Entretien avec Francesco Liotard par Erwan Kerzanet
Francesco fait partie de ces rencontres que j’ai faites lors des années d’effervescence de la « Cantar User List » que JP Beauviala avait mise en place au moment du lancement du Cantar X1 au début de l'année 2004. Francesco fait partie de ces fanatiques du Cantar. Je l’ai croisé sur 2 WIN, le film de Stefano Mordini où il avait le X1, le X2 et le X3 sur les étagères du camion. Francesco est récemment devenu membre de l’AFSI. Il a été nommé deux fois au Donatello en Italie et pour le Nastrro d’Argento. Il a signé le son des derniers films du mythique Ermanno Olmi. Il a également développé une plateforme de mise en ligne de sons géo-localisés « Locate Your Sound » (LYS).
Erwan Kerzanet : Tu es l’un de nos rares membres étrangers et ton geste de travail a beaucoup de personnalité, je trouve. C’est aussi l’occasion de parler du son en Italie. Est ce que tu d’accord avec cette idée que ton geste de travail a de la personnalité?
Ah je souris à ta question et je te remercie de la formuler ainsi… je ne sais pas s’il faut trop creuser du côté de la personnalité !
EK : Tu as fait tes armes chez Ermanno Olmi, fondateur d’une « non-école » du cinéma, comment es-tu tombé dans cette marmite?
À la suite à d’études en sciences comptables, je me suis inscrit à la Faculté d’Ingénierie Électrique à l’Université de Padoue, intéressé mais sans savoir exactement ce qui m’attendait. L’année suivante, je me suis rendu compte que, malgré mon intérêt, rien de ce que je devais étudier ne me fascinait. C’est ainsi qu' entre 1993 et 1994, pendant mon année de service militaire, j’ai décidé de m’inscrire à la faculté de Droit auprès de l’Université de Trente.
La même année, à Asiago, une petite commune de montagne qui m’est très chère, dans le nord-est de l’Italie, j’ai adhéré à une association culturelle qui gérait un petit espace situé dans une toute aussi petite clairière circulaire en plein milieu d’une épaisse forêt. L’association était très active et culturellement très dynamique. Le Président de cette association s’appelait Fabio, un garçon milanais qui depuis son jeune âge s’était installé à Asiago. On disait qu’il « faisait du cinéma » et que son père était « un vieux réalisateur ».
Les recettes du bar de l’association nous permettaient d’organiser des événements culturels gratuits. On recevait même des groupes de musique de renommée nationale et très à la mode à l’époque, qui attiraient du monde et représentaient une aide économique concrète. Mais, l’activité de cette association qui m’intéressait le plus, c’était sans aucun doute le ciné-club. Nous avions monté un grand écran cinématographique au milieu de la clairière et chaque jeudi on allait à Padoue en voiture pour emprunter une « pizza » , c’est le nom qu’on donne en Italie à la bobine de film, qui était ensuite chargée sur un projecteur portable Cinemeccanica 35MM, en passant soigneusement l’argentique (on dirait pas plutôt la pellicule?) dans les rouleaux. On branchait le système d’amplification audio aux composants Dolby SR/A et, suite aux vérifications techniques, dans la forêt, la magie commençait ! Moi, je ne connaissais rien au cinéma. Je ne m’y étais jamais intéressé. Certes, j’allais au cinéma, je regardais des films à la télévision, mais pas plus. Toucher la pellicule, regarder les photogrammes, charger un projecteur, comprendre comment l’optique gravée sur pellicule devient du son, des mots et des émotions, regarder un film en plein milieu de la forêt sous les étoiles qui brillent ou quand un orage se déchaîne... c’est tout ça qui a fait naître mon intérêt pour cet art.
L’été suivant, en 1995, Fabio m’a demandé : « Ça te dit de venir voir comment on fait un film ? ». Avant même d’avoir eu le temps d’y réfléchir, ma curiosité à répondu à ma place « OUI ! », question de millisecondes. Et c’est comme ça que mi- septembre nous sommes parti d’Asiago vers Altamura, 1000 km plus au sud, dans une fourgonnette surchargée, de projecteurs, de câbles électriques, de gélatines, de châssis, et d’une multitude d’autres caisses pleines de choses dont j’ignorais l’existence et l’usage, pour commencer le tournage de mon premier film : Io non boss la testa de Michele La Nubile, sorti en 1998. Le film était réalisé sous la supervision constante de Ermanno Olmi, le père de Fabio, qui produisait le film. Tout le monde l’appelait Maître, moi, très timidement, « Monsieur Olmi ». J’avais l’impression de ne rien comprendre : je devais faire tout et n’importe quoi. J’avais l’impression de me tromper sans arrêt ou de ne pas comprendre ce qu’on me demandait de faire. J’apprenais... et pas seulement au niveau technique... J’apprenais à aimer une vie que je ne connaissais pas, faite de relations avec des habitants de lieux inconnus. J’ai donc fait assistant vidéo, c’est-à-dire que je devais enregistrer le signal qui sortait d’une caméra intégrée à une caméra Aaton XTR Super16, pour montrer la scène tournée au réalisateur.
Ermanno Olmi avait sa propre production Ipotesi Cinema — la « Non-école » de cinéma comme ils l’appelaient. J’ai donc enchaîné sur d’autres films produits par Olmi. D’assistant vidéo je suis passé à « loader », puis à premier assistant caméra. Je m’amusais à passer des heures à cadrer les montagnes pour en tracer les profils sur des verres optiques transparents qui devenaient des filtres dégradés sous les mains d’Olmi. Et c’est justement Olmi, l’Artisan, qui m’apprenait à m’intéresser également de ce qui concernait tous les autres départements, à comprendre la lumière, à m’occuper de travelling, de machines à fumée... parce qu'il permettait à tous ceux qui le souhaitaient de comprendre clairement comment tout marchait.
Fin 1998, pendant la préparation de son nouveau long-métrage, Olmi n’arrivait pas à trouver un chef opérateur du son. Ce n’était pas facile de trouver quelqu’un parce que, ayant déjà prévu de doubler tous les acteurs, le son ne serait que son témoin, donc peu attractif pour un chef opérateur du son qui aime son métier. Olmi m’a demandé si je voulais bien m’en occuper… Et c’est comme ça que pendant deux mois, dans une Bulgarie glaciale et enneigée, au bord du Danube, avec un enregistreur numérique Fostex PD-2 en bandoulière, deux microphones (Sennheiser MKH-416 e MKH-816) et un casque Sony MRD-V700DJ que j’avais acheté pour l’occasion, je me suis retrouvé pour la première fois... à écouter !
Après 3 mois de tournage, Olmi commence à monter. Il aimait rester travailler chez lui et il avait installé un studio de cinéma complet avec la table de montage argentique et une station de montage et mix en magnétique, avec un système Dolby 5.1 et, grande nouveauté de l’époque : un protools. Fabio a toujours été passionné de son et c’est lui qui s’occupait du montage du son des travaux de son père avec la station de montage son en magnétique. Il m’a proposé de l’assister dans le montage paroles et à quelques jours du début, nous allons à Asiago pour installer le Pro Tools et Fabio, en montrant du doigt la pile de cartons que nous avions déchargés, me dit : « Checco, moi, je pars pour les Caraïbes tourner un documentaire, ça c’est le Pro Tools et je n’ai aucune idée de comment ça marche, mais toi tu vas savoir t’en servir très bien. Bon courage ! » Ça a été pour moi comme se jeter d’un avion sans parachute. J’ai vécu un enfer d’abord pour allumer l’ordinateur que je ne connaissais pas du tout, pour le faire marcher avec des cartes et des périphériques SCSI dont j’ignorais l’existence puis installer le logiciel Pro Tools 4, un programme qui, à l’époque, était absolument instable (et même sans sauvegarde automatique!!!), pour me poser tout de suite après la vraie question : c’est quoi le montage son? Mais bon je m’y suis mis…
Pendant le montage je ne savais pas vraiment ce qu’il fallait faire. J’ai commencé à couper et à recoudre des morceaux microscopiques de tout ce que j’avais enregistré pour recréer les paysages sonores des lieux du tournage. J’avais coupé des sons d’armures par ici et par là pour essayer de recomposer le son des scènes. Je suis devenu fou à enlever, dans les scènes de groupe, des hurlements en Bulgare avec qui sait quelles injures qui étaient pour moi incompréhensibles. Je suis allé enregistrer des pas sur la neige de tout genre et type, le bruit du vent, le silence. À ma façon je mettais le maximum de mes capacités et je n’avais aucune idée de que ça pouvait donner ou même de ce que l’on attendait de moi. Il y avait juste Paolo, le monteur, qui venait parfois me taper sur l’épaule en me disant : « Vas-y, Checco ! Tu vas y arriver ! ».
Puis on mixé à Rome, via Margutta. Avec les doublages tout s’est très bien passé, puis est arrivé le bruiteur, Mario Giacco, célèbre bruiteur en Italie. Je ne savais absolument pas ce que faisait un bruiteur, et encore moins que le bruiteur avait les armures originales du film!
EK : Si tu devais décrire ce qui fait la spécificité de ton geste à toi, celui que tu as peaufiné avec le temps, sur tes propres convictions, tu t’y prendrais comment?
C’est une question difficile, je ne sais pas si j’arrive à pointer une chose en particulier. Je crois que nous sommes la somme de nos expériences et, sans le savoir, c’est toutes ces choses que nous faisons qui nous décrivent, racontent qui nous sommes, ce que nous cherchons, même si au plus profond de nous-mêmes règne le chaos le plus total.
Je pourrais essayer de me décrire à l’aide de deux mots : « Curiosité » et « Passion ». Je crois qu’à eux seuls, ces deux mots expliquent ce qui me guide dans mes choix, mes décisions, surtout celles qui font que les autres, dans le métier, me voient souvent comme un radical.
La curiosité m’a porté à écouter avec attention, avec mon casque, mais surtout avec mes oreilles. C’est ce qui m’a permis d’entreprendre un parcours de connaissance du son, ou plutôt de « la matière sonore » qui nous entoure, la stratification de tous les éléments qui la composent, et surtout, des histoires que peuvent nous raconter chacun de ces éléments. Cela m’a amené à comprendre comment les gens réagissent à l’écoute, comment on peut les impliquer dans le film inconsciemment. Cela m’a porter à investir une technique de travail qui me rende heureux de mettre mes écouteurs pour enregistrer ce que j’entends. Cela m’a permis de comprendre aussi ce que je veux entendre et ce que je ne veux pas entendre, tout en restant disponible à la nouveauté.
La passion c’est ce qui te permet de faire ce que tu fais en suivant tes convictions… un peu comme si à chaque fois tu le faisais pour la première fois. Seule la passion te fait faire des trucs fous, insensés, te ressentir des émotions pour des choses que les autres ne peuvent comprendre, et te regarde comme si tu étais un extra terrestre.
Le son! Cette matière invisible que nous-seuls voyons. On l’attrape on lui donne une forme, on la pétrit, on la démonte, on la remonte, on la remet en circulation, et lui, le son, toujours invisible, toujours prêt à nous faire vivre des émotions.
En y réfléchissant, je me permets d’ajouter deux mots.
Il y aurait aussi le mot « Simplicité », mot extrêmement solaire et relaxant, qui devient une clef de voûte de mes choix. La simplicité n’est pas un concept simple, au contraire, c’est un concept qui peut se compliquer très vite. Je ne cherche pas à jouer avec les mots mais je pense vraiment que la simplicité est un mode de penser et percevoir qui a une incidence, dans nos métiers, sur nos choix techniques.
Pour finir, l’amusement. Si je ne m’amuse pas à faire ce que je fais alors c’est que je ne suis pas la bonne personne pour le faire ! Le concept d’amusement n’inclût pas nécessairement le fait de rigoler ou de blaguer mais il inclut très certainement celui d’aimer. Et comme dans toutes les histoires d’amour, il y a des joies et des douleurs!
EK: J’ai passé une semaine avec toi sur le tournage de Stefano Mordini (2WIN), à enregistrer des voitures de courses d’époque. Tu étais effectivement (covid à part) dans l’amusement avec tous ces sons de moteurs, ces changements de régimes en bout de courbes. Je t’y ai vu percher toi même certains dialogues en demandant à ton assistante de prendre le Cantar et d’enregistrer le son ; je t’ai vu également confier l’enregistrement des HF à ta seconde assistante sur un autre Cantar. Tu ne les écoutes même pas? C’est le fait d’avoir des acteurs italiens (Scammarcio) qui te permet de te dire que tu n’en as pas besoin, que la perche te suffit?
… Oui c'est vrai… tu m'as vu faire des choses qu'un ingénieur du son traditionnel ne fait probablement pas. Mais je peux me permettre de le faire sur ces films parce qu'un acteur comme Riccardo Scamarcio (dans le cas de 2WIN, dont il est également producteur), ou d’un réalisateur comme Ermanno Olmi (dans toutes ses œuvres) ou de Valeria Golino (dans le cas d'Euforia ) ou de Stefano Mordini (dans les 5 films que j'ai faits avec lui), et d'autres m'ont permis de les faire. Ce n’est pas du tout la façon de travailler en Italie qui me le permet, au contraire... le son en Italie a plutôt tendance à être un son de post production et donc les HF sont souvent préférés à la perche. À la différence de la longue tradition du son direct que vous avez France, c’est une chose encore récente en Italie et, sauf à quelques rares exceptions, il n’ y a pas une tradition de la perche, une habitude de la présence d’un perchman, et au respect minimum à son égard sur un plateau. De ce point de vue, l’usage des HF n’a pas amélioré la considération du perchman sur les plateaux. « Pourquoi utilises tu la perche si tu as les HF ? » te demande souvent un chef opérateur… Dans ces conditions, le perchman n’arrive pas à trouver l’audace, à chercher les limites du cadre, ne cherche pas à comprendre ce que raconte une bascule de point ni même simplement ce que la perche te permet d’enregistrer. Traditionnellement, en Italie, les HF sont la base et la perche une ambiance. Même en doublage en Italie, les HF sont plus importants que la perche !
Mon cas particulier est un peu différent. Ce n’est pas une prise de position de fondamentaliste de la perche ni de puriste du son. C’est plutôt dû à mon entrée bizarre dans le monde du cinéma où s’est développé un lien fort, « physique », avec l’image. Dans mon parcours de son, j’ai contracté cette notion de « point d’écoute », lié au point de vue, donc une prise de son qui parte du cadre d’un plan. Le champ d’écoute est celui de la distance et de la profondeur. Donc ma priorité est donc naturellement la perche.
En écoutant la perche, ce que j’entends doit restituer l’émotion que je cherche, et, les yeux fermés, je dois voir l’image du plan. Or, le son de la perche dépend véritablement de la sensibilité de celui qui la manie. C’est un point très important! Cette sensibilité doit être parfois associée à la passion et à l’amusement et donc cela devient très difficile à déléguer. Donc parfois je prends la perche, je pense arriver davantage à mes objectifs que si je tenais l’enregistreur.
L’utilisation des HF au contraire c’est de l’a technique pure. La sensibilité de celui qui les pose n’entre pas en compte dans le résultat, seulement ses compétences à les manipuler, à les poser, savoir gérer les difficultés liées aux costumes. Ils restituent un son standard, sans émotion, sans couleur. En tant que monteur son, je me rends bien compte de ce que l’on peut faire d’un HF, de comment on peu en améliorer la qualité sonore mais cela ne correspond qu’à une idée de précision des voix. Dans le son de la perche il y a la voix et bien d’autres choses, des détails de voix qui racontent la personne, l’espace dans lequel elle se tient, c’est tout le monde sonore dans lequel elle trouve sa place. Donc c’est vrai que ma priorité c’est d’écouter la perche.
Mais si je dois utiliser des HF alors ça me plait que quelqu’un s’en occupe avec un enregistreur dédié à ça.
EK : Il y a une dans le cinéma italien une chose qui t’intéresse et nourrit ton approche du travail ? Comment échanges-tu avec des réalisateurs italiens? Quelles demandes te font-ils ?
Si par cinema italien nous parlons du produit, le film ou une typologie de film, alors je crois que l’Italie a aujourd’hui enterré ce qu’elle avait de plus beau, c’est à dire, le néo-réalisme et la comédie à l’italienne pour laisser place à des produits de cinéma de vague « italianité », beaucoup de nanars qui éloignent l’intérêt international pour ce qui se fait en Italie à part quelques films qui, parfois, sont très surévalués. Si, au contraire, on parle du travail, en particulier du travail du son, le problème est vraiment très inquiétant.
En phase d’écriture, de pré-production et en préparation, le son est la dernière des préoccupations. Les dialoguistes sont souvent éliminés du processus d’écriture, et les scénaristes écrivent des dialogues qui font saigner les oreilles. L’ingénieur du son, qui est déjà assez isolé, n’est absolument pas impliqué dans les repérages techniques ni dans les réunions où l’on pourrait discuter de solutions pour obtenir certains résultats déterminés pour que le son du film soit bien.
Pendant le tournage, les gens se foutent du son, ils parlent sur le plateau, marchent, toussent en permanence… Le chef opérateur parle devant son moniteur… moniteur qui doit être alimenté par un groupe électrogène qui est placé juste à côté, dans un bosquet. Les cadreurs parlent avec leurs assistants pendant les prises.
Par ailleurs, il est rare de commencer un film en sachant à l’avance qui fera montera les son, qui bruitera, qui mixera le film… un résultat souvent basé sur des copinages ou des forfaits de boîtes de post production qui ne laissent pas du tout de place pour penser avec ambition le son d’un projet. Tu comprends de quoi je veux parler? C’est pas facile d’expliquer bien les choses. On dirait une énième lamentation sur les plateaux de tournage, mais en réalité je parle d’une grande désillusion. J’ai parfois l’impression de vivre dans un pays où il n’est même pas possible de savoir à quel niveau de professionnalisme je suis arrivé. Il est impossible de discuter du travail avec les autres et ce qui est plébiscité, reconnu, valorisé ou primé ne représente presque jamais un accomplissement sonore, ce serait plutôt l’inverse. Comment puis-je comprendre où je me trouve professionnellement? En comptant le nombre de films que j’ai faits ? Alors je pourrai dire que j’ai réussi quand j’en aurai fait 150? Je ne crois pas que ce soit un indice de mesure valable.
Je crois donc que je n’arrive pas à trouver une spécificité au cinema italien qui ne me tienne, m’intéresse. Les grands réalisateurs italiens sont morts et ils ont laissé un grand vide. Je suis d’ailleurs heureux d’avoir pu en rencontrer certains et reconnaissants d’avoir pu les regarder travailler. En particulier Olmi. Mon rapport aux réalisateurs se base sur une relation de confiance et de respect réciproque, personnel et professionnel. Pour moi, la réalisation est prioritaire sur tout. Ce qu’ils me demandent c’est de faire du mieux que je puisse dans le champ de ce que je sais faire. Et c’est ce que j’essaie de faire. En venant de la photographie, en m’occupant aussi de montage, je vois bien les difficultés de mon métier et je fais chaque fois des priorités, ce qui passe ou non. Je laisse beaucoup de liberté, et parfois même, beaucoup trop. De temps en temps, quand j’estime que c’est nécessaire, je m’insurge. Ce que je demande à mon tour aux réalisateurs c’est de me donner à entendre des trucs dont je puisse tomber amoureux. Je peux dire que ça m’est déjà arrivé !
EK : Je fais de la provocation mais… te sens-tu sound designer ?
Tu sais que tu touches un point sensible et douloureux.
Olmi voulait que je m’en occupe sur ses films, au début chez lui et puis après j’avais une totale liberté. Pour son dernier film, Torneranno i prati, il m’a demandé de superviser aussi l’enregistrement des doublages alors je suis allé les enregistrer à 2000 mètres d’altitude dans des refuges la nuit. Cette expérience m’a amené à faire la même chose pour d’autres réalisateurs ou à ne m’occuper que de montage son sur certains films, organiser la post-production même si je ne m’étais pas occupé du direct, donc de me confronter aussi au travail de mes collègues. Réfléchir, grandir.
Quant à savoir si je suis un sound designer, mot trop prisé en Italie… je voudrais bien déjà que quelqu’un m’explique ce qu’est un sound designer… Est-ce un mot anglais avec lequel on se gargarise ou bien existe-t-il un poste avec un contrat et des responsabilités ? En Italie un poste avec ces responsabilités n’existe pas. La plupart du temps ceux qui se disent sound designer se limitent à travailler avec iZotope. Je ne sais pas en France, mais en Italie il manque vraiment un poste de directeur artistique du son.
EK : Comment affrontes-tu la question du doublage, encore très fréquent en Italie parce que les spectateurs Italiens ne regardent presque jamais des versions originales pour les films étrangers, du coup, même les films italiens doivent avoir cette couleur du doublage, encore aujourd’hui ?
J’ai commencé avec un maître du cinéma italien où tous les dialogues étaient doublés. Très attentif à la post production du son et complètement indifférent au son direct, comme Fellini et les autres réalisateurs de sa génération. Il arrivait que Olmi certains jours dise « je ne veux pas voir un clap! » Je me suis donc retrouvé des journées entières à nettoyer des câbles ou passer le temps avec des activités les plus variées. Sur le film Tickets, co-réalisé avec Ken Loach et Abbas Kiarostami, Olmi décide en post-production de doubler Valeria Bruni-Tedeschi avec une autre actrice, sans le dire à personne. Je laisse imaginer sa réaction à la première du film! J’aurais des tas d’anecdotes mais ce que je retiens, c’est qu’au lieu de me démotiver du son direct, en réalité, ça m’a stimulé. Grâce à Olmi, j’ai appris énormément sur la post-production, sur le montage, sur les possibilités de reconstruction du son d’un film. Et en même temps, c’est lui aussi qui m’a fait comprendre que l’on ne peut pas se reposer entièrement sur la post production, c’est en se basant sur une connaissances des possibilité de la post production que l’on comprend sur quoi défendre son travail sur le plateau. Il mestiere delle armi est entièrement doublé, par exemple, tandis que Torneranno i prati, son dernier film est entièrement en son direct.
EK : Tu as développé une plateforme qui s’appelle Locate Your Sound. C’est curiosité, passion et amour de l’écoute qui t’ont donné envie de mettre ça en place?
Encore Ermanno Olmi ! Même si, malheureusement, il ne l’aura pas su car il nous a quitté quelques mois avant la réalisation de la première version du site.
La non-école Ipotesi Cinema plaçait au centre de la formation un « espace de la mémoire » qui entretenait des liens étroits avec le fait d’observer et d’enregistrer le réel. Cette matière contenait en elle une valeur historique, documentaire, et en même temps était une sorte de carnet de notes qui pouvait servir pour reconstruire la réalité dans la fiction.
Ma formation aux côtés d’Olmi et de son « espace de la mémoire » m’ont conduit à me confronter à l’idée du paysage sonore, à son enregistrement, à sa conservation.
Quand je monte le son d’un film, je vais systématiquement sur les lieux, écouter et enregistrer des sons. Et c’est à la fois ce besoin d’archiver tous ces sons enregistrés, tous ces fichiers, de savoir le retrouver, mais aussi ce rêve de pouvoir écouter le son du monde à travers les oreilles des autres qui m’a fait réfléchir à un outil innovant.
C’est comme ça qu’est arrivée la première version de Locate Your Sound. À travers un système sophistiqué d’upload, il permet à quiconque d’archiver, retrouver, partager et - pourquoi pas - vendre ses propres paysages sonores du monde entier en partant de deux données fondamentales : la date et le leu d’enregistrement.
EK : Tu es italien mais as rejoint l’AFSI. C’est une joie pour nous de recevoir un peu d’étrangers parmi nos membres car cela nous permet d’élargir nos réflexions sur un métier qui s’internationalise de plus en plus. Qu’attends-tu de l’AFSI ?
Je dois dire que c’est la première fois que je m’inscris dans une association de corporation. Je ne me suis jamais inscrit dans les associations italiennes parce que je me suis toujours dit que depuis Rome, personne ne ferait jamais rien pour un membre vivant dans le Veneto, à 600 km de distance. Mais aussi je n’ai jamais eu la sensation que je pourrais échanger avec eux alors que, par ailleurs, j’avais de plus en plus l’envie de pouvoir confronter mes idées professionnellement à celles de mes collègues, ce qui est très difficile en Italie. Lorsque j’ai chopé le covid sur le film de Mordini je ne savais même pas à qui demander de venir me remplacer et à qui je pouvais expliquer comment je travaillais sur ce film, ce que j’ai raconté plus haut, sur ce plateau qui était un beau bordel. Je t’ai appelé en premier et pas par hasard. Tu n’étais pas italien, nous ne nous étions jamais rencontré auparavant mais nous avions échangé des idées à distance. C’est là que je me suis dit que l’AFSI pouvait avoir du sens. Et puis j’ai un nom aux consonances françaises et j’ai suivi un MASTER 2 au SATIS il y a deux ans, j’aime la langue française et le cinema français aussi. Mais c’est vraiment cette sensation que cela puisse être un lieu où les professionnels s’écoutent, s’observent et savent partager les expériences malgré les distances qui m’a plu. Malgré la distance et mes différences culturelles.
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