Yves-Marie Omnès (AFSI): sa collaboration avec AATON et son métier.
Suite de l'article Y.M. OMNES et le stream Deck ( à lire ici )
EK : Je profite de cette nouveauté et de ton travail de geek avec Aaton pour te demander si c’est un truc que tu as toujours fait en marge du son, l’informatique…
YMO: Je dois te raconter une anecdote qui est certainement à la base de mon travail aujourd'hui. En 1987 je rentre à la fac de sciences de Marseille. Je me rêve comme chercheur, scientifique, inventeur. Et mon niveau en mathématiques ne va pas me rendre service. Dans cette fac, je côtoie beaucoup de gens de l'école d’art juste à côté. L'un des étudiants me demande de l'aider à concevoir une prise de vue à la chambre photographique d'une image composée de cinq images dans une pyramide tronquée. Pour se faire, il y a besoin de calculer des angles de prise de vue pour recomposer l'image à plat dans la pyramide tronquée.
Je me colle donc à ce calcul de physique optique et rédige un dossier que je décide de faire corriger par mon professeur de faculté. Après une semaine, il me le rend en me donnant son appréciation positive, et je lui demande de bien vouloir me noter ce travail, ce qu'il va refuser de faire car ça ne fait pas partie du programme. Ce petit événement va profondément me marquer et me décourager. Quelques jours plus tard je rends mon dossier à mon camarade de l'école des Beaux-Arts. Au vu de son contenu, il me demande de l'accompagner le lendemain matin très tôt pour l'aider à faire ses prises de vue en respectant mes calculs. C'est ce jour-là que j'ai compris que je pouvais être aussi un chercheur, un inventeur, un créateur non plus en sciences mais en art. L’année suivante, j'intègre donc l'école des Beaux-Arts de Marseille.
C’est aux Beaux-Arts de Marseille que je découvre le son et plus particulièrement le son au cinéma. Étant un des rares étudiants à savoir se servir du studio que nous avions, je me retrouve rapidement à travailler pour d'autres sur leur travail personnel. C'est donc très naturellement que j'ai démarré ma vie professionnelle dans le son à l'image. Et je n'avais qu'une formation très basique et pas suffisante. J'ai commencé au tout début par travailler pour la télé mais très vite je me suis ennuyé et j'ai compris que ce n'était pas ce que je voulais faire. Les hasards de la vie m'ont fait rencontrer Jean-Paul Mugel avant même que je comprenne qu'il était un ingénieur du son dont j'admirais la filmographie. Quelques années plus tard, il m'a proposé de faire un film avec lui, on ne s’est plus quittés pendant presque sept ans et 17 films. J’ai appris beaucoup avec lui et j’ai adoré cette période d’assistanat où je pouvais faire mon marché de tous les trucs et astuces du plateau.
Avec Jean-Paul Mugel, j’ai vraiment appris à écouter, à faire sonner les micros avec les voix... Il était très exigeant sur la place de la perche et me faisait écouter systématiquement mes imprécisions et je dois dire que cela a énormément formé mon oreille tant pour la perche que pour les HF et leur positionnement sur les comédiens.
EK: En parallèle de ton travail d’ingénieur du son, tu as conservé un aspect scientifique dans ton travail. Tu as travaillé sur les données xml, tu as collaboré à Scanzone, et avant cette compatibilité Stream Deck on te doit TrackMatch. Quel est ton rapport à Aaton ?
Au delà de mon bagage scientifique, c'est plutôt mon envie d'inventer et de créer qui m'a motivé à m'impliquer dans différents projets autres que la prise de son. L’histoire de Scanzone est assez caractéristique. Il y a quelques années, Sennheiser avait sorti une petite application flash pour indiquer où étaient les émetteurs de TNT. Je trouvais cette application pas très pratique à utiliser et incomplète. Je me suis amusé à la décompiler pour en étudier le code et j'ai développé une nouvelle application flash en utilisant les données de Sennheiser. Au même moment, Philippe Chenevez, à la demande de Tapages, développe une base de données pour évaluer les risques de perturbations HF sur le territoire français. Quand je lui ai montré mon application nous avons convenu que nous pouvions les fusionner, que cela ferait un très bon outil d’évaluation des émissions TNT en France, utilisable par tout le monde. Grâce au soutien financier de Tapages et l'aide de DC Audiovisuel nous avons pu développer la première version de Scanzone, celle qui a été utilisée pendant des années jusqu'à ce que l’AFSI lui refasse un look plus moderne, celui de sa version actuelle. On est passé de Flash au HTML 5 pour rendre Scanzone techniquement compatible.
EK: TrackMatch, c’est venu d’un besoin pratique dans ton travail d’ingénieur du son?
YMO: TrackMatch est une vielle idée et que j'ai d'abord développée en collaboration avec Laurent Gabiot. Quand j’ai commencé à utiliser la fonction d’enregistrement sur les émetteurs A10, je me suis très vite aperçu que pour des raisons de confidentialité, il était impossible de livrer les fichiers bruts de ces enregistrements. Il pouvait y avoir avant ou après les prises des moments de conversation intime ou bien des déplacements aux toilettes parce que l’émetteur enregistrait en continu, sur des journées entières, il fallait donc tout découper à la main pour ne livrer au montage que les moments correspondants aux prises ... C’était ensuite assez fastidieux à manipuler en post-production. L’idée de Trackmatch c’était donc à la fois de réduire les fichiers à la durée des prises tournées et ensuite de les ré-intégrer au fichier multi-pistes original pour rendre l’opération transparente, comme si cette nouvelle piste avait toujours existé.
Nous avons sorti une toute première version de manière extrêmement confidentielle qui s'appelait à l’époque Tantoo, mais l'interface était perfectible. Et, même si l’application répondait assez bien à nos attentes, elle était loin d'être complète en termes de fonctionnalités. Deux ans plus tard après une conversation avec Jacques Delacoux, actuel propriétaire de Aaton, j'ai obtenu un accord pour que Aaton termine le développement de cette application qui est alors devenue Trackmatch. Désormais, c’est Aaton qui en gère l’exploitation.
J’ai aussi développé des accessoires comme les supports de perche pour émetteur A10, des embases pour récepteur A10 ou encore un boîtier de sortie « line Out » pour le Cantar X3.
Ma longue relation avec Aaton m'a amenée en février 2015 à être le premier ingénieur du son à tourner en production avec le Cantar X3 qui était à l'époque encore un prototype. Depuis, je ne cesse de travailler avec leur labo de développement à l'amélioration des fonctions existantes ou à la création de nouvelles fonctions.
EK: Il y a des outils qui te manquent dans le travail? Quelles nouvelles inventions tu rêverais de voir débarquer aujourd’hui pour améliorer ton travail?
YMO: Il y a toujours des trucs à inventer et les idées naissent au fur à mesure de mes besoins sur les plateaux de tournages, et suivent aussi l’évolution des technologies. Les deux dernières en date pour Aaton sont le Waterfall sur entrée solo et l’insertion d’une petite pastille de couleur en haut de la modulation qui me donne l’info sur la qualité de mon signale RF affecté à cette entrée. Cette fonction me permet de n’ouvrir le HF que si je vois qu’il y a une certaine qualité de réception du signal, afin d’éviter d’enregistrer des scratches. Bien sûr, je ne fais que proposer des idées que je juge répondre à des besoins et laisse à l’équipe de Aaton le soin de développer les solutions si elle les juge utiles.
EK: Côté son, si tu devais définir ce qui caractérise ton geste de travail tu t’y prendrais comment?
YMO: Dans un premier temps j’ai été très concentré sur le résultat sonore de ce que je faisais. Parfois, je pouvais en oublier un peu le film. Heureusement, j'ai réintégré assez vite qu'un film n'était pas seulement sur l'écran ou dans les enceintes mais qu'il se faisait évidemment sur le plateau de tournage. Il m'a fallu me libérer de la technique pour pouvoir me rapprocher de ce qu’est le film en lui-même, c’est-à-dire, un projet de cinéma. C’est évidemment un équilibre qu’il n’est pas toujours facile à trouver mais plus j'avance plus j’ai cette préoccupation en tête. C’est aujourd’hui une chose qui ne change plus, une constante dans la manière dont je dirige mon travail : je dois toujours être motivé par ce que j'ai envie d’entendre, qui vient de ce que le film réclame, lorsque je vois la scène se mettre en place devant la caméra… et ce quelque soit le type de film.
Ensuite, au fil des ans, plutôt que mon geste d’ingénieur du son, ce qui a évolué c'est mon désir de cinéma. C'est l'une des raisons qui m'ont poussé à aller voir ce qu'il se produisait à l’étranger. Au début de ma carrière, j'étais excité par la moindre proposition de film — parfois par nécessité — mais aujourd’hui, j'avoue choisir davantage les projets qui me stimulent, le cinéma que j'ai envie de voir. Il m'est aussi arrivé qu'on me propose de très grosses productions au Royaume-Uni mais, jusqu'à aujourd'hui, je n'ai jamais accepté, surtout parce que c'est pas le cinéma que j'ai envie de faire. Ce que j'aime le plus sur un plateau au-delà de faire mon travail de prise de son, c'est la collaboration que je peux avoir avec la réalisation, l’image, les costumes, la lumière, tous ces corps de métier qui vont influer sur le résultat de mon travail. Quand le partage du travail a lieu c’est très plaisant.
EK: Y'a-t-il un film sur lequel tu as travaillé et dont tu peux nous parler?
YMO: C’est difficile de choisir un film en particulier, je les aime tous, avec des nuances évidemment. Il y aurait, bien sûr, Call me by your name, de Luca Guadanigno, parce que j’aime le film et que le tournage était dingue. Avec Luca Guadanigno, le travail est toujours un challenge, il invente toujours des plans hyper compliqués mais, en même temps, il est toujours prêt à discuter pour trouver des solutions pour rendre la prise de son direct possible. Sur Call me by your name, dans la scène où Timothée Chalamet joue du piano, Armie Hammer était torse nu et le plan, dans cette grande pièce voutée avec le piano jouant en direct se prêtait plutôt mal à une prise de son avec une perche seulement ... Luca voulait garder le coté estival et sensuel mais, après discussion, nous avons décidé que Armie pouvait porter une chemise ouverte... Ce qui nous a permis d’y cacher un micro, l'artifice a permis de garder la prise de son telle qu’elle au montage.
Un autre film comme « Rocks », de Sarah Gavron, m’a marqué parce que le tournage avait été douloureux. « Rocks » était écrit pour être totalement tourné en improvisation... Nous avions une trame d’histoire et quelques phrases clefs qui devaient apparaître dans les dialogues, les comédiens étaient tous non professionnels et découvraient l’histoire au fur et à mesure que nous tournions ... Une fois sur le plateau, la réalisatrice expliquait la situation et on tournait sans s’arrêter pendant parfois presque une heure d’affilée! J’avais souvent dix adolescentes à enregistrer, sans savoir de ce qui allait se passer dans le cadre, il fallait bien entendu essayer de mixer un truc cohérent !! Mais le résultat a été un choc total pour moi et une grande leçon parce que, malgré le chaos du tournage, le film marche totalement !!
EK : Tu vis en Angleterre… Peux-tu nous parler du travail aux UK ? C’est quoi les différences majeures avec notre système ? Tu t’y sens bien? Le Brexit change quelque chose pour toi ?
YMO: Tout d’abord … et c’est important, je ne vis pas en Angleterre ! J’y travaille quand l’occasion se présente et j’ai tout fait pour que ce soit possible. Après une dizaine d’année comme ingénieur du son sur des productions françaises, pendant l’été 2014 et de manière très inattendue, je me retrouve sur un tournage d’un film italien (A Bigger Splash) produit par des américains et avec un casting international… C’était un peu flippant mais très excitant et très rapidement je me suis senti très à l’aise et à la hauteur des attentes du réalisateur… C’est pendant ce tournage que j’ai décidé que je pouvais donner, peut-être, une nouvelle orientation à mon parcours professionnel. J’ai passé beaucoup de temps à mettre tout ça en route mais aujourd’hui j’ai ma petite place dans le monde anglo-saxon. Les systèmes de tournage sont assez différents bien sûr, cela dépend des réalisateurs et du type de production — je ne fais pas de grosses grosses productions de studio. Je ne cours pas après et ce n’est pas ma priorité. Les équipes anglaises sont beaucoup plus grosses que les nôtres avec une segmentation des tâches plus importante. Je trouve ça parfois trop lourd et un peu rigide, mais c’est leur façon de faire. Depuis plusieurs années, ce système a été grandement modifié par le système des grands studios américains … Sur certaines productions, on retrouve un système plus européen, plus souple et versatile et, de mon point de vue, c’est plus efficace. Comme, par exemple, avec Sally Potter. Te dire que je me sens bien là-bas serait un peu excessif … mais j’ai le plaisir de faire des films que je ne pourrais pas faire en France et de travailler avec des acteurs que je ne croiserais pas sur des productions françaises. On ne peut pas tout avoir !!!
Ensuite c’est vrai que le Brexit a changé beaucoup de choses… à plein de niveaux. Du point de vue purement matériel, c’est devenu un enfer d’organisation et un cauchemar financier ! Il est devenu impossible de transporter le matériel moi-même de la France à l’Angleterre… le risque est trop grand d’avoir des ennuis de douane et je suis donc obligé de passer par un transitaire qui s’occupe des formalités douanières et fait des carnets ATA à chaque fois. Cela a multiplié par 4 le coup du transport pour moi … et je n’arrive pas toujours à me faire rembourser par la production !!
D’un point de vu légal, je ne suis désormais plus autorisé à travailler au Royaume-Uni. Je dois donc demander à chaque fois une autorisation. C’est évidemment un coût financier mais aussi une gestion administrative qui doit passer par les sociétés de production qui rechigne parfois à faire la démarche. J’ai depuis, allégé ces pratiques car j’ai finalement pu obtenir, après une dépense d’énergie folle, un visa de travail. Il m’aura fallu deux tentatives pour l’obtenir !!
EK: Ton actualité ?
YMO: C’est reparti pour une quatrième collaboration avec Guadagnino que je retrouve très très bientôt à Rome. Et puis les deux derniers films sur lesquels j’ai travaillé sont à Cannes! « Firebrand » de Karim Ainouz, tourné en Angleterre, est en compétition de la sélection officielle, et le film d’Alex Lutz sur lequel j’ai travaillé juste après à Paris fera la clôture de la sélection « Un Certain Regard » … Ces deux films sont assez représentatifs de mes envies de cinéma et je suis content de les voir en sélection!
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