) et un vrai casse-tête pour l'équipe.
Patrice : Ça été la première rencontre entre le royaume de l'analogique et celui du numérique. Le tournant du numérique a été rude pour certaines professions. Sur le tournage, les chefs opérateurs du son ont été obligés par les productions d’enregistrer le direct sur un support numérique, d'abord le D.A.T. (Digital Audio Tape), machine grand public aux nombreux défauts avant de passer au Deva ou au Cantar qui sont des machines professionnelles. De même, les monteurs.euses images n'avaient souvent pas le choix des premières stations de montage numériques (Lightworks entre autres). Les monteurs.euses son ont eu plus de chance. Aucune production ne nous a obligé à changer de technologie. Chaque monteur.euse a décidé de quand se passerait cette mutation et est resté (le plus souvent) libre du choix du système utilisé.
Avec la ScreenSound de SSL, j’ai rencontré non pas une machine en tant que telle mais une façon de faire. L’OS (Operating System) de ScreenSound était très proche de mes repères et de ma gestuelle sur bande, simple et redoutable d’efficacité. Il avait la simplicité des machines dédiées.
Quantel avait développé en 1981 la station PAINTBOX pour les trucages images qui avait remporté un grand succès en vidéo et en TV. Le Système HARRY suivit en 1985 (composition d’effets), HENRY en 92 et de nombreux autres ensuite. Solid State Logic faisait partie du même groupe, Carlton Communications. SSL a repris la plateforme de Harry mais l’a adapté au son. Cette station était installée depuis peu chez Copra.
Au cours des rendez-vous pour des recherches en sonothèques chez Copra, Frédéric Attal, alors technicien à l’année, m’a fait découvrir cette station en version 2. L’analogie dans la façon de l’utiliser et mon travail sur la bande était troublante. Il ne me restait plus qu’à guetter une opportunité pour enfin l’utiliser. C’est Luc Besson qui m’en a donné la possibilité. Mais un flash back s’impose.
Pour la post-production de Nikita (1990), Luc Besson nous avait chargé, bien avant le tournage, de dresser un bilan de ce qui existait sur le marché comme matériels pouvant être utilisés en post-production sonore pour le film. Il était très sérieusement intéressé par la possibilité de cette post-production en numérique. IMAGE et SON.
Nous étions en 1988. Des stations audionumériques existaient déjà bien sûr et nous avons fait le tour des fabricants représentés à Paris.
Nous avons pu assister aux démonstrations des systèmes suivants : Le Synclavier de New England Digital, le DAR (Digital Audio Research), l’Audiophile de AMS, Dyaxis 1 de Studer, OPUS de Lexicon, Screen Sound de SSL (version 1), Sound Tools Sound Designer de Digidesign (2 pistes), Fairlight CMI et OGAN.
Aucun ou trop peu de ces systèmes ne disposaient d’interface pour synchroniser une table 35 mm, voire mieux un lecteur Beta. Ces communications n’étaient pas encore implémentées dans leur software (RS 422 ou Biphase). Des interfaces indépendantes n’existaient pas encore. Aucune des machines n’était disponible en location et leurs prix d’achat étaient très élevés.
Le projet d’une post-production en numérique a donc été abandonné pour Nikita mais le ton était donné pour les prochains films de Luc.
En 1990, pour le générique début d'Atlantis (1991), Luc m’a demandé de construire une histoire en suivant un canevas établi par lui, pour un générique sur fond noir d’une durée de deux minutes maximum et qui prendrait fin dans une image sous-marine. C'était une évidence pour moi et la production d’utiliser une station audionumérique pour ce travail et d’éviter de perdre du temps et de l’argent à transférer les sons choisis sur pellicule 35 mm et de monter ces sons sur une image noire, à l’aide d’une table de montage disposant de trois tête de lecture. Nous étions plus proches de la fabrication d’une pièce radiophonique. Ma proposition fut bien accueillie et j’ai pu, dès la recherche sonore terminée, commencer à copier les sons dans le disque dur et monter ce scénario. J’ai disposé de deux jours. La première mouture mixée dans ScreenSound a été proposée à Luc sur une cassette DAT. Nous avons raccourci ce scénario et les modifications furent facilitées grâce à l’audionumérique. Une nouvelle écoute, de nouvelles modifications et pour terminer, une version définitive. Ce fut une véritable révélation quant à la méthode de travail, la puissance, la souplesse que pouvait offrir cette technologie pour les longs métrages qu’on allait me proposer dans un futur proche.
À part ce générique, j’ai fait la totalité du montage son du film en analogique sur bande 35 mm.
Quelques mois plus tard arrive Indochine de Régis Wargnier (1992). Au début du film a lieu une course d’aviron sur le fleuve, alternée avec les spectateurs placés sur un pont concrétisant l’arrivée, qui suivent la course aux jumelles. Le film se déroule dans les années trente. Évidemment, le son direct des rameurs sur les « huit barrés » n’était pas exploitable. Les moteurs des bateaux « prises de vues » étaient trop importants. Il fallait donc reconstituer cette course, les ordres des barreurs, le bruit de pelles plongeant dans l’eau, le bouillon de l’effort dans l’eau etc… Là encore, la production m’a accordé la possibilité d’assembler en trois jours tous les éléments sonores constitutifs de la séquence dans la ScreenSound de chez Copra.
J’ai pu faire écouter (à l’époque c’était impossible ou excessivement coûteux, il fallait passer en auditorium) le résultat provisoire au réalisateur. Une fois validé, nous avons prémixé et transféré ce prémix sur 12 pistes 35 mm pour le mixage final du film. J’ai monté tout le reste du film en 35mm et ce fut ma dernière expérience en analogique.
Mon premier film monté en audionumérique a donc été le suivant, Les nuits fauves de Cyril Collard en 1992. Le réalisateur, en tant que musicien, connaissait l’existence des samplers. Au cours d’un dîner, bien avant le tournage, il a demandé qu’on fasse toute la post-production du film en numérique. Étaient présents Lise Beaulieu, la monteuse, Dominique Hennequin, le mixeur et moi-même. Au final, la post-production image est restée traditionnelle, en film analogique. Fred Attal a quitté définitivement la COPRA le lendemain et est devenu mon assistant sur de nombreux films. La ScreenSound a été sortie de son rack permanent chez Copra pour prendre place dans un flycase mobile. Le système SSL fut loué par la Copra à la production.
La configuration n’était écrite nulle part et nous étions en terrain vierge. Cette organisation était nouvelle pour tous, y compris pour les directeurs techniques des prestataires qui nous accueillaient habituellement. Le plus difficile était devant nous.
C’est grâce à un article et plus précisément à une photo parue dans Mix Magazine auquel j’étais abonné, que la configuration matérielle a débuté. Dans la rubrique Sound For Picture du journal on pouvait trouver un reportage sur le montage son du film de Steven Spielberg Hook (1991). Le chef monteur son, Charles L. Campbell et ses collègues posaient devant une table de montage 35 mm sur laquelle était posé un moniteur vidéo dont l’interface graphique me rappelait celle de la ScreenSound. Au-dessus se trouvait une petite boîte affichant du time code, qui avait l’air d’être un synchroniseur. J’ai contacté le monteur figurant sur la photo qui m’a très gentiment renseigné sur le matériel qu’il avait utilisé pour ce film. C’était avant Internet. Nous avons pu commander un synchroniseur JSK aux USA, un synchroniseur très simple, fiable, solide et abordable. Après l’acquisition de cet élément primordial, il restait à trouver une table de montage ou défileur pour la lecture image de la copie de travail en 35 mm ; le tout compatible avec les protocoles existant dans la SSL et les spécifications du JSK (biphase, RS422).
Pour la lecture de l’image, nous avons d’abord eu recours à un duplicata de la copie de travail et ensuite dès que cela a été possible, nous avons copié le film sur cassette beta et, couplé à un lecteur, nous écartions toute possibilité d’endommager la copie de travail.
L’important était de trouver une table qu’il était possible de commander (« esclave ») en biphase. Cette configuration existait pour visionner les rushes 35 de même plans tournés à plusieurs caméras. Des tables « Esclave » en biphase suivaient la table « Master ». Nous avons trouvé une table de marque KEM que nous avons réquisitionné pour quelques années. J’ai utilisé plus tard une table 35 mm très performante mise au point par CTM.
J’ai utilisé la ScreenSound dans sa fonction « Maître » pour le montage. ScreenSound pouvait aussi être « Esclave » (d’une autre ScreenSound par exemple par le réseau).
En fin de montage nous faisions le transfert des pistes montées vers des lecteurs numériques Sony au format Dash (deux fois 24 pistes). ScreenSound était esclave des Sony pour ces transferts via un boîtier Evertz.
Le premier film où j’ai utilisé un lecteur beta asservi est Léon de Luc Besson (1994). Cela correspondait à l’évolution technologique en cours pour le montage image, c’est à dire, plus jamais de projection de rushes, peu de mémoire de masse, compression importante (l'AVR3, qu’on surnommait VHS russe !). L'image de travail était horrible ! Il y avait une perte évidente dans la précision du travail. On ne voyait pas le regard des personnages. Le bruiteur ne voyait pas les pieds des personnages et ne distinguait pas la matière du sol.
La configuration était : 8 pistes de ScreenSound en sortie physique séparées mais 16 disponibles dans la session. Les 16 pistes de ScreenSound restaient disponibles sur la console de mixage via le patch (La console était encore analogique) s'il y avait besoin de retoucher le montage son par rapport au DASH en lecture à l’auditorium.
Pascal : On avait le même type de configuration sur le mixage de Un divan à New York de Chantal Ackerman, le premier long-métrage sur lequel j'ai travaillé en 1995. Les ambiances étaient copiées sur bandes numériques 33-24 et les effets et/ou les éléments susceptibles de modifications étaient lus directement sur les 16 pistes du Pro Tools (alors en version 3). En tant qu'assistant, je passais des soirées avec les recorders à repiquer le montage son par tranches de 16 sur les bandes des multipistes numériques.
Patrice : Tous ces « repiquages » prenaient beaucoup de temps en effet. Par la suite, la ScreenSound utilisée a rejoint son rack dans le studio chez COPRA. Michel Durande, de DCA, m’a proposé un partenariat autour de l’utilisation d’une nouvelle ScreenSound en version 3. C’est la machine que j‘ai utilisé pendant de très nombreuses années. Je disposais pour l’entièreté du montage son d’un film, de 3 disques de 2 Go et de disques Magnéto Optique de 650 Mo. Pour libérer de la place en fin de parcours nous ne gardions que les parties utiles des fichiers.
Pascal : Sur Pro Tools, on utilisait la fonction « compact » qui permettait de consolider les sons montés et faire de la place en éliminant les sons originaux. Il ne fallait pas se tromper...
Patrice : L'audio numérique a amené une nouvelle gestion du temps. Au début, il y avait beaucoup (trop ?) de temps consacré au matériel, à la connaissance et à la maîtrise de ces nouvelles technologies, aux mises à jour perpétuelles. Avec comme conséquence une réduction évidente du temps consacré au montage son. Les monteurs son et les prestataires ont choisi des systèmes différents. Le DD 1500 Akaï a rencontré un grand succès. La moins chère du marché, c'était une machine dédiée facile à aborder et bénéficiant surtout du biphase qui l’a conduit directement en enregistrement de post-synchro et de bruitages. Sound Tools de chez Digidesign est arrivé sur le marché puis Pro Tools après lui.
Pascal : Pro Tools existait avant le DD 1500, mais était beaucoup plus cher. De plus, ce n'était pas une machine dédiée mais un logiciel qui fonctionnait sur un ordinateur ! Tout cela faisait très peur à la plupart des monteurs.euses son qui travaillaient « sur bande ». Tu te rends compte ? Un ordinateur... Il fallait connaître l'informatique... Malgré une qualité audio discutable (des convertisseurs de m****), c'est surtout le prix qui a permis au DD 1500 de s'imposer dans un premier temps dans les salles et les auditoriums. C'était beaucoup moins cher qu'un DASH ou un Pro Tools.
Patrice : À l’époque, on passait beaucoup de temps à transférer en temps réel, l’audio en général. On n’échangeait pas de fichiers audio, ils n’étaient pas compatibles. Les supports étaient très divers, cassettes DAT, DA88, Magnéto optique, JAZ, DASH… Commercialement, le plus fort l’a emporté et Digidesign s’est imposé. J’ai longtemps résisté avec ScreenSound et je suis passé sur Pro Tools tardivement, en version 7. C’est la plateforme qui permettait de communiquer avec les milieux de la musique, de la pub, et en fait, avec le monde entier.
Station de travail du chef monteur son
Station de travail de l'assistant monteur son
L'installation à S.I.S.
Patrice : Après une quinzaine d’années à changer d’endroit à chaque film, faire des orifices « passe-câbles » dans tous les murs des pièces que nous fréquentions, à supporter les trop fréquentes mauvaises acoustiques de salles minuscules et pas du tout appropriées, sans compter le temps d’installation de ce matériel itinérant pris sur le temps de travail, j'ai reçu avec enthousiasme la proposition de Michel Barlier et Florence Abiven (SIS) de construire de toutes pièces de vraies salles dédiées au montage son. En 2001, je me suis installé à La Garennes-Colombes avec plusieurs monteurs son, Fred Attal, Philippe Heissler, Sylvain Lasseur et Stéphane Brunclair.
Salle de montage son de Patrice Grisolet à S.I.S
Ça a été 10 ans de bonheur. C'était un outil extraordinaire, un véritable outil de communication avec le réalisateur.rice et le reste de l’équipe. Le réalisateur.rice et le monteur.euse venaient parfois écouter nos maquettes et, fréquemment, ils repartaient avec des idées de coupes image. Depuis le numérique, pour l'image, on n'est plus au cinéma. Le montage image se fait sur une télé. Quelquefois il n'y a qu'une projection de travail en salle. Venir dans une salle de montage son où il y a un grand écran, où tu es immergé dans le son, fait que, d'un seul coup, l'image a son vrai rythme, sa vraie densité, et tu as envie de retoucher le montage image. Le son posé sur une copie travail accélérant le montage, les séquences ne supportent plus le moindre temps mort. Souvent, au sortir de ces sessions, la critique n'allait pas vers le son mais vers le montage image.
Pascal : C'est aussi que sortir de la salle de montage image pour aller voir son film ailleurs, dans de bonnes conditions acoustiques, en 5.1, avec une grande image, et d'autres spectateurs, c'est être obligé de regarder, quelques fois pour la première fois, son film comme un simple spectateur. Forcément, la vision change. C'est comme quand on montre notre montage son, à qui que ce soit, assistant.e, collègue, réalisateur.rice. Par la simple présence d'autrui, notre vision change. On redevient spectateur.
Patrice : C'est tellement logique. Après, il faut bien choisir ses spectateurs. Ça peut-être très déstabilisant (rires). Il n'y a pas plus subjectif que le son. Un réalisateur, il a peut-être rêvé d'un plan. S'il n'a pas été tourné, tu ne peux pas l'inventer, alors qu'au son, ce que ça t'évoque, ça ne l'évoque pas forcément à moi ou à quelqu'un d'autre. Ça peut-être très délicat.
Pascal : C'est un des trucs que je trouve intéressant dans le montage son. Contrairement à l'image, avec très peu de moyens, juste en changeant le son synchronisé avec de l'image, on peut faire varier sa lecture, le sentiment qu'elle procure voire son sens. Tout le travail est de vérifier que cette lecture va dans le sens voulu par le réalisateur.rice et que les propositions ne sont pas « à côté ». En les faisant suffisamment parler, on peut trouver une manière de faire passer au son quelque chose qu'il ou elle n'a pas réussi à faire passer à l'image.
Patrice : Il faut qu'en face, il y ait une vraie envie parce que, globalement les réalisateurs sont en attente de propositions de notre part parce qu'ils n'ont pas beaucoup d'idées. Ils sont souvent très image, accaparés par leur montage. Ils voient tout de suite si tu trahis ou enrichis la narration, si tu aides ou contraries le rythme. Pourquoi il y a du son, pourquoi il n'y en a pas, ces questions se posent hélas très tard.
Pascal : Tout dépend de quand tu as été contacté et quand tu as pu évoquer ces questions. Le ou la réalisateur.rice est rarement disponible pour cette réflexion pendant le tournage ou le montage, il.elle a trop d'autres trucs à penser. Et si cette réflexion a lieu en mixage, c'est souvent trop tard. Le mieux, quand c'est possible, c'est d'essayer d'amorcer la discussion après la lecture du scénario. Quand ils sont en prépa, ils sont beaucoup plus en attente d'idées et de propositions. Ils ne sont pas encore accaparés par la réalisation. Tout est encore possible. Si ça a déjà été posé, quand tu en reparles plus tard pendant le montage, ce n'est pas un élément nouveau et perturbateur, la réflexion a fait son chemin.
Attachement à la copie de travail
Patrice : Il y a souvent un problème avec la perception que le réalisateur.rice a de sa copie de travail. Ça fait des mois qu'il.elle est en montage, s'est habitué à une image de 30 cm de diagonale, et au côté sommaire de ce qu'il.elle entend puisqu'il n'y a que le direct ou presque. On n'est pas au cinéma, mais il.elle s'y est habitué.
Pascal : Il y a aussi l'hyper proximité avec les enceintes de l'AVID, souvent de mauvaise qualité, ce qui n'a rien avoir avec l'écoute en salle de projection ou en auditorium.
Patrice : Aussi, les réalisateurs et les réalisatrices sont conditionné.es par ce qu'ils.elles entendent pendant des mois et une fois le montage image terminé, certains vivent très mal le fait d'entendre un son « nouveau ». Cette nouveauté peut vraiment créer un malaise. Parfois, tu es au mixage et c'est trop tard. Soit ils font confiance à l’avis extérieur du mixeur et ça se passe bien, soit ils craquent complètement et font enlever ça et ça, quelquefois en dépit de toute cohérence, et c'est très douloureux. C'est important cette accoutumance. Tout ce qui est nouveau peut être mal compris.
Pascal : Il y a des réalisateurs et des réalisatrices à qui tu ne peux rien apporter. Ils ne veulent rien. C'est comme si leur travail s'arrêtait à la copie de travail et que le montage son et/ou le mixage ne pouvait pas apporter une dimension artistique supplémentaire. Quand on est confronté à ce type de réalisateurs.rices sur un projet qui nécessite du montage son, la seule solution pour contourner le problème, c'est de fournir des bounces (des réductions) du montage son afin qu'ils soient intégrés au montage image. Ainsi, ils ont le temps de s'y habituer. Ce n'est plus un son nouveau, perturbant. Ça fait partie de la copie de travail.
Patrice : Oui, c'est la seule possibilité.
Patrice : Si un monteur son passe presque toute sa vie dans sa salle, le piège avec son propre studio c’est d’y passer toute sa vie. Pendant ces 10 ans, la post-production a beaucoup évolué. Les productions invitaient de plus en plus les équipes image et son à s’installer dans des appartements vides le temps du film. Les anciens centres (historiques) d’activités de post-production se sont vidés peu à peu (Paris-Studios-Billancourt, S.I.S, Auditel, LTC, etc. ). Il y avait de moins en moins de monde dans les équipes pour le mixage final. De nouveaux sites de mixage sont nés. On ne voyait plus grand monde. La synergie provoquée par notre installation dans un de ces lieux a perdu peu à peu de son intérêt et nous nous sommes retrouvés isolés. Le site a été vendu à un promoteur immobilier. En 2011, j’ai repris le chemin itinérant des salles de montage.
Rencontres et films marquants
Patrice : Oui, des rencontres avant tout, avec un film ou avec un artiste. Tous les films sont importants, enrichissants, certains laissent plus ou moins de souvenirs.
- Tangos, l’exil de Gardel de Fernando Solanas (1985) :
Patrice : C'était le travail refait en permanence. Il montait un plan, une séquence, dans l'heure qui suivait, tout avait changé. Et toi, tu avais commencé le montage son - c'était en 35 mm. Le temps de chercher les sons en sonothèque, de les faire repiquer, toute cette inertie - et tu devais tout recommencer. On était 12 ! C'était un mouvement perpétuel hallucinant. On attendait quasiment devant la porte pour qu'il nous donne quelque chose sur lequel travailler ! Montage, post-synchro, remontage, montage son presque en direct jusqu'au mixage à Auditel avec Paul Bertault. Ça a été une grande aventure.
- Le Grand Bleu de Luc Besson (1988) :
L'équipe du Grand bleu en mixage dans l’audi G à S.I.S. (1986). De gauche à droite, assis ou debouts : François Groult (co-mixeur), Luc Besson (réalisateur), Gérard Lamps (mixeur), Bruno Bouguarde (recorder), Sophie Bester (stagiaire montage image), Stéphanie Granel (monteuse son), Nicolette Barr (monteuse Paroles), Claude Lerouge (directeur technique de SIS ), Fanchon Brûlé (stagiaire montage image), Patrice Grisolet (chef monteur son). Accroupis : Marion Monestier (assistante monteuse son), Olivier Mauffroy (chef monteur image), Elisabeth Couque (assistante monteuse image), Éric Tisserand (recorder), François Gédigier (monteur son).
Patrice : Je dois remercier Gérard Lamps. À l'origine, Laurent Quaglio devait faire le film. La première fois que j'ai rencontré Luc Besson à SIS, il m'a dit : « Bienvenue chez les chieurs ». Il y a deux points communs aux 4 films que j'ai fait pour lui : au début, tu as le temps, 2 ou 3 mois pour les deux premières bobines et d'un seul coup pour le reste, tu as 3 semaines... Alors t'as intérêt à être prêt et à avoir anticipé à mort. Le deuxième truc ce n'est pas que c'est « open bar » mais qu'on te dit : « Fait ce qu'il y a à faire... ». Il faut que tu devines. Luc peut être très directif ou pas du tout parce qu'il est très occupé. Pour le reste, c'est à toi de deviner. La faute serait qu'au mixage, il te dise : « T'as pas monté ça ? » et que tu répondes « Bah non, j'y ai pas pensé... ». Ça, ça se serait très mal vu. Vaut mieux monter des trucs auxquels il pourrait penser même s'ils ne seront pas utilisés au final.
Pascal : C'est toujours plus facile d'enlever quelque chose au mix que de le rajouter...
Patrice : En effet. Pour revenir au « Grand bleu », après 3 mois relativement tranquilles, il a fallu se magner, il y avait des projections, Cannes. J'ai appelé en renfort Stéphanie Granel qui a monté les bulles, François Gédigier qui a monté presqu'une bobine complète d'ambiances sur la love-story de Jean-Marc Barr et Rosanna Arquette en Italie. C'est là que j'ai appris que plus l'équipe est grosse, moins le monteur son principal a le temps de faire quoi que ce soit...
Pour les bruitages, on avait monté une piscine dans l'audi de bruitage de S.I.S. ! Il a fallu calculer si la dalle pouvait supporter la charge de toute cette eau. On avait tendu du tissu derrière et au-dessus pour mater les résonances et ne pas entendre l'acoustique de l'auditorium.
Jérôme Lévy, bruiteur, dans la piscine aménagée dans l'auditorium de bruitage de S.I.S. pour Le grand bleu
Pascal : Et pour les effets sonores de type sampler ?
Patrice : C'est là que j'ai rencontré Celmar Engel. C'était le sound designer à la mode en pub à l'époque. Il avait un Fairlight et une console 4000 chez lui dans le 17ème. J'avais vu la machine en démo, je savais que j'allais avoir besoin de fonds et de textures sous-marines qui évoluent, qui varient en pitch. On montait encore le son en 35 mm. C'était impossible à créer sans ce type d'outil qu'il maîtrisait parfaitement, alors je me suis assis à côté de lui et je lui ai expliqué ce dont j'avais besoin. On a fait des longueurs que j'ai repiqué et monté ensuite en 35 mm. La plupart de ce que tu entends sous l'eau, c'est Celmar. Je ne crois même pas qu'on ait pu regarder l'image parce qu'elle était en 35 mm. De toute manière, je ne crois pas que Luc m'aurait laissé sortir l'image de la salle...
Après le succès du film et le César du meilleur son, les demandes de travail ont été nombreuses.
- Le Mahabharata de Peter Brook (1990) :
Patrice : Un vertige. C'était un film de 8h adapté de sa pièce co-écrite avec Jean-Claude Carrière après 10 années de tournée triomphale. Une séquence par bobine de 10 minutes. Une journée de projection ! Tout ou presque était tourné en studio devant un cyclo avec très peu d'éléments de décors. Ça n'aidait pas à trouver des sons qui puisse « habiller » cette absence de décor, « incarner » cette histoire. Sur un plateau de théâtre, l'éléphant, c'est un indien qui souffle dans un tuyau. Ça marche très bien. Et tout le monde comprend. Au cinéma, ça ne le fait pas.
Pascal : L'imaginaire ne fonctionne pas comme au théâtre.
Patrice : Ce n'est pas du tout la même chose. Et je n'étais pas beaucoup aidé par Peter Brook qui n'est pas un grand communicant. Donc c'était super dur. Trouver des sons qui collent, un rythme sur des séquences de 10-20 minutes. À la limite tu n'avais besoin de rien, il fallait des « mood », donner des tonalités. La couleur, c'était toujours la même à l'image, ocre, donc il fallait trouver une texture sonore pour amener des variations. Là, j'ai demandé le concours d'Eric Mauer qui avait été l'assistant de Laurent Quaglio sur « L'ours ». Il a créé des trames, des ambiances musicales au sampler qui ont « habillé » les séquences, ça m'a sauvé le coup.
- Nikita de Luc Besson (1990) :
Patrice : Luc m’a montré le film en cours de montage chez lui et a défini ce qu’il m’attribuait et ce qui serait traité par le musicien Eric Serra. « Nikita » pour moi, c'est la douleur. Monter un film avec des coups de feu en 35 mm... Il n'y a pas un soir où je suis rentré chez moi sans avoir mal aux oreilles. Sur du magnétique 35, le son n'est pas visible ! Dédoubler 300 mètres de magnétique où il y a des coups de feu tous les mètres, ça saigne. Tu as beau travailler au casque, il faut écouter à un certain niveau.
Aloyse : Tu écoutais au casque !
Patrice : Oui, parce que dans la salle, il y a l'assistante qui bosse, elle dédouble aussi des sons. Par respect pour son travail, je ne pouvais pas lui balancer des coups de feu dans les oreilles toute la journée... T'es le chef, donc c'est toi qui te dézingue les oreilles. Aujourd'hui je le monterais complètement différemment. Les coups de feu, ça le faisait, mais aujourd'hui, ça ne le fait plus. C'était que des coups de feu à blanc.
Pascal : Je l'ai revu, ça marche plutôt pas mal. Évidemment certains effets ont vieilli et marquent l'époque, mais ce qui ne passerait plus aujourd'hui c'est que certains coups de feu d'une même séquence, dans un même lieu, ont des acoustiques hétérogènes (dans la prise de son). Il y a ça dans d'autres films de la période, aujourd'hui ça ne passe plus, tout comme certains raccords de post-synchro ou de bruitages avec des reverbs improbables...
Patrice : Les reverbs avant la Lexicon (la fameuse 480), c'était pas terrible (rires).
- Indochine de Régis Wargnier (1992) :
Patrice : C'est la personne avec qui j'ai fait le plus de films (7). C'est quelqu'un qui écoute. Il écoute son chef op', il écoute sa scripte, il écoute son monteur son. Pour moi Régis, c'est le numéro 1 pour ce qui est d'écrire et de diriger des post-synchros d'ambiances. Dans « Indochine », tout ce qui est vocal et qui n'est pas du dialogue, c'est de l'auditorium. Tout. Une semaine d'audi. Pour la séquence devant les grilles de la prison de Poulo Condor, sur le tournage, pour ne pas gêner le dialogue entre Catherine Deneuve et Linh Dan Pham, toute la figuration faisait semblant de parler. Toute la foule a été refaite. Un autre exemple, séquence de terrasse de café à Hanoï entre Jean Yanne et Catherine Deneuve, à côté trois tables avec des notables français et la rue à l'arrière-plan. Eh bien Régis, c'est 3 pages de texte pour la table A, 3 pages pour la table B et 3 pages pour la table C. Tout en rapport de circonstances avec l'action et l'époque. Tu n'es pas là dans l'audi à te poser la question de ce qu'ils pourraient bien raconter. On lit deux fois et les acteurs se lancent. Tant que le ton n'est pas juste, on recommence. C'est porté. C'est libre. C'est dirigé. C'est juste. Tous les arrières-plans étaient scénarisés, maîtrisés à la prise de son, mis en scène. Moi je me contentais de prendre des notes. C'était extraordinaire. Je n'ai vu personne d'autre faire ça. Il en connaît l'importance. Il n'imagine pas la séquence sans cette justesse de l'arrière-plan, et qui mieux que lui qui travaille sur ce scénario depuis des années pour le faire. Il connaît tout du sujet. Il a la documentation. Résultat : le césar du son l'année suivante pour Guillaume Sciama (chef op son tournage) et Dominique Hennequin (mixeur).
Note : Indochine comme Le Grand bleu ont été récompensés par le César du meilleur son sans que le montage son ne soit cité ou associé à cette récompense. Il faudra attendre 1996 pour que le montage son soit récompensé par les Césars à « égalité » avec le chef opérateur.trice du son et le mixeur.euse.
- Les nuits fauves de Cyril Collard (1992) :
Patrice : Comme je vous l'ai dit, c'était ma première expérience en numérique avec tous les problèmes techniques que ça impliquait à l'époque ! Que de nuits blanches ! J'ai fini le travail sous la console de mixage. Principale difficulté : la nouvelle gestion du temps occasionnée par le passage au virtuel.
- Léon de Luc Besson (1994) :
Patrice : Montage son et paroles sur ScreenSound. On en était à 3 mois et je n'avais pas dépassé la bobine 1. Luc était à Los Angeles, il montait dans une cabane au fond du jardin avec sa monteuse. Moi j'étais rue Yves Toudic dans ses locaux. Il y avait douze heures de décalage horaire donc c'était difficile de se parler. Et ça a été comme sur « Le grand Bleu », d'un seul coup, il y a eu les 5 dernières bobines et j'avais 3 semaines pour finir. Heureusement, rue Yves Toudic, il y avait des plans tirés en 35 mm pour toutes les prises choisies. Le soir, quand tout le monde était parti, je les regardais à la table de montage. Du coup, j'ai pu anticiper les besoins pour tous les plans larges avec de la figuration, les plans avec l'arrivée du SWAT ou l'explosion de l'immeuble avant même de les voir montés. Quand j'ai enfin reçu l'image, j'ai pas eu à chercher car les sons étaient déjà prêts. Tu dois anticiper. Il y a du pognon, mais pas pour rien. Il n'y a qu'à dire. Tu dois t'organiser. Tu te dois de respecter les délais. Tu dois avancer. Sur un film d'animation ou à effets, si tu attends d'avoir l'image définitive pour commencer, tu te prends un mur. Il te reste deux semaines pour faire un film d'une heure cinquante. Ce n’est pas possible.
Et tant d’autres films…
Vision rétrospective sur l'évolution du métier
Patrice : J’aurais dû équiper ma salle d’un très grand écran plus tôt encore. Le réalisateur.rice ne saisit véritablement notre travail qu’une fois immergé dans l’image, comme au cinéma. Visionnés sur un petit format image, les sons ne sont pas à leur place et perturbent plus qu’ils n’apportent. J'ai aussi beaucoup de regrets à propos de la quasi-disparition du poste d’assistant.e. La formation a disparu. En sortant d’une école, il reste tant à apprendre. Autre regret, depuis une quinzaine d’années, j’entends autour de moi parler de plus en plus de technique et de moins en moins de cinéma.
Pascal : Ça vient aussi de la situation actuelle, du morcellement des tâches dans la post-production et d'un manque de coordination et de projet commun pour le film. De plus en plus souvent, chacun travaille sur sa petite portion de travail, dans des lieux distincts, sans échange ou interaction avec le reste de l'équipe. S'il n'y a pas la volonté d'un réalisateur, d'une réalisatrice, d'une production, de fédérer une équipe autour d'un projet, ça conduit à plus de technique et moins de cinéma.
Patrice : Oui, il y a aussi encore trop peu d’indications sonores dans les scénarios de films français. On pourrait utiliser la bande son d’une façon plus intéressante. En 2021, le son n’est encore trop souvent que l’illustration de l’image.
Pascal : On en revient à la discussion sur un cinéma français « du texte », issu de la Nouvelle Vague, où l'essentiel des informations sont portées par le dialogue et assez peu par la mise-en-scène, le découpage, le son et l'image, contrairement à d'autres cinématographies. Mais heureusement il y a des réalisateurs-trices qui ne sont pas sourds aux idées qui peuvent aider leur narration...
Patrice : Peut-être (rires).
Pascal : Sinon, l'évolution technologique ?
Patrice : L'arrivée du logiciel Izotope RX a été extraordinaire pour le montage des directs. C'est devenu l’allié du son direct. En post-production son, c’est, je crois, notre métier qui a le plus évolué depuis 30 ans. Mais les temps de travail sont restés les mêmes voire ont baissé, les salaires aussi.
Entretien conduit par Pascal Villard et Aloyse Launay le 25 mai 2021. Retranscription par Pascal Villard. Merci à Patrice Grisolet pour son temps et sa confiance, et pour ce beau moment de partage.
Filmographie sélective de Patrice Grisolet :
- Tango, l'exil de Gardel, Fernando Solanas (1985)
- Le grand bleu, Luc Besson (1988), César du meilleur son
- Je suis le seigneur du château, Régis Wargnier (1989)
- Le Mahabharata, Peter Brook (1990)
- Nikita, Luc Besson (1990), César du meilleur son
- Atlantis, Luc Besson (1991)
- Indochine, Régis Wargnier (1992), César du meilleur son
- Les nuits fauves, Cyril Collard (1992)
- Tango, Patrice Leconte (1993)
- Léon, Luc Besson (1994)
- Beaumarchais l'insolent, Édouard Molinaro (1996)
- Rembrandt, Charles Matton (1999)
- Harrison's Flowers, Élie Chouraqui (2000)
- Twentynine Palms, Bruno Dumont (2003)
- L'héritage, Géla Babluani et Temur Babluani (2006)
- JCVD, Mabrouk El Mechri (2008)
- Pieds nus sur les limaces, Fabienne Berthaud (2010)
- Le temps des aveux, Régis Wargnier (2014)
- De Gaulle, Gabriel Le Bomin (2020)
Rencontre avec Pierre Lenoir.
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